Mémoire de Maîtrise Universitaire Ès Sciences en Psychologie Clinique - Résonances des Psychothérapeutes face aux Violences faites aux Femmes PDF

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TenderMridangam

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Faculté des sciences sociales et politiques

2025

Mme Eeva GLASSEY

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psychotherapy violence against women systemic therapy emotions

Summary

This qualitative research explores the influence of therapists' emotional resonances on their clinical practice in the context of violence against women (VAW). Based on interviews with therapists, the study examines how these resonances contribute to decoding implicit relational dynamics and understanding power imbalances. The study highlights the limitations of traditional systemic tools when applied to cases of VAW and advocates for greater integration of feminist and intersectional perspectives in clinical training and social education efforts to prevent the perpetuation of gendered norms.

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[Faculté des sciences sociales et politiques]{.smallcaps} [Institut de Psychologie]{.smallcaps} [Session Hiver 2025]{.smallcaps} [Mémoire de Maîtrise Universitaire Ès Sciences en Psychologie Clinique]{.smallcaps} **Résonances des Psychothérapeutes face aux Violences faites aux Femmes : explorati...

[Faculté des sciences sociales et politiques]{.smallcaps} [Institut de Psychologie]{.smallcaps} [Session Hiver 2025]{.smallcaps} [Mémoire de Maîtrise Universitaire Ès Sciences en Psychologie Clinique]{.smallcaps} **Résonances des Psychothérapeutes face aux Violences faites aux Femmes : exploration des interactions entre clinique systémique et inégalités de genre** ![](media/image2.png) Rédigé et présenté par : Mme Eeva GLASSEY Sous la direction du : Dr. Manuel TETTAMANTI Experte à la soutenance : Mme Rikia IBNOLAHCEN Remerciements ============= Je tiens, premièrement, à exprimer ma profonde gratitude aux cinq psychothérapeutes qui ont généreusement accepté de participer à ce projet. Leur confiance, leur engagement, leur authenticité et leur collaboration ont été les pierres angulaires de la réalisation de ce cette recherche de mémoire. Merci pour la richesse de vos partages et leur sincérité, qui résonnent bien au-delà de ces pages. Je souhaiterais également remercier chaleureusement toutes et tous les autres psychothérapeutes qui, de près ou de loin, m'ont offert leur aide, leurs encouragements ou manifesté leur intérêt : merci. Chacun de vos gestes a contribué à créer une dynamique porteuse, permettant à ce mémoire d'être, avant tout, un projet collectif. À mon directeur de mémoire, Dr Manuel Tettamanti, je souhaite exprimer ma reconnaissance pour sa confiance, sa guidance éclairée et son engagement. Vos connaissances et votre bienveillance ont été un soutien précieux tout au long de ce travail ; merci d'avoir accompagné ce projet avec autant de sérieux que d'humanité. À l'experte, Mme Rikia Ibnolahcen, je souhaite exprimer ma profonde gratitude pour avoir accepté de jouer le rôle d'experte pour la soutenance de ce mémoire. Merci pour votre disponibilité, votre ouverture et votre expérience remarquable sur la question des violences, qui apportent une contribution unique à ce travail. Enfin, je tiens à remercier ma famille, mon conjoint, mes amies et amis. Votre soutien indéfectible et vos encouragements m'ont offert une force inestimable dans les moments de doute comme dans ceux de réussite. Pour conclure, je souhaiterais dédier ces dernières lignes aux *femmes*. À celles qui, au fil du temps, ont ouvert la voie, parfois au prix de leur liberté, voire de leur vie. À celles qui, par leur force et leur courage, permettent chaque jour à d'autres de progresser vers un avenir plus sûr et plus digne. Et à celles qui, à leur manière, dans l'ombre ou la lumière, affrontent, protègent et continuent à se tenir debout. Ce mémoire s'inscrit humblement dans cet élan, avec l'espoir qu'il puisse, à sa manière, nourrir une réflexion commune et contribuer, même modestement, à davantage de sécurité, de paix et de compréhension. Table des matières ================== [[Remerciements] 2](#remerciements) [[Table des matières] 3](#_Toc186460817) [[Avertissements sur le Contenu] 5](#_Toc186460818) [[Résumé] 6](#r%C3%A9sum%C3%A9) [[1.] [Introduction] 7](#introduction) [[2.] [Cadre théorique] 9](#cadre-th%C3%A9orique) [[2.1. L'approche systémique : origines et limites] 9](#lapproche-syst%C3%A9mique-origines-et-limites) [[2.2. Définir les violences faites aux femmes : un enjeu contextuel] 9](#d%C3%A9finir-les-violences-faites-aux-femmes-un-enjeu-contextuel) [[2.3. Dépasser les limites systémiques : apports récents et critiques féministes] 10](#d%C3%A9passer-les-limites-syst%C3%A9miques-apports-r%C3%A9cents-et-critiques-f%C3%A9ministes) [[2.3.1. La systémique face à ses propres limites] 10](#la-syst%C3%A9mique-face-%C3%A0-ses-propres-limites) [[2.3.2. Une relecture des violences relationnelles] 10](#une-relecture-des-violences-relationnelles) [[2.4. Les émotions dans la thérapie systémique : un levier interactionnel] 12](#les-%C3%A9motions-dans-la-th%C3%A9rapie-syst%C3%A9mique-un-levier-interactionnel) [[2.4.1. L'importance thérapeutique des émotions dans les dynamiques relationnelles] 12](#limportance-th%C3%A9rapeutique-des-%C3%A9motions-dans-les-dynamiques-relationnelles) [[2.5. Résonances et violences faites aux femmes] 13](#r%C3%A9sonances-et-violences-faites-aux-femmes) [[2.5.1. La résonance comme réponse aux limites systémiques] 13](#la-r%C3%A9sonance-comme-r%C3%A9ponse-aux-limites-syst%C3%A9miques) [[2.5.2. Les résonances dans le contexte des violences faites aux femmes] 13](#les-r%C3%A9sonances-dans-le-contexte-des-violences-faites-aux-femmes) [[2.5.3. Mobiliser les résonances dans un cadre éthique] 14](#mobiliser-les-r%C3%A9sonances-dans-un-cadre-%C3%A9thique) [[3.] [Objectifs de recherche] 15](#objectifs-de-recherche) [[4.] [Méthodologie] 18](#m%C3%A9thodologie) [[4.1. Ancrage épistémologique constructiviste] 18](#ancrage-%C3%A9pist%C3%A9mologique-constructiviste) [[4.2. Échantillon] 18](#%C3%A9chantillon) [[4.3. Recueil de données] 20](#recueil-de-donn%C3%A9es) [[4.4. Analyse des données] 20](#analyse-des-donn%C3%A9es) [[5.] [Résultats] 22](#r%C3%A9sultats) [[5.1.] [Ancrage Systémique des violences faites aux femmes] 22](#ancrage-syst%C3%A9mique-des-violences-faites-aux-femmes) [[5.1.1.] [VAW et thérapie systémique : perception, conceptualisation et reconnaissance] 22](#vaw-et-th%C3%A9rapie-syst%C3%A9mique-perception-conceptualisation-et-reconnaissance) [[5.1.2.] [Contradictions dans l'application systémique et complémentarité des violences] 24](#contradictions-dans-lapplication-syst%C3%A9mique-et-compl%C3%A9mentarit%C3%A9-des-violences) [[5.1.3.] [Perspectives féministes systémiques] 26](#perspectives-f%C3%A9ministes-syst%C3%A9miques) [[5.2.] [Dynamiques émotionnelles dans la thérapie systémique face aux VAW] 27](#dynamiques-%C3%A9motionnelles-dans-la-th%C3%A9rapie-syst%C3%A9mique-face-aux-vaw) [[5.2.1.] [Positions et ressentis des thérapeutes aux récits de violence] 28](#positions-et-ressentis-des-th%C3%A9rapeutes-aux-r%C3%A9cits-de-violence) [[5.2.2.] [Régulation émotionnelle et gestion de la proximité] 30](#r%C3%A9gulation-%C3%A9motionnelle-et-gestion-de-la-proximit%C3%A9) [[5.2.3.] [Différenciation, implication et mobilisation des résonances] 32](#diff%C3%A9renciation-implication-et-mobilisation-des-r%C3%A9sonances) [[5.3.] [Réflexivité et posture clinique] 35](#r%C3%A9flexivit%C3%A9-et-posture-clinique) [[5.3.1. Influence des trajectoires personnelles et professionnelles sur les pratiques cliniques] 35](#influence-des-trajectoires-personnelles-et-professionnelles-sur-les-pratiques-cliniques) [[5.3.2. Posture éthique : entre engagement et \"objectivité\" clinique] 36](#posture-%C3%A9thique-entre-engagement-et-objectivit%C3%A9-clinique) [[5.3.3. Adaptation des outils thérapeutiques aux VAW : évolution et limites] 37](#adaptation-des-outils-th%C3%A9rapeutiques-aux-vaw-%C3%A9volution-et-limites) [[5.4.] [Enjeux contextuels, institutionnels et sociétaux en thérapie] 38](#enjeux-contextuels-institutionnels-et-soci%C3%A9taux-en-th%C3%A9rapie) [[5.4.1. L'impact des mouvements sociaux et des médias sur la clinique] 38](#limpact-des-mouvements-sociaux-et-des-m%C3%A9dias-sur-la-clinique) [[5.4.2. Stéréotypes genrés, idées reçues et biais structurels dans la thérapie] 39](#st%C3%A9r%C3%A9otypes-genr%C3%A9s-id%C3%A9es-re%C3%A7ues-et-biais-structurels-dans-la-th%C3%A9rapie) [[5.4.3. Considérations intersectionnelles : genre, classe et autres axes d'oppression] 40](#consid%C3%A9rations-intersectionnelles-genre-classe-et-autres-axes-doppression) [[5.5. Formation, prévention et perspectives collectives] 40](#formation-pr%C3%A9vention-et-perspectives-collectives) [[5.5.1. Outils, lacunes et pistes dans la formation des thérapeutes] 41](#outils-lacunes-et-pistes-dans-la-formation-des-th%C3%A9rapeutes) [[5.5.2. Prévention et éducation sociale sur les VAW] 41](#pr%C3%A9vention-et-%C3%A9ducation-sociale-sur-les-vaw) [[5.5.3. Responsabilités et répercussions institutionnelles dans la gestion des VAW] 42](#responsabilit%C3%A9s-et-r%C3%A9percussions-institutionnelles-dans-la-gestion-des-vaw) [[6.] [Discussion] 43](#discussion) [[6.1.] [Interprétation des résultats] 43](#interpr%C3%A9tation-des-r%C3%A9sultats) [[6.1.1. Les résonances comme ressource clinique clé face aux dynamiques des violences faites aux femmes] 44](#les-r%C3%A9sonances-comme-ressource-clinique-cl%C3%A9-face-aux-dynamiques-des-violences-faites-aux-femmes) [[6.1.2. Articulation des émotions et des outils systémiques dans le contexte des VAW] 45](#articulation-des-%C3%A9motions-et-des-outils-syst%C3%A9miques-dans-le-contexte-des-vaw) [[6.1.3. Implications pour le développement d'outils et de formations adaptés] 46](#implications-pour-le-d%C3%A9veloppement-doutils-et-de-formations-adapt%C3%A9s) [[6.2. Limites et portée de la recherche] 48](#limites-et-port%C3%A9e-de-la-recherche) [[6.2.1. Limites] 48](#limites) [[6.2.2. Portée] 49](#port%C3%A9e) [[7.] [Conclusion] 50](#conclusion) [[7.1.] [Perspectives ouvertes] 51](#perspectives-ouvertes) [[Bibliographie] 52](#bibliographie) [[Illustrations et tableaux] 60](#illustrations-et-tableaux) [[Annexes] 61](#annexes) Résumé ====== Cette recherche qualitative explore l'influence des résonances émotionnelles des thérapeutes systémiciens sur leurs pratiques cliniques dans le cadre des violences faites aux femmes (VAW). S'appuyant sur cinq entretiens semi-directifs avec des thérapeutes romands, l'étude examine la manière dont ces résonances -- sortes d'échos émotionnels contextuellement fonctionnels -- contribuent à décoder les dynamiques relationnelles implicites. Les résultats convergent avec la littérature, en soulignant comment les résonances, lorsqu\'elles sont mobilisées de manière réflexive, enrichissent la compréhension des dimensions implicites -- dans le cas de cette étude, par exemple, des asymétries de pouvoir. Cependant, leur utilisation exige une régulation émotionnelle et une différenciation rigoureuse, surtout dans des contextes potentiellement sensibles comme ceux des violences faites aux femmes. L'étude rappelle également les limites des outils systémiques traditionnels dans le cadre des VAW, tels que la circularité, face à des contextes marqués par des violences structurelles et asymétriques. Certains thérapeutes interrogés appellent à une intégration accrue des perspectives féministes et intersectionnelles dans les formations cliniques, ainsi qu\'à un renforcement des dispositifs éducatifs et préventifs pour déconstruire les normes genrées et éviter la perpétuation de cycles favorisant les VAW. Ces observations s'accompagnent de recommandations pour réflexion vers une pratique systémique plus spécifiquement adaptée aux VAW, ancrée dans une réflexivité constante et une collaboration interdisciplinaire. Cette recherche contribue à enrichir la compréhension des interactions entre les résonances thérapeutiques, les violences genrées et les enjeux éthiques, tout en ouvrant des pistes pour développer des outils et formations adaptés à ces problématiques complexes. **[Mots-clés]{.smallcaps}** : résonances, thérapie systémique, violences faites aux femmes, asymétries de pouvoir, perspectives féministes, régulation émotionnelle. Introduction ============ Depuis la seconde cybernétique, le thérapeute systémicien n'est plus un simple observateur, mais devient un acteur dont la simple présence influe directement sur la structure des systèmes rencontrés en séance, dans une dynamique interactionnelle d'interinfluence avec ses patients (Cecchin, 1987 ; Elkaïm, 2004). Dans ce cadre, la relation thérapeutique engage non seulement la subjectivité du thérapeute, mais également ses processus émotionnels, qui sont utilisés comme outils d'analyse et d'intervention, sous le prisme de la co-construction (Cyrulnik & Elkaïm, 2009 ; Bertrando & Arcelloni, 2014). Parmi ces processus, le concept de résonance --un écho émotionnel fonctionnel entre le thérapeute et les membres du système -- introduit par Mony Elkaïm (1989), se révèle particulièrement éclairant. Lorsqu\'elle est mobilisée de manière éthique, la résonance enrichit l'intervention clinique en révélant des dimensions implicites des interactions (Elkaïm, 2004). Toutefois, une résonance mal maîtrisée peut altérer l'intervention, par exemple, en imposant, de manière non intentionnelle, les croyances personnelles du thérapeute (Elkaïm, 2010 ; Goldbeter-Merinfeld, 2017, 2022 ; Maestre, 2021). Cette double potentialité rend son exploration cruciale, en particulier dans des contextes cliniques complexes tels que les violences faites aux femmes. En effet, bien que le concept de résonance soit largement reconnu et utilisé dans la pratique clinique systémique, son articulation avec la question des violences faites aux femmes demeure insuffisamment explorée. Ces violences, qui croisent dynamiques de pouvoir, normes sociétales et valeurs personnelles, représentent une problématique omniprésente dans le vécu de la patientèle (Pache, 2022 ; Knudson-Martin, 2013 ; Girard, 2004). Elles confrontent les thérapeutes à des récits marqués par la souffrance et la résilience (Markwalder et al., 2023 ; Rabiau, 2023 ; Pache, 2019), tout en soulevant des enjeux éthiques relatifs à leur posture et à leur cadre d'intervention (Delage et al., 2012 ; Lalande et al., 2018 ; Hanson et al., 2008). Historiquement omniprésentes, ces violences trouvent une illustration marquante dans les chasses aux sorcières, qui ont conduit à l'exécution de 200 000 à 500 000 femmes entre le IVᵉ et le XVIIIᵉ siècle (Taraud, 2022). Aujourd'hui, bien loin des bûchers, les violences faites aux femmes perdurent presque sans modification dans la société contemporaine, culminant avec le féminicide, que Christelle Taraud (2022) conceptualise comme la pointe du « continuum féminicidaire » --englobant des violences allant des formes les plus diffuses aux plus extrêmes. En Suisse, vingt féminicides ont été recensés avant la fin de l\'année 2024 -- un chiffre équivalent à celui de 2023 (Stop Femizid, s.d. ; Office fédéral de la statistique, s.d.). À l'échelle mondiale, 81\'100 femmes et filles ont été intentionnellement tuées en 2021 (ONUDC, 2023). Ces violences, fréquemment perpétrées dans le cadre intime des relations familiales et/ou conjugales, traduisent des dynamiques de pouvoir profondément enracinées et structurellement ancrées (Markwalder et al., 2023 ; Rabiau, 2023). Parallèlement, les évolutions sociétales récentes, portées par des mouvements comme \#MeToo et \#NiUnaMenos, ont amplifié la prise de conscience collective des violences faites aux femmes (Gill & Orgad, 2018), offrant au grand public une nouvelle perspective, notamment sur la dimension institutionnellement soutenue de la perpétuation de ces violences (Jaspard, 2005). Dans ce contexte, la résonance des thérapeutes systémiciens prend une dimension particulière. Toutefois, comme mentionné précédemment, leur mobilisation dans ce cadre spécifique soulève des enjeux éthiques et pratiques encore trop peu investigués au sein de la recherche systémique. À la lumière de cet ensemble d'éléments insuffisamment explorés dans leurs interrelations, il semble pertinent d'interroger la manière dont les thérapeutes systémiciens appréhendent les violences faites aux femmes à travers leurs résonances, afin d'appréhender l'influence de leurs ressentis sur leurs pratiques cliniques. Ce questionnement permettra également d'explorer la manière dont les thérapeutes considèrent les inégalités de genre dans leurs accompagnements, tout en appréhendant l'impact des dynamiques socioculturelles et médiatiques, notamment l'évolution du vocabulaire autour des violences genrées (par exemple, le terme « pervers narcissique » ; Centre Hubertine Auclert, 2019). Structuré en plusieurs étapes, ce mémoire de recherche se propose d'abord de circonscrire le cadre théorique de la psychothérapie systémique dans ce contexte spécifique, puis d\'examiner les dimensions émotionnelles des thérapeutes face à la question des violences faites aux femmes et leurs cadres d'intervention. Cette démarche qualitative, s'appuyant sur le discours de cinq thérapeutes systémiciens romands, cherchera à appréhender les implications de leurs résonances face aux récits de violences faites aux femmes. Cadre théorique =============== 2.1. L'approche systémique : origines et limites ------------------------------------------------ L'approche systémique, née dans les années 1950 à l'école de Palo Alto, s'inspire des travaux de Gregory Bateson et de la cybernétique de Norbert Wiener. Elle propose une lecture des familles comme systèmes dynamiques, où les interactions sont influencées par des boucles de rétroaction et des causalités circulaires, en écho à la théorie générale des systèmes de von Bertalanffy (Meynckens-Fourez & Henriquet-Duhamel, 2005 ; Marc & Picard, 2023). Depuis la seconde cybernétique, la systémique a évolué pour reconnaître que le thérapeute, par sa simple présence, modifie la structure du système dans l'espace thérapeutique. Cette perspective met l'accent sur l'importance de sa subjectivité et des processus émotionnels qui influencent les dynamiques thérapeutiques (Elkaïm, 1989 ; Meynckens-Fourez & Henriquet-Duhamel, 2005). Malgré ses apports, la systémique traditionnelle montre ses limites face aux violences faites aux femmes. En les analysant sous le prisme de la causalité circulaire, elle risque de diluer les asymétries de pouvoir qui caractérisent les violences genrées (Pache, 2022). Ces violences, souvent marquées par un contrôle coercitif et des dynamiques de domination, ne peuvent être réduites à une responsabilité partagée entre les membres du système (Rabiau, 2023). Bien qu'il soit largement admis que la thérapie systémique constitue une approche pertinente pour accompagner les victimes de violences faites aux femmes, mais certains auteurs plaident en faveur d'interventions encore plus spécifiquement adaptées à cette problématique (Karakurt & al., 2016 ; Hameed & al., 2020). De plus, ce biais peut invisibiliser les impacts spécifiques subis par la personne en position basse, souvent la femme, et ignorer les structures patriarcales sous-jacentes, et/ou participer à leur perpétuation (Corbeil, 1979 ; Rampage & Myers Avis, 2003 ; Ignjatović, 2020). 2.2. Définir les violences faites aux femmes : un enjeu contextuel ------------------------------------------------------------------ La violence faite aux femmes (VAW) désigne les actes sexistes infligés en raison du genre, causant des dommages physiques, psychologiques, sexuels ou économiques (ONU, 1993 ; Poleshuck & al., 2021, BFEG, 2023). Elle trouve ses racines dans des systèmes patriarcaux qui perpétuent l'inégalité entre les sexes (Rampage & Myers Avis, 2003). Selon Jaspard (2005), ces violences incluent la violence conjugale, les féminicides, les violences structurelles et symboliques, les violences sexuelles, ainsi que le harcèlement et les violences en ligne. En Suisse, le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (BFEG, 2023) les définit comme suit : *« La violence à l'égard des femmes est une forme de violence de genre, c'est-à-dire qu'elle est dirigée contre une personne en raison de son genre. Les femmes courent un risque plus élevé d'en être l'objet. La violence de genre prend notamment racine dans l'inégalité entre les sexes et dans les stéréotypes persistants liés au genre. »* L'OMS (2005, 2016) souligne que ces violences ont des impacts profonds. Elles affectent les victimes, mais aussi leurs enfants, en créant des traumatismes intergénérationnels. Elles engendrent également des coûts socio-économiques importants, traduisant les asymétries de pouvoir enracinées dans des hiérarchies genrées (Kabeer, 2014). Ces violences ne relèvent donc pas uniquement d'interactions individuelles, mais s'inscrivent dans des systèmes relationnels et structurels marqués par des rapports de domination (Girard, 2004). Finalement, si les distinctions entre les formes que prennent les violences faites aux femmes (VAW) sont importantes pour comprendre les expériences individuelles, elles ne doivent pas occulter leur enracinement dans des rapports de pouvoir genrés, en faisant des phénomènes structurels (Rampage & Myers Avis, 2003 ; Lelaurain & al., 2018). Dans cette recherche, regrouper ces expériences sous l'acronyme *VAW*, de l'anglais *Violence Against Women*, ne vise pas à uniformiser ou invisibiliser les vécus individuels, mais à souligner leur caractère systémique et collectif. pour objectif de mieux protéger les victimes et déconstruire les comportements violents. 2.3. Dépasser les limites systémiques : apports récents et critiques féministes ------------------------------------------------------------------------------- ### 2.3.1. La systémique face à ses propres limites L'approche systémique traditionnelle, en se centrant sur des concepts comme la causalité circulaire, ne parvient pas toujours à rendre compte des asymétries de pouvoir qui structurent les violences faites aux femmes. Ces violences s'inscrivent dans des dynamiques relationnelles unidirectionnelles, où une personne, généralement en position haute, exerce un contrôle coercitif sur l'autre. En attribuant à chaque membre du système un rôle équivalent, la systémique classique peut minimiser ces asymétries fondamentales et masquer la gravité des abus (Rampage & Myers Avis, 2003 ; Perrone, 2013 ; Ignjatović, 2020). ### 2.3.2. Une relecture des violences relationnelles Reynaldo Perrone (2013) enrichit la perspective systémique en différenciant plusieurs formes de violence. Il distingue la violence-agression, où les relations symétriques sont marquées par une escalade mutuelle, de la violence-punition, caractérisée par un contrôle unidirectionnel exercé dans une relation complémentaire. Ce dernier type de violence, prévalant dans les violences faites aux femmes, met en lumière les impacts psychologiques graves des abus prolongés et répétés (Herman, 1992). Enfin, Perrone identifie la violence-punition avec symétrie, où la personne en position basse résiste en cherchant à rétablir un équilibre, souvent au prix d'une intensification des violences. Ces distinctions permettent de dépasser une lecture purement circulaire des interactions et de mieux comprendre les asymétries de pouvoir dans les relations violentes (Libchaber, 2016). Autre pièce angulaire de la circonscription systémique des violences faites aux femmes, les apports féministes systémiques, notamment ceux de Rampage et Myers Avis (2003), appuient cette démarche en déconstruisant les normes oppressives et les dynamiques patriarcales qui façonnent les relations familiales. Ces critiques insistent sur l'importance d'intégrer une lecture structurelle des rapports de pouvoir, tout en prenant en compte les dynamiques intersectionnelles liées à la classe sociale ou à l'appartenance ethnique. Dans cette lignée, Knudson-Martin et Mahoney (2009) approfondissent l'analyse des dynamiques de pouvoir au sein des couples en proposant un cadre d'orientation relationnelle. Celui-ci invite les thérapeutes à examiner les asymétries de pouvoir implicites, tant dans les décisions que dans les ressources émotionnelles disponibles au sein du couple. Cette perspective met en lumière le potentiel du genre et du pouvoir comme leviers centraux pour le changement clinique. Ces critiques et propositions féministes permettent ainsi de relier les inégalités structurelles aux interactions relationnelles, tout en offrant des clés aux thérapeutes pour déconstruire les normes genrées oppressives, travailler sur les dynamiques de pouvoir et promouvoir l'équité dans les relations, en tenant compte des contextes sociaux et culturels (Dell, 1989 ; Hare-Mustin & Marecek, 1994 ; McDowell & al., 2022). Dans le cas contraire, le cadre strict des théories familiales pourrait perpétuer ces dynamiques inégalitaires (Hare-Mustin, 1978, 1987 ; Hare-Mustin & Marecek, 1988). Ces aspects invitent à approfondir un autre élément fondamental des dynamiques relationnelles : le rôle des ressentis et leur influence sur les processus thérapeutiques (Elkaïm, 2004). 2.4. Les émotions dans la thérapie systémique : un levier interactionnel ------------------------------------------------------------------------ ### 2.4.1. L'importance thérapeutique des émotions dans les dynamiques relationnelles Dans une perspective systémique, les émotions jouent un rôle central dans la compréhension des interactions humaines et dans la facilitation du changement thérapeutique. Clennett-Sirois (2015) souligne que les émotions du thérapeute, lorsqu'elles sont mobilisées de manière adaptée, permettent au patient d'identifier et de nommer ses propres éprouvés. Bien régulé, ce processus intégratif contribue notamment à mieux appréhender les dynamiques relationnelles au sein d'un système et à créer une alliance thérapeutique solide, indispensable à l'efficacité du traitement (Maestre, 2002 ; Elkaïm, 2004 ; Bertrando & Arcelloni, 2014 ; Goldbeter-Merinfeld, 2022 ; Rober, 2023). Cependant, Flynn, Damant et Bernard (2014) mettent en garde contre les risques liés à des émotions non régulées chez les thérapeutes, qui peuvent interagir négativement avec l'alliance thérapeutique en projetant involontairement des attentes ou des jugements sur le patient. Lelaurain et al. (2018) insistent sur l'importance pour le thérapeute d'adopter une posture réflexive, lui permettant de reconnaître et de contenir ses propres réactions émotionnelles afin de préserver l'espace thérapeutique. Cette gestion des émotions, selon Nasielski (2021), est soutenue par un cadre structurant qui aide les patients à explorer leurs ressentis tout en respectant leur zone de tolérance émotionnelle. Dans les interactions thérapeutiques, les émotions s'inscrivent dans une logique subjective d'interinfluence. Jensen (2012) explique qu'elles sont perçues, transformées, puis réinjectées dans le système par les différents acteurs, influençant ainsi les dynamiques interactionnelles. Ce phénomène est particulièrement manifeste dans des systèmes familiaux où des tensions émotionnelles latentes émergent à travers les interactions en séance. Elkaïm (1989) insiste sur la nécessité pour le thérapeute de gérer consciemment ses éprouvés afin d'éviter qu'ils n'interfèrent avec les objectifs systémiques. En l'absence d'un cadre réflexif structurant, les biais ou préjugés du thérapeute risquent d'altérer les processus co-construits dans l'espace thérapeutique (Rampage & Myers Avis, 2003 ; Kaldirimitzian, 2015 ; Lelaurain et al., 2018). La posture réflexive permet d'opérationnaliser les émotions comme des ressources systémiques, facilitant l'accès aux patterns interactionnels sous-jacents et orientant les interventions de manière ajustée (Fredenrich et al., 2009). 2.5. Résonances et violences faites aux femmes ---------------------------------------------- ### 2.5.1. La résonance comme réponse aux limites systémiques Au sein des éprouvés et de leur fonctionnalité, la notion de résonance, définie par Elkaïm (1989), dépasse le cadre de la causalité circulaire pour explorer les interactions entre les ressentis du thérapeute et ceux des membres du système. Comme susmentionné, Elkaïm (2004) développe son cheminement sur les bases de la seconde cybernétique, du postmodernisme et de la proposition constructiviste de von Foerster, dans sa redéfinition de la notion de réalité, qui devient une co-construction dans un système incluant le thérapeute. Cette perspective implique que le thérapeute ne peut séparer ses hypothèses de son histoire personnelle. La thérapie vise à identifier ces danses relationnelles grâce aux résonances du thérapeute, souvent explorées via la supervision, afin d'en proposer une nouvelle qui favorise le changement. La résonance, en tant que vibration commune à l'intersection des histoires personnelles, maintient les constructions du monde des patients, du thérapeute et des superviseurs. Le thérapeute doit ainsi s'interroger : à quoi renvoie cette résonance dans son histoire personnelle, et quelle est sa fonction pour le système thérapeutique ? Dans un contexte de violence, la résonance permet notamment de décrypter les « règles implicites » partagées au sein des systèmes familiaux, qui peuvent stabiliser ou amplifier des dynamiques dysfonctionnelles (Elkaïm, 2010). Par exemple, un sentiment de rejet éprouvé par le thérapeute peut refléter une croyance sous-jacente d'un patient sur le rejet, éclairant ainsi ses constructions relationnelles (Institut d'Anthropologie Clinique, 2018). En résumé, le vécu du thérapeute s'amplifie car il a une fonction dans le présent, par le biais des résonances qui catalysent le processus thérapeutique. Pour Goldbeter-Merinfeld (2022), plus qu'un outil thérapeutique, la résonance incarne également un objectif thérapeutique. ### 2.5.2. Les résonances dans le contexte des violences faites aux femmes Dans les contextes de violences genrées, les résonances offrent un levier pour analyser les cycles de contrôle coercitif et leurs impacts émotionnels. Loin de simples réactions personnelles, les résonances permettent de formuler des hypothèses et des interventions adaptées aux dynamiques de pouvoir spécifiques des violences faites aux femmes. Cependant, leur mobilisation pose des défis éthiques et pratiques. Lelaurain et al. (2018) soulignent que les récits de violence activent fréquemment des éprouvés chez le thérapeute, liés à ses propres expériences ou croyances, rendant leur régulation réflexive particulièrement délicate. Guimond (2011) avertit que des résonances non régulées risquent de compromettre l'alliance thérapeutique, en projetant des attentes implicites ou en renforçant involontairement des constructions limitantes. ### 2.5.3. Mobiliser les résonances dans un cadre éthique Pour mobiliser efficacement les résonances, le thérapeute doit s'inscrire dans un cadre rigoureusement éthique, soutenu par une supervision régulière et une formation continue (Jensen, 2012 ; Ignjatović, 2020). La posture réflexive devient un prérequis pour transformer ces éprouvés en outils interactionnels adaptés, respectant l'autonomie et la résilience des patientes. Dans les contextes de violences faites aux femmes, elle offre un levier essentiel pour analyser les asymétries de pouvoir et élaborer des interventions ajustées, favorisant des boucles interactionnelles nouvelles et un changement durable au sein du système (Elkaïm, 1989). Objectifs de recherche ====================== À la lumière de la littérature mobilisée dans les précédentes parties, il apparaît clairement que la manière dont les thérapeutes systémiciens appréhendent les violences faites aux femmes (VAW) au travers de leurs éprouvés, en tant que problématique sociale et comme pilier structurant des inégalités de genre, demeure un domaine largement inexploré (Pache, 2022 ; Knudson-Martin, 2013). Tandis que de nombreuses recherches se sont intéressées aux représentations de ces violences du point de vue des auteurs et des victimes (Vasselier-Novelli & Heim, 2010), la perception de ces violences par les thérapeutes eux-mêmes, et plus spécifiquement la manière dont leurs résonances influencent leur pratique clinique, semble être un champ encore sous-investigué. Pourtant, comprendre la façon dont ces thérapeutes appréhendent et intègrent ces violences dans leur pratique est crucial, car leurs propres représentations affectent leur posture clinique, ainsi que leur capacité à identifier et à traiter les dynamiques relationnelles notamment marquées par des asymétries de pouvoir (Escard et al., 2013 ; Rampage & Myers Avis, 2003). Ainsi, le premier objectif de cette recherche est d'explorer, dans quelle mesure les thérapeutes systémiciens appréhendent la réalité des violences faites aux femmes à travers le prisme de leurs résonances émotionnelles. L'extension du concept de résonance, tel que défini par Mony Elkaïm (1989), offre une grille d'analyse pertinente pour comprendre les dynamiques émotionnelles et systémiques qui se jouent dans le cadre thérapeutique. Cette approche permet de mieux cerner comment les résonances, en tant que réponses émotionnelles et interactionnelles entre le thérapeute et les membres du système, influencent la manière dont les thérapeutes abordent les violences faites aux femmes et les inégalités de genre dans leur pratique (Elkaïm, 1989, 2004). Il s'agira notamment d'analyser comment les thérapeutes prennent en compte les impacts des violences et des rapports de pouvoir dans leurs interventions, en interrogeant la place qu'ils accordent aux dimensions émotionnelles et aux dynamiques de pouvoir sous-jacentes dans leur travail clinique (Goldbeter-Merinfeld, 2022 ; Maestre, 2021). En parallèle, un deuxième objectif vise à comprendre la place et l'influence des représentations sociétales et médiatiques des violences faites aux femmes sur la réflexion clinique des thérapeutes systémiciens. Il s'agit d'explorer l'évolution de la compréhension de ces violences, notamment à travers des mouvements sociaux comme \#MeToo et \#NiUnaMenos, ainsi que l'émergence de termes tels que « pervers narcissique » (Olano, 2024 ; Bonnet, 2024). Cette recherche s'efforcera de déterminer comment ces évolutions influencent la manière dont les thérapeutes systémiciens intègrent ces représentations dans leur pratique. Cela inclut l'impact de ce vocabulaire sur la manière dont ils interprètent les récits traumatiques de leurs patientes, ainsi que l'effet des discours médiatiques sur leur posture professionnelle et sur la compréhension des dynamiques relationnelles sous-jacentes aux violences faites aux femmes (Delage, 2019, , 2020 ; Jaspard, 2005). En interrogeant cette dimension, l'objectif est de comprendre si et comment les thérapeutes ajustent leurs interventions face à des patientes qui sont confrontées à des récits marqués par la violence et les rapports de pouvoir asymétriques (Girard, 2004 ; Markwalder et al., 2023). Un troisième objectif, de nature plus méthodologique, sera d'examiner des pistes pour l'intégration des résonances dans la réflexion clinique et l'analyse des pratiques des thérapeutes face aux VAW. Cette démarche cherchera à mieux appréhender les dynamiques complexes liées aux violences faites aux femmes et à envisager des stratégies qui pourraient s'avérer adaptées aux spécificités des systèmes familiaux et sociaux dans lesquels ces violences s'inscrivent (Jensen, 2012 ; Rampage & Myers Avis, 2003). Cette réflexion, encore exploratoire, tentera d'apporter des éléments favorisant une gestion plus réfléchie des résonances, avec l'espoir qu'elles puissent, dans certains cas, soutenir les dynamiques thérapeutiques spécifiques à la prise en charge des VAW (Fredenrich et al., 2009). Ces trois objectifs se structurent autour d'une problématique centrale qui interroge les dynamiques relationnelles et émotionnelles dans le cadre de la thérapie systémique face aux violences faites aux femmes. La problématique peut être formulée comme suit : *De quelle manière les résonances des thérapeutes, dans le cadre des violences faites aux femmes, influencent-elles la dynamique clinique systémique ?* Ce questionnement s'efforcera de décrire et d'analyser les implications des résonances émotionnelles dans la gestion des violences faites aux femmes au sein du cadre systémique. L'objectif est de comprendre comment ces résonances interagissent avec les dynamiques de pouvoir et comment elles influencent les processus thérapeutiques. Cette recherche permettra ainsi de contribuer à une meilleure compréhension des interactions émotionnelles dans la clinique contemporaine, en offrant des pistes de réflexion pour une pratique systémique plus consciente et mieux adaptée aux spécificités des violences faites aux femmes (Elkaïm, 2004). En croisant les perspectives systémique et féministe, cette étude ambitionne très modestement de suggérer de nouvelles voies pour la pratique clinique des thérapeutes systémiciens. Elle proposera des pistes pour une meilleure intégration des résonances dans la réflexion clinique et méthodologique sur les violences faites aux femmes, tout en éclairant les interactions entre les dimensions émotionnelles, relationnelles et structurelles qui se mêlent aux cadre systémique (Rampage & Myers Avis, 2003). Méthodologie ============ 4.1. Ancrage épistémologique constructiviste -------------------------------------------- Cette étude s'inscrit dans un paradigme constructiviste, selon lequel la réalité est co-construite à travers les interactions humaines et les contextes sociaux (Astolfi et al., 2008). Berger et Luckmann (1966) soulignent que les connaissances ne sont pas des vérités objectives, mais des constructions sociales émergentes des relations, des pratiques et des discours. Ce cadre semble particulièrement pertinent pour étudier les résonances des thérapeutes face aux violences faites aux femmes (VAW), car il permet d'explorer comment leurs expériences émotionnelles, croyances et représentations influencent leur pratique clinique. La résonance, étant un phénomène subjectif et contextuel, s'adapte idéalement à cette analyse (Elkaïm, 1989). Pour examiner les entretiens semi-directifs réalisés avec les thérapeutes, l'analyse thématique, inspirée de la Grounded Theory Method (GTM) dans sa version constructiviste (Charmaz, 2006), a été choisie. Bien que cette étude ne vise pas à générer une théorie complète, elle applique des principes de la GTM, tels que l'attention aux données émergentes et un codage approfondi, pour enrichir l'analyse thématique (Clarke & Braun, 2013). Cette méthode permet d'organiser les *pattern* définis dans les données et de les interpréter de manière rigoureuse, ce qui est essentiel pour étudier des concepts complexes comme les résonances dans le cadre des pratiques systémiques. L'utilisation de cette méthodologie allie permet donc l'articulation de la flexibilité de l'analyse thématique à l'approche inductive et réflexive de la GTM, permettant une exploration en profondeur des expériences subjectives des thérapeutes et de la manière dont celles-ci s'articulent dans un contexte systémique, structurellement marqué par asymétries de pouvoir. 4.2. Échantillon ---------------- L'échantillon de cette étude qualitative se compose de cinq thérapeutes systémiciens sélectionnés sur base de volontariat, afin de répondre aux objectifs de la recherche. Les participants incluent trois psychologues psychothérapeutes et deux psychiatres psychothérapeutes, avec des années d\'expérience variant entre 14 et 25 ans ; avec une diversité de points de vue, tant en termes d'âge, de spécialisation que de parcours professionnel. Tous les participants exercent en Suisse romande, ce qui limite la diversité culturelle de l'échantillon, mais reflète néanmoins des pratiques variées en termes d'établissements et de type d'interventions (cf. *Tableau 1*). Les participants ont été recrutés à partir de bases de données fiables : une liste de superviseurs CHUV (2023), la plateforme « Espace Psy » et auprès d'institutions de formation continue reconnues. Après un tri selon les critères de sélection suivants : titre en psychothérapie, spécialisation en thérapie systémique, expérience dans la question des violences faites aux femmes, cinq thérapeutes ont été retenus. Un questionnaire sociodémographique a été administré à chacun afin de contextualiser les profils des participants et de considérer les facteurs influençant leurs pratiques. Ce questionnaire a permis de recueillir des informations sur l'expérience clinique des thérapeutes, leur engagement vis-à-vis des violences faites aux femmes, et leur implication dans des activités militantes ou associatives. Toutes les données ont été anonymisées pour respecter les principes éthiques de la recherche. Ci-dessous, un tableau des données sociodémographiques issues du questionnaire : ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ Participant-e Genre Titre professionnel Pratique Clinique systémique Type d'établissement d'exercice Formation spé. VAW/inégalités genrées --------------------------------------------------------------- --------------- ----------------------------- ------------------------------ ----------------------------------------- --------------------------------------- *En années* A F Psychologue\ +15 Cabinet Indépendant Oui/Oui Psychothérapeute B F Psychologue\ +20 Cabinet de groupe & centre de formation Oui/Non Psychothérapeute C F Psychiatre Psychothérapeute +25 Cabinet de groupe & centre de formation Oui/Oui D F Psychologue\ +14 Cabinet de groupe Non/Oui Psychothérapeute E *Non-précisé* Psychiatre Psychothérapeute +15 Institution Non/Oui *Tableau I : description sociodémographique de l'échantillon* ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ Enfin, conformément à l'usage du masculin générique adopté dans ce travail pour les raisons mentionnées dans l'Avertissement sur le Contenu, les termes masculins incluent également les personnes n'ayant pas souhaité préciser leur genre dans le cadre du questionnaire socio-démographique. Cette convention sera appliquée dans les sections Résultats et Discussion afin de garantir une continuité rédactionnelle. 4.3. Recueil de données ----------------------- Les entretiens semi-directifs ont été choisis comme méthode principale de collecte de données, en raison de leur capacité à explorer en profondeur les perceptions et expériences des thérapeutes tout en restant structurés (Patton, 2015). Ces entretiens ont été réalisés via visioconférence, un choix dicté par la praticité et l'accessibilité offertes par Zoom, de plus dans une perspective temporelle extrêmement restreinte. Cinq entretiens d'environ 30 à 60 minutes ont été menés. Un guide d'entretien a été élaboré pour structurer les échanges tout en permettant aux participants de développer leurs réponses de manière flexible (Kvale & Brinkmann, 2009). Ce guide d'entretien s'articule autour de plusieurs aspects pouvant se regrouper en trois axes princpaux. Il explore d'abord les perceptions et conceptualisations des violences genrées dans la pratique clinique, en examinant l'impact des stéréotypes, des idées populaires et des représentations médiatiques sur la compréhension des récits et sur l'évolution des perceptions des thérapeutes face aux dynamiques de pouvoir. Ensuite, il s'intéresse aux résonances émotionnelles des thérapeutes et à leur influence sur la posture clinique, questionnant l'équilibre entre convictions personnelles et positionnement professionnel dans un cadre éthique. Enfin, il aborde les enjeux de formation et les implications sociales des violences genrées, en examinant la préparation offerte par les cursus initiaux et continus, ainsi que les dispositifs collectifs permettant d'en atténuer les conséquences psychosociales. Avant chaque entretien, les participants ont reçu un document d'information détaillé et signé un formulaire de consentement éclairé, conformément aux principes éthiques de l'APA (2017). Un enregistrement audio de chaque entretien a été réalisé puis respectivement détruit après la transcription anonymisée du verbatim. 4.4. Analyse des données ------------------------ L'analyse des données repose sur une approche thématique, comme définie par Braun et Clarke (2006), permettant d'explorer de manière inductive les significations émergentes dans les récits des thérapeutes. Comme susmentionné, cette méthode est idéale pour étudier des phénomènes complexes comme les résonances et leur articulation avec la problématique des violences faites aux femmes. Contrairement aux méthodes quantitatives, cette analyse permet de définir les significations directement des discours des participants, en suivant une logique inductive, sans pour autant rendre opaque sa dimension subjective (Braun & Clarke, 2013). L'analyse a suivi les six étapes définies par Braun et Clarke (2006) : familiarisation avec les données, codage initial, recherche de thèmes, révision des thèmes, définition et nommage des thèmes, et production du rapport final. Celles-ci ont permis de définir et d'organiser les thèmes récurrents relatifs au lien entre violences faites aux femmes et les résonances des thérapeutes. Les catégories dégagées incluent les perceptions des violences dans une perspective systémique et leurs implications relationnelles, l'impact des dynamiques émotionnelles et des résonances sur la posture et les interventions cliniques dans ce contexte spécifique, la gestion des influences sociales et culturelles sur la prises en charge, ainsi que les ajustements thérapeutiques et éthiques nécessaires pour aborder les enjeux liés aux inégalités de genre dans la pratique. Finalement, la grille thématique créée à partir de ces thèmes et de la littérature a ensuite servi de guide pour l'interprétation des données en les mettant en perspective avec le cadre théorique et les objectifs de la recherche. Résultats ========= À la suite de l'analyse thématique susmentionnée des données recueillies, cinq thèmes ont été créés, eux-mêmes décomposés en quinze sous-thèmes. Au total, 528 unités de sens ont été retenues et classées. Cette présente partie propose d'offrir la description et l'illustration des aspects susmentionnés, sur la base d'une sélection d'extraits des entretiens semi-directifs. Le tableau synthétique de l'analyse thématique qui regroupe les thèmes, sous-thèmes et unités de sens respectives, se trouve en annexe (Annexe V). Ancrage Systémique des violences faites aux femmes -------------------------------------------------- Dans la démarche susmentionnée, il a été constaté que les thérapeutes systémiciens identifient plusieurs dimensions essentielles pour appréhender l'ancrage des violences faites aux femmes (VAW) dans la thérapie systémique \[104\]. Ces dimensions révèlent une tension sous-jacente entre les fondements théoriques de la systémique et la complexité de ces violences. Elles s'organisent autour de trois sous-thèmes principaux. Tout d'abord, les thérapeutes interrogés examinent la place des violences faites aux femmes dans la pratique systémique, en mettant en évidence leurs perspectives sur leur reconnaissance, leur conceptualisation et leur traitement clinique. Cette dimension est détaillée dans la sous-catégorie **5.1.1. Place des VAW dans la thérapie systémique : perception, conceptualisation et reconnaissance \[63\]**. Ensuite, les participants relèvent des contradictions dans l'application des principes systémiques traditionnels face aux violences, notamment concernant des notions clés telles que la circularité et la complémentarité des relations. Ces éléments sont abordés dans la sous-catégorie **5.1.2. Contradictions dans l'application systémique et complémentarité des violences \[16\]**. Enfin, une minorité de thérapeutes mettent en avant l'importance d'intégrer une perspective féministe pour enrichir la thérapie systémique dans son approche des violences. Cet aspect est exploré dans la sous-catégorie **5.1.3. Perspectives féministes systémiques \[36\]**. ### VAW et thérapie systémique : perception, conceptualisation et reconnaissance Les violences faites aux femmes (VAW) sont perçues comme un enjeu central et récurrent par les cinq thérapeutes systémiciens interrogés. Les entretiens mettent en évidence une reconnaissance unanime de ces violences dans les récits de la patientèle, tout en soulignant des approches assez similaires mais également complémentaires pour les intégrer dans le cadre systémique. Tous les participants (A, B, C, D, E) considèrent que les VAW sont quasi systématiques dans les récits de la patientèle, constituant une problématique clinique omniprésente. Les discours reflètent cette omniprésence à travers l'idée : d'*« un thème assez commun »* (C4), récurrent, avec lequel les praticiens seraient un peu toujours en lien (B1) et plus souvent porté par les victimes (E12). Une thérapeute illustre cette perception : *« Il* \[le thème des violences faites aux femmes\] *prend trop de place (...)  Il y a un bon nombre de situations qui sont en lien avec des violences subies soit durant l\'enfance, soit des agressions sexuelles plus récentes à l\'âge adulte. »* (A3) En outre, ces violences influencent significativement la pratique clinique, étant décrites par la majorité (A, B, C, D) comme une réalité quasi-normative dans l'expérience du genre féminin. Deux participantes (A, C) insistent particulièrement sur leur dimension structuralement ancrée dans la pratique : *« Je vois que la violence (...) en tous cas dans ma perception elle est beaucoup répandue. (...) elle est quasiment partout en fait, malheureusement. »* (A19) *« Alors, il* \[thème des VAW\] *l\'influence pas de manière subtile, il l\'influence profondément. »* (C3) Pour appréhender cette réalité, les participants (A, B, C, D, E) mobilisent des outils variés tout en s'appuyant sur le cadre systémique comme base. Ces approches incluent des techniques complémentaires telles que la psychoéducation, l'EMDR, les cérémonies du pardon ou les approches psychotraumatologiques. Une lecture interrelationnelle des VAW demeure cependant au cœur de leur travail, comme le soulignent quatre participants (A, B, C, E) : *« La violence elle est interrelationnelle, du coup c\'est ça que je vais aussi examiner. »* (B2) *« Donc oui ça* \[asymétries de pouvoir\] *c\'est des relations aussi tout à fait circulaires qu\'on peut travailler aussi en séance quoi. »* (E10) *« Une relation elle est toujours faite d\'au moins deux personnes. »* (A18) Certains thérapeutes (C, D, E) insistent également sur l'importance d'explorer les contextes sociaux et structurels entourant les violences, tout en prenant en compte la manière dont elles sont perçues et exprimées par la patientèle : *« Il y a toute l\'exploration du contexte et puis la manière, la façon dont la personne va raconter l\'histoire. »* (B2) Deux participants (C, E) expriment leur refus d'utiliser des termes identitaires tels que \"pervers-narcissique\", qu'ils jugent contraires à l'approche systémique et trop réducteurs pour appréhender des situations complexes : *« C'est* \[pervers-narcissique\] *un terme qui est identitaire et ça fait pas partie de ma clinique d\'utiliser des termes identitaires. »* (C10) Toutefois, ces thérapeutes respectent l'usage de ces termes par leurs patients, tout en s'efforçant de recentrer la discussion sur l'expérience personnelle de ceux-ci (D6). Cette perspective met en lumière l'importance partagée d'une attention particulière à la manière dont les récits sont introduits en séance. Une seule participante (D) souligne qu'il est essentiel d'évaluer si une situation de violence active est en cours avant de planifier une intervention, précisant que ce paramètre est rarement dissimulé lors des premières rencontres cliniques (D2, D4). Elle évoque également la co-thérapie comme une ressource clé dans la prise en charge des situations de violence, en particulier pour gérer les cas d'urgence, bien que ceux-ci restent rares (D3). La question de la neutralité, principe souvent associé à la psychanalyse, est également abordée. Trois thérapeutes (A, C, D) rejettent explicitement cette posture qu'ils jugent incompatible avec la prise en charge des violences. Ils valorisent et prônent une approche authentique et alignée avec leur identité personnelle : *« Moi je me cache pas derrière une pseudo neutralité (...). »* (C21) Cette authenticité est perçue comme essentielle dans le contexte des VAW, où au-delà de l'alliance thérapeutique devient un levier fondamental, tant dans le défi que dans le potentiel de son établissement, comme le précise une thérapeute : « Dans la violence il y a toujours deux aspects, il y a les faits de violences qui ont eu un impact et puis il y a une relation qui a été blessée et alors le premier espace réparateur il est dans la relation thérapeutique, qui doit pas être blessante et du coup, je vais être super prudente là-dedans. » (B11) Cette participante ajoute que c'est souvent cet aspect de confiance *réparée*, qui prime sur l'utilisation d'outils théoriques, dans le discours de sa patientèle sur ce qui a été significatif. Globalement, les thérapeutes convergent sur l'applicabilité de la systémique aux VAW, tout en intégrant des ajustements spécifiques selon leurs préférences cliniques (cf. susmentionné). Ces résultats soulignent une reconnaissance unanime des VAW comme un enjeu central dans la thérapie systémique. Toutefois, leur conceptualisation oscille quelque peu entre une lecture interrelationnelle et une prise en compte des contextes structurels. Bien que cette convergence théorique reflète une flexibilité de l'approche systémique, son application directe aux violences demande parfois des ajustements, qui seront explorés dans les sections suivantes. ### Contradictions dans l'application systémique et complémentarité des violences Comme amorcé ci-dessus, l'analyse des discours met en évidence les ajustements nécessaires, liés à l'application des principes systémiques classiques dans le contexte des violences faites aux femmes (VAW). Les thérapeutes interrogés remettent notamment en question la pertinence de certains concepts fondamentaux, tels que la causalité circulaire, face aux asymétries de pouvoir propres à ces situations. En particulier, plusieurs praticiens (A, B, D) expriment des réserves à l'égard de l'utilisation stricte de la circularité dans des dynamiques violentes. La perception selon laquelle chaque membre d'un système familial serait également responsable d'une interaction violente est largement contestée. Une participante illustre cette remise en question : *« (...) s'il y avait une interaction violente, c'est que chacun était responsable à la même hauteur, la circularité c'était ça, la complémentarité. Donc évidemment qu'aujourd'hui et heureusement on n'en est plus là, enfin voilà, je pense que tout ça reste assez complexe. »* (D7) Et poursuit en soulignant son inconfort croissant face à cette notion : *« (...) j\'ai suivi une formation approfondie (...) où je pense que j\'ai commencé à être un peu mal à l\'aise, par rapport à cette question de circularité. »* (D12) La complémentarité, souvent associée à l'analyse des dynamiques relationnelles, suscite également des débats. Trois thérapeutes (B, D, E) soulignent que, bien qu'utilisée pour décrypter les interactions, elle peut masquer les asymétries de pouvoir dans les relations marquées par des violences. Une participante propose à ce titre, en début d'entretien, une reformulation conceptuelle : *« Parlons \[au sujet des VAW\] de violence complémentaire et pas de violence symétrique. »* (D2) Cette même intervenante reconnaît qu'elle a adhéré, par le passé, à ces principes, comme elle le précise : *« (...) Moi j'adhérais hein (...) Dans un point de vue circulaire et complémentaire (...) À l\'époque, on ne parlait pas de violence symétrique ou complémentaire, on parlait de violence conjugale, point. C\'est venu après ces concepts-là. »* (D12) Cependant, la notion d'influence mutuelle n'est pas totalement rejetée. Certains participants (E, A) -- y compris un thérapeute mandataire du rejet susmentionné -- en évoquent un angle reformulé. Ainsi, un intervenant (E) appréhende ces dynamiques sous une perspective de complémentarité différemment similaire : *« Le cercle vicieux, ça peut être une relation toxique aussi (...) »* (E7) En parallèle, l'ensemble des thérapeutes discute des défis liés à la validation des récits des victimes. Ils insistent sur la nécessité de favoriser et de préserver la confiance (alliance thérapeutique) avec une attention particulière, tout en évitant de réduire les possibilités de mentalisation ou l'agentivité des patientes. Une thérapeute met en garde contre les risques d'une validation excessive : *« Ça l\'empêche, c\'est-à-dire, cette validation en tant que victime (...) empêche de réfléchir (...) »* (D7) Elle note également que cette validation peut limiter la prise en compte des effets des violences sur les autres membres du système, comme les enfants par exemple. Ces réflexions révèlent un positionnement quelque peu nuancé des thérapeutes face aux concepts systémiques de circularité et de complémentarité. Bien que pertinents pour analyser les interactions, ces concepts nécessitent des adaptations pour tenir compte des asymétries de pouvoir et des responsabilités individuelles. En outre, les tensions entre validation des récits et restauration de l'agentivité illustrent la complexité inhérente à l'accompagnement thérapeutique dans le contexte des VAW. ### Perspectives féministes systémiques Dans le cadre des limites du modèle systémique appliqué aux violences faites aux femmes (VAW), les entretiens révèlent également des réflexions critiques quant aux considérations féministes de l'approche systémique. Bien que les VAW soient reconnues comme une problématique collective et structurelle, les discours des participants soulignent les insuffisances du modèle systémique classique pour intégrer pleinement les approches féministes. Cette tension sera particulièrement visible dans les critiques portant sur le manque de reconnaissance institutionnelle et académique des perspectives féministes dans la systémique (D12), dont les enjeux spécifiques sont développés dans une autre partive des résultats (cf. 5.5. Formation, prévention et perspectives collectives). Plusieurs thérapeutes (A, C, D) relèvent l'omniprésence des inégalités de genre et du sexisme dans les récits de leurs patientes, reflet de la manière dont les violences genrée s'inscrivent dans des dynamiques sociétales plus larges, notamment le cadre patriarcal qui régit les rapports de pouvoir. Dans cette perspective, les violences sont donc appréhendées comme quelque chose de collectif, plus que d'individuel. Une participante illustre cette idée : *« J\'trouve qu\'il y a souvent quand même des questions de difficultés de sexisme qui ressortent et qui impliquent de la souffrance pour mes patientes qui sont quand même en grande partie des femmes. »* (A3) Cependant, c'est principalement une seule participante (C) qui formule des critiques explicites sur le manque d'ouverture de la systémique à une perspective féministe, en comparaison avec d'autres disciplines comme la psychanalyse : *« Autant dans la littérature psychanalytique il y a eu un mouvement, une piste féministe très forte (...) mais, dans la systémique ''c\'est circulez, y\'a rien à voir'' »* (C26) Ce constat est renforcé par des expériences personnelles de rejet institutionnel ou académique face à des tentatives d'introduire des perspectives féministes dans les débats systémiques, ce qu'elle évoque, en soulignant que cette invisibilisation des apports féministes est parfois aggravée par leur catégorisation comme militantisme, ce qui tend à les discréditer dans le champ académique : *« Je viens d\'écrire un article sur qu\'est-ce que le féminisme apporte en clinique systémique, un article qui a été refusé d\'ailleurs. »* (C13) *« Dans son livre (...) X en parle comme si ce n\'était pas un problème de genre et quand j\'envoie mon article on me dit ''ouais c\'est juste une petite discussion de société'', c\'est faux quoi. »* (C26) *« En en faisant un sujet, en en parlant, en arrêtant de se faire taxer de féministes excitées quand on parle de ça. »* (C27) *« C\'est pas un article militant, c\'est un article qui cherche à comprendre les choses, mais si on se fait taxer de militante, ça veut dire qu\'on est déjà d\'emblée discréditée dans le fait qu\'on en parle. »* (C27) Par ailleurs, une autre participante (D) met en évidence l'ancrage des violences dans des systèmes de pouvoir patriarcaux, suggérant qu'une lecture féministe pourrait en enrichir la compréhension : *« Je pense que la socialisation de la femme dans le cadre du patriarcat amène aussi les hommes à adopter certains comportements comme étant de la norme (...) »* (D4) Le discours des participants ne souligne que discrètement la nécessité d'un dialogue plus ouvert entre systémique et féminisme. Bien que certains thérapeutes, identifient les apports potentiels du féminisme pour enrichir la compréhension des inégalités de genre et des violences, une seule participante en dénonce explicitement sa stigmatisation. Les tensions entre reconnaissance académique et crainte d'une catégorisation militante freinent leur intégration, renforçant le besoin d'une évolution historique et conceptuelle (D13) pour articuler plus étroitement ces deux paradigmes (cf. 5.5. Formation, prévention et perspectives collectives). Dynamiques émotionnelles dans la thérapie systémique face aux VAW ----------------------------------------------------------------- Les violences faites aux femmes (VAW) impliquent, par essence, des dynamiques émotionnelles profondes \[118\], tant chez les patientes que chez les thérapeutes qui les accompagnent. Ces dynamiques permettent d'explorer le champ des ressentis émotionnels, d'en circonscrire les contours et d'approfondir leur rôle dans le processus thérapeutique, notamment à travers l'identification et l'utilisation des résonances. Les ressentis des thérapeutes jouent ici un rôle central, car ils influencent directement leur posture et leurs interactions dans un contexte où la méfiance des patientes, souvent due à des vécus de violence, rend la confiance difficile à établir. Les discours des thérapeutes systémiciens interrogés mettent en lumière les défis émotionnels auxquels ils sont confrontés face aux récits de violences, ainsi que les stratégies qu'ils mobilisent pour réguler ces émotions et maintenir une posture clinique adaptée. En ce sens, ces réflexions permettent d'accéder à une meilleure compréhension de l'identification et de l'usage des résonances dans ce contexte. Cette section explore ces dynamiques émotionnelles à travers trois sous-thèmes principaux. Premièrement la section **5.2.1. Positions et ressentis des thérapeutes aux récits de violence** qui analyse des émotions suscitées par les récits et de leur impact sur la posture clinique \[27\]. Puis, la sous-partie **5.2.2. Régulation émotionnelle et gestion de la proximité** qui propose une exploration des stratégies de régulation émotionnelle et de la gestion de la relation avec les patientes \[55\]. Et enfin, **5.2.3. Différenciation, implication et mobilisation des résonances** qui met en lumière la manière dont les résonances sont mobilisées dans la pratique clinique et leurs implications \[43\]. ### Positions et ressentis des thérapeutes aux récits de violence Les discours des cinq thérapeutes systémiciens (A, B, C, D, E) révèlent une certaine harmonie dans leur volonté commune de validation et d'empathie envers la patientèle, tout en exprimant une diversité d'émotions face aux récits de violences. Ces émotions, souvent intenses et complexes, influencent leur posture clinique et leur manière d'interagir. Dans cette dynamique, la validation et l'empathie apparaissent comme des fondements essentiels de la relation thérapeutique, et cet aspect est particulièrement crucial dans le contexte des victimes de violences faites aux femmes. Ces dernières, souvent marquées par une méfiance compréhensible en raison de leur vécu, nécessitent un espace thérapeutique qui instaure, de manière particulièrement attentive, la sécurité et la confiance. Tous les thérapeutes interrogés (A, B, C, D, E) insistent sur ce point. Pour eux, il ne s'agit pas simplement d'établir une écoute attentive, mais aussi de créer une alliance thérapeutique solide, base des capacités de leurs patientes à redevenir agentes. En témoignent ces propos : *« Je vais essayer de tout faire pour montrer que je suis à l\'écoute, que je suis attentive. »* (B10) *« Il y a quelque chose d\'inconditionnel quand je suis avec mes patientes aussi.* *»* (C16) Pour une autre thérapeute, la validation de la souffrance n'est pas seulement un outil clinique, mais une étape incontournable dans le processus de reconstruction : *« Pour moi, ce qui est important, c\'est de valider la souffrance. »* (D6) Ces témoignages montrent que la confiance, dans le cadre thérapeutique en contexte de violences, doit être construite avec soin. Si la prudence est de mise, les thérapeutes (A, B, C, D, E) relèvent plus ou moins directement que sans précaution, ce qui se joue dans la relation thérapeutique peut parfois être perçu comme une extension des dynamiques violentes vécues par la patientèle. Cette priorité donnée à la validation et à l'écoute active s'accompagne toutefois d'une forte charge émotionnelle pour les thérapeutes. En effet, malgré une posture professionnelle axée sur l'authenticité et l'empathie mise au service de la clinique, les récits de violences génèrent souvent des émotions à « valence négative ». Ces émotions varient de la colère à l'impuissance et peuvent parfois aussi se traduire en outils, dans ce cas, par un partage de ressenti avec les patientes. Une thérapeute confie : *« (\...) je peux leur dire que ce qu\'ils me racontent là, ça me met en colère, oui. »* (A28) Cependant, ces émotions ne sont pas toujours facilement intégrées. Lorsqu'il s'agit d'interagir avec les auteurs de violences, un des thérapeutes rapporte un inconfort marqué, qui peut même devenir un obstacle dans la prise en charge.  Le participant exprime ainsi ses difficultés : *« Ces personnes ne sont pas nombreuses, mais quand elles arrivent, ça me trouble (\...) c\'est plus facile pour moi d\'aider des personnes qui sont discriminées que des personnes discriminantes. »* (E12) Pour surmonter ces défis, une forte réflexivité sur leurs propres émotions et leur histoire personnelle s'avère essentielle pour les thérapeutes (C, D, E). Cette réflexivité leur permet de transformer leurs éprouvés en outils cliniques, mais également d'interroger leur propre positionnement face aux récits de violences. Une psychothérapeute illustre cette démarche : *« Si ça ne me touche pas (\...) je me demande ce qui se joue là. »* (C8) Par ailleurs, plusieurs thérapeutes (A, E) rapportent que certains éprouvés, comme l'impuissance, bien que difficilement supportables, ouvrent des espaces de discussions et d'échanges au sein de leurs pratiques, sans pour autant être des outils directs comme dans le cas susmentionné. Ces émotions permettent alors une compréhension plus profonde des défis rencontrés par la patientèle, tout en mettant en lumière les limites de l'intervention thérapeutique. Une participante relate : *« Des longues discussions justement par rapport à tout ce que ça pouvait faire émerger comme sentiment, en fait, de se sentir impuissant (\...) »* (A9) Ainsi, construire une relation de confiance avec des patientes souvent méfiantes et/ou craintives (à cause de leur expérience sur le sujet des violences) exige une attention particulière et constante, pour l\'ensemble des thérapeutes (A, B, C, D, E). Cette prudence se traduit par des efforts favorisant la confiance, plus précisément, pour instaurer un espace thérapeutique à la fois accueillant, sécurisant et sécurisé, comme le souligne cette thérapeute : *« Dans la violence, il y a toujours deux aspects : il y a les faits de violences qui ont eu un impact et puis il y a une relation qui a été blessée. Le premier espace réparateur, il est dans la relation thérapeutique, qui doit pas être blessante. »* (B11) Une autre des thérapeutes souligne l'importance de ce cadre sécure de restauration tout en évitant toute forme de maladresse : *« On doit être hyper attentif à ne pas remaltraiter (...) on doit aussi (...) restaurer en fait une qualité relationnelle acceptable (...). »* (D7) Enfin, les discours des thérapeutes montrent des variations dans leur sensibilité et leur perception de la violence. Ces différences reflètent la subjectivité propre à chaque praticien et la diversité de leurs expériences cliniques, sans pour autant compromettre leur engagement commun à accompagner les patientes. Plusieurs thérapeutes (A, B, E) illustrent cette pluralité dans leurs définitions : *« Du moment qu\'il y a une question d\'abus de pouvoir, euh, on a affaire à une forme de violence. »* (A4) *«* \[La violence se définit par\] *l'impact que je peux voir sur la souffrance de la personne qui en parle (\...). C'est pas toujours cohérent entre l'effet et l'impact des facteurs. »* (B2) Ces positions mettent en lumière la complexité des ressentis face aux récits de violences faites aux femmes, où se conjuguent empathie, validation et gestion de réactions personnelles. La réflexivité apparaît comme un outil essentiel pour transformer ces émotions en ressources au service de la thérapie, tout en respectant l'unicité de chaque relation thérapeutique. ### Régulation émotionnelle et gestion de la proximité Dans le cadre des violences faites aux femmes (VAW), les thérapeutes systémiciens interrogés (A, B, C, D, E) insistent sur la nécessité de réguler leurs émotions pour maintenir une posture à la fois éthique et professionnellement adaptée. La régulation émotionnelle joue ici un rôle central, permettant de concilier empathie, respect des limites personnelles, et exigences thérapeutiques dans un contexte hautement sensible. Les thérapeutes interrogés mettent en avant l'importance d'une distance émotionnelle mesurée. Il s'agit de ne pas se laisser submerger par leurs ressentis tout en évitant de masquer des émotions pertinentes pour le contexte clinique. Cette posture nuancée permet de maintenir une implication attentive et éthique dans la relation thérapeutique. Comme le souligne une participante : *« Il faut pas être trop touché non plus, parce que sinon, sinon on est débordé et puis, c\'est pas, c\'est pas le but non plus et puis les patients sont pas là pour nous consoler. »* (C8) Deux autres thérapeutes illustrent cette tension en soulignant la nécessité d'une danse constante entre le maintien d'un recul critique tout en évitant d'effacer ses principes, toujours au service du soin : *« J'attache vraiment une importance à jamais imposer mes points de vue mais par contre j\'suis pas silencieuse. »* (A6) *« Si j\'avais considéré l\'auteur de violence comme un dégueulasse et que je m\'étais arrêté là, la thérapie s\'arrête. »* (E5) Le partage d'émotions, lorsque cela sert le processus thérapeutique, est généralement équilibré par une réflexion sur les limites à ne pas franchir. Les thérapeutes rapportent alors à la fois l'importance de verbaliser certains ressentis utiles et celle de retenir leurs émotions personnelles lorsque celles-ci pourraient biaiser la relation : *« Prudemment je vais garder pour moi (...) »* (B9) Une thérapeute met également en avant la nécessité d'intégrer ses erreurs ou maladresses dans le cadre relationnel, tout en s'assurant que cette intégration reste précautionneuse et réfléchie pour s'intégrer spécifiquement au contexte : *« Je dis ''mais parce que je suis un peu habitée par, par cette émotion-là ou cette chose-là ou cette pensée-là''. Mais si c'est complètement à côté, on la met de côté, puis je sais qu\'elle m\'appartient. »* (B10) Les tensions inhérentes à cette gestion émotionnelle sont accentuées lorsque les récits de violence éveillent des échos dans l'histoire personnelle des thérapeutes. Certains (B, D, E) soulignent les efforts constants nécessaires pour rester vigilants et préserver une posture professionnelle. Un participant témoigne de ce travail introspectif : *« Être en séance avec ces femmes qui sont victimes de violences, c\'est vrai que ça me fait toujours quelque chose (...). Enfin, j\'ai des émotions qui viennent (...) c\'est dans mon histoire personnelle, ça résonne mais alors, j'essaye, c'est ça tout le travail. »* (E5) Malgré ces défis, les thérapeutes interrogés (A, B, C, D, E) manifestent une implication forte dans leur pratique, marquée par un engagement sincère vis-à-vis de leurs patientes et des enjeux liés aux VAW. Cette implication est accompagnée d'une réflexivité constante sur les défis que pose leur posture, comme l'illustrent ces différents extraits : *« Ça m\'atteint, enfin, voilà, ça me touche, mais c\'est pas facile en général. »* (E12) *« Des fois, je suis fâchée, je suis fâchée de voir tout ce temps qu\'on prend à reconstruire les gens (...) »* (A27) *« En tant que femme, enfin, moi ça m\'a vraiment parlé. »* (B17) *« Moi, je pense que mon émotion première, qui est un peu l'émotion de ma vie, c\'est un peu l\'émotion de la colère. Mais aussi d'être touchée. »* (C4) Une dimension complémentaire abordée par une participante (C) concerne la vigilance face aux dynamiques relationnelles dans lesquelles le thérapeute peut se retrouver impliqué, souvent sans en avoir conscience dans l'instant. Cette prise de recul est essentielle pour prévenir les difficultés que de telles situations peuvent générer, surtout dans des situations caractérisées par des aspects illustrés par ce qu'explique la thérapeute : *« Parfois je... que parfois je loupe, je pense que dans des histoires d\'emprise par exemple (...) parce que je suis sous emprise aussi. »* (C13) Ce travail de cohabitation avec des émotions personnelles illustre une posture nuancée qui évolue avec l'expérience pour chacun (A, B, C, D, E). Par exemple, une participante note une transition dans sa manière d'intégrer soutien et responsabilisation : *« Je le fais plus, euh, un peu en cohabitation, si vous voulez, à la fois d\'être voilà, d\'avoir toujours ce côté de bienveillance mais, mais toujours aussi dans le partenariat, de pas tout prendre sur mes épaules. »* (B13) Ce positionnement met en lumière l'importance de respecter les besoins émotionnels des patientes tout en évitant une proximité excessive. Cette posture, partagée par les cinq thérapeutes, vise, sur une base de confiance, à ouvrir la voie à une responsabilisation progressive et au sentiment d'agentivité, éléments cruciaux dans la résilience des victimes de violences. Une participante explicite ce point : *« Il y a aussi des situations où d\'être trop dans la compassion c\'est pas acceptable (...). Ils ont besoin d\'un lien mais quand le lien devient trop proche, ça leur convient pas. »* (B13) Enfin, une thérapeute met en avant l'importance d'orienter les premières interventions vers la sécurisation de l'espace clinique, comme une priorité immédiate dans les contextes de violences : *« Je dirais que la première intention en cas de ressenti, elle va se porter pour moi, sur toute intervention qui peut amener hum de la sécurité. »* (D3) Ainsi, la régulation émotionnelle --- indispensable pour une gestion adaptée de la proximité relationnelle --- est perçue comme une compétence essentielle dans la pratique clinique face aux récits de violences faites aux femmes. Les thérapeutes interrogés (A, B, C, D, E) insistent en priorité sur l'importance de maintenir une distance émotionnelle équilibrée, d'éviter la surimplication et d'observer activement leurs émotions. Cette posture, à la fois réfléchie et adaptée, préserve le cadre thérapeutique tout en répondant aux besoins des patientes de manière respectueuse et réparatrice. ### Différenciation, implication et mobilisation des résonances En dégageant les questions d'empathie, d'identification et de sympathie des discours, il semble que les thérapeutes systémiciens interrogés appréhendent de manière nuancée la complexité du concept de résonance et son rôle central dans la thérapie systémique face aux violences faites aux femmes. Bien que solidement ancrée dans la pratique clinique, la résonance tend parfois, dans ces discours, à être confondue avec d\'autres formes de ressentis, tels que l\'empathie ou l\'identification. Pourtant, ils la distinguent à d'autres moments, par son caractère subtil et puissant, situé à l'interface de l'interaction clinique, du contexte séanciel, de leurs expériences personnelles et de leurs perceptions émotionnelles, somatiques et sensorielles. Cette section explore la manière dont ces résonances sont identifiées, différenciées ou confondues et mobilisées dans la pratique clinique. Dans le cadre des violences faites aux femmes, les résonances sont souvent décrites par les thérapeutes (B, C, D) comme des impressions initiales à caractère perceptuel, difficilement objectivables mais orientant leur attention vers des dynamiques sous-jacentes : *« Donc, mais quand même ça, ça nous, ça nous met quand même un peu les antennes dehors. »* (D2) Une participante (C) illustre cette notion en soulignant leur nature dissonante, dans des contextes où les dynamiques relationnelles restent difficiles à décoder : *« Ces choses-là se passent d\'abord à un niveau perceptuel dissonant, mais qui n'est pas franchement objectivable dans un premier temps. »* (C14) La même participante relève également qu'avoir déjà établi un certain lien avec la patientèle est nécessaire pour utiliser ce genre de levier : *« (...) souvent ces éléments ils émergent pas tout de suite et ils émergent souvent quand on connaît déjà assez bien la personne et qu\'on a de l\'empathie pour cette personne »* (C4) Les thérapeutes (A, B, C, D) s'accordent également sur le fait que ces impressions peuvent aussi se manifester sous forme de signaux somatiques, qui, bien qu'indirects, fournissent des indications cliniques précieuses, parfois spécifiques aux violences et à leurs implications : *« Il y a un truc, comme par rapport aux agressions sexuelles, il y a quelque chose aussi où, euh, moi je sais que quand j\'ai mal au ventre (...) je peux anticiper ou là je me dis ''mais il y a un truc comme ça qui est sous la table'' (...) huit-neuf fois sur dix c\'est vrai »* (B10) *« En fait si je perçois quelque chose, moi le ressenti souvent il risque d\'être corporel chez moi pis \[inaudible\] je vais avoir des sensations plus corporelles. »* (D3) La participante (C) ajoute que l'appui sur ces sensations peut se faire dans un second temp de réflexion : *« Je pense que c\'est vraiment important d\'être attentif à ces dissonances qu\'on a à l\'intérieur de soi de dire waouh qu\'est-ce qui se passe là, je suis sortie de cette séance j\'étais hum (silence) »* (C14) *« (...) de pouvoir me dire ''oh tu finis cette séance dans cet état-là, qu\'est-ce qui se passe, t\'as mal au ventre, t\'es pas bien, qu\'est-ce qui se passe, qu\'est-ce que ça me raconte'', qu'au-delà d\'une analyse peut-être plus intellectuelle de ce qui se passe et d\'être plus dans le ressenti, dans la perception »* (C20) Cependant, l'histoire personnelle des thérapeutes joue un rôle significatif dans leur mobilisation des résonances sur la question des violences. Bien que cette influence puisse être une ressource, elle n'est pas sans poser des enjeux de différenciation, voire de confusion. Comme le souligne un participant : « C\'est vrai que, évidemment, il y a de la résonance, dans tout ça, avec mon histoire personnelle. » (E18) « C'est vrai que dans une séance individuelle, quand il y a une relation de pouvoir c\'est quelque chose aussi qui m\'allume, qui allume mes résonances » (E10) La nécessité de réguler ces influences personnelles pour éviter la confusion et prévenir toute interférence avec les émotions des patientes est un thème récurrent chez la majorité des participants (A, B, C, E), sans qu'ils ne le nomment chacun aussi explicitement. Malgré cet aspect parfois flou, les résonances restent considérées comme des outils cliniques d'une grande valeur, à condition d'être clairement différenciées des émotions des patientes et intégrées dans une démarche réflexive. Plusieurs thérapeutes (B, C, D) insistent sur cette approche : « *C\'est mon ressenti mais je vais le mettre au service d\'une théorie. (...) c'est comment je mets au service ce que je ressens, grâce à mon histoire, à mes connaissances.* » (B10, B11) Cependant, la participante (B) souligne que cette mobilisation nécessite une vérification constante pour évaluer la pertinence clinique de ces signaux, même une fois les précautions susmentionnées établies : « Je me dis j\'ai un coup d\'avance (...) je dois toujours vérifier que c\'est, que c\'est pas mon ressenti à moi mais que ça correspond au ressenti de l\'autre. » (B10) La mobilisation des résonances repose donc sur un équilibre délicat entre implication personnelle et différenciation clinique. Si les thérapeutes interrogés (B, C, E) mettent en avant l'importance de réguler leurs propres émotions, il insistent aussi sur la nécessité de rester engagés émotionnellement. Une participante (C) décrit cette intégration comme une présence mesurée : « *C\'est un mix entre quelque chose de retenu (...) on est là, qui on est quoi.* » (C21) Cette posture favorise une utilisation des résonances comme ressources cliniques, tout en évitant qu'elles n'entravent les besoins des patientes. Un participant explique : *« (...) c'est pas facile parce que voilà, il faut être, il faut de la bouteille et puis il faut aussi, il faut faire fi de sa résonance* \[dans le sens réflexif\] *(...) »* (E5) En somme, les résonances, telles qu'elles sont exprimées par les thérapeutes, constituent des outils perceptuels et émotionnels subtils mais puissants, appréhendés de manière parfois ambivalente. Bien qu'elles émergent souvent de manière subtile et puissent être confondues avec d\'autres formes de ressentis, les thérapeutes (A, B, C, D, E) s'accordent sur le fait que leur pertinence clinique repose sur une différenciation rigoureuse et une régulation réflexive constante. Unanimement, les thérapeutes s'accordent sur le maintenant d'un équilibre entre implication personnelle et distance professionnelle, afin de transformer ces signaux en interventions pertinentes, qui offrent un angle de réflexion clinique d'une manière unique. Réflexivité et posture clinique ------------------------------- L'analyse des modalités d'utilisation des résonances a montré que la réflexivité constitue un pilier fondamental de la posture clinique et éthique des thérapeutes systémiciens face aux violences faites aux femmes \[166\]. Cette compétence leur permet de naviguer avec finesse entre leur histoire personnelle, leurs valeurs et les exigences d'une posture éthique et cliniquement fonctionnelle. En s'engageant dans une analyse constante de leurs biais, émotions et positions, les thérapeutes (A, B, C, D, E) relatent observer une influence non seulement sur la qualité de la relation thérapeutique, mais également l'adéquation de leurs outils et méthodes face aux dynamiques engagées par les violences. Cette section explore les dimensions centrales de la réflexivité et de la posture clinique à travers trois sous-thèmes principaux. Tout d'abord, **5.3.1. Influence des trajectoires personnelles et professionnelles sur les pratiques cliniques** \[61\] examine comment les expériences personnelles et professionnelles des thérapeutes façonnent leurs interventions. Ensuite, **5.3.2. Posture éthique : entre engagement et \"objectivité\" clinique** \[62\] explore les tensions entre engagement personnel et exigences éthiques. Enfin, **5.3.3. Adaptation des outils thérapeutiques aux VAW : évolution et limites** \[43\] analyse la manière dont les thérapeutes ajustent leurs approches pour répondre aux besoins spécifiques des patientes victimes de violences. ### 5.3.1. Influence des trajectoires personnelles et professionnelles sur les pratiques cliniques Il ressort des discours que les trajectoires personnelles et professionnelles des cinq thérapeutes jouent un rôle crucial dans leur manière d'aborder les violences faites aux femmes en thérapie. Ces expériences, enracinées dans des contextes familiaux, sociaux et professionnels divers, influencent leurs représentations, sensibilités et pratiques cliniques. Les cinq thérapeutes interrogés (A, B, C, D, E) relient assez directement leur histoire personnelle à leur compréhension professionnelle des violences faites aux femmes, dans une perspective d'influences mutuelles. Certains mentionnent des expériences précoces de témoins ou de victimes de violences. Un participant témoigne de comment ces expériences marquantes ont orienté ses choix professionnels et nourri son engagement clinique : *« (...) c\'est la première violence que j\'ai vue faite aux femmes. À ma mère.* Par mon expérience de tout petit (...) c\'est ça qui m\'a mené vers la psychiatrie (...) » (E4) Dans cette perspective, les rôles sociaux et/ou symboliques, comme ceux de parent ou de médiateur familial, sont également cités comme des influences importantes. Une participante explique : *« Je trouve bien de pouvoir, au travers de ma pratique professionnelle, de mon engagement professionnel, de mon engagement dans la formation, de mes lectures et tout ça, comment dire ? (...) parce que je prends conscience de choses que je que je ramène aussi dans ma propre famille. »* (D9) Un autre relie sa place de médiateur familial à sa pratique systémique : *« Parce que j\'ai toujours eu ce rôle de médiation dans ma famille (...) et un systémicien c\'est peut-être quelqu\'un qui avait ce rôle de médiation dans sa famille et qui a échoué (...) »* (E4) Ces influences se reflètent dans leur manière d'aborder les dynamiques familiales et de pouvoir en thérapie. De plus, tous les thérapeutes (A, B, C, D, E) rapportent une évolution de leurs représentations des VAW grâce à leur expérience professionnelle et à leurs formations. Une participante témoigne : *« Elle a beaucoup évolué* \[vision VAW\] *(...) je me suis rendu compte du nombre de gens qui avaient subi des violences (...) après j\'ai fait aussi une deuxième formation qui est psychotraumato\'. Donc du coup ça oriente aussi un petit peu. »* (A19) Cette évolution reflète donc également leur propre développement personnel, comme le souligne une autre participante : *« Elles ont évolué* \[représentations VAW\] *aussi au fil de comment moi je continue de me développer ou pas. »* (B11) Ainsi, les trajectoires personnelles et professionnelles des cinq thérapeutes influencent directement leurs représentations des VAW, leur sensibilité à ces problématiques et leurs pratiques cliniques, dans une perspective où ces expériences enrichissent leur capacité d'accompagnement tout en exigeant une vigilance réflexive constante. ### 5.3.2. Posture éthique : entre engagement et \"objectivité\" clinique La posture éthique des thérapeutes systémiciens face aux violences faites aux femmes (VAW) repose sur un équilibre entre engagement personnel, respect des patientes et réflexivité. Cette posture est fondée sur les principes d'authenticité, de respect et de co-construction, tout en affrontant les défis que posent des contextes marqués par les inégalités et la violence. Premièrement, les thérapeutes (A, B, C, D, E) insistent sur l'importance de valider les récits des patientes tout en reconnaissant leur expertise sur leur propre vécu. Une participante explique : *« Moi je fais vraiment confiance. C\'est-à-dire, dans la relation avec une personne, l\'expert de la situation c\'est la personne qui vient. »* (B3) *« C\'est vraiment la personne qui a toujours raison dans ce qu\'elle a besoin, de ses objectifs, même si je peux me dire moi c\'est pas ça que j\'aurais pensé au premier abord. »* (B11) Cependant, il ne s'agit pas d'emprunter une posture passive. Certains thérapeutes (C, E) prônent leur engagement, au service d'une posture authentique, préférant assumer leurs positions personnelles de manière transparente. Une participante raconte : *« (...) moi je dis au départ, \"comment vous allez faire pour venir en thérapie chez une, chez une thérapeute vraiment résolument féministe ?\" (...) »* (C21) Elle accompagne cette transparence d'une réflexion éthique sur l'influence qu'ils peuvent exercer dans la relation thérapeutique : *« Le plus conscient possible de ce qu\'on fait, de l\'influence qu\'on peut donner, de la formuler aussi. »* (C21) En outre, pour la majorité (A, B, E) l'éthique de leur posture inclut de dédier une grande importance à la co-construction respectueuse avec les patientes. En ce sens, par exemple dans les situations où des patientes utilisent des termes comme \"toxique\" ou \"pervers narcissique\", les thérapeutes (A, B, C, D) optent pour une exploration critique, restituant aux patientes leur pouvoir d'interprétation tout en évitant de figer leurs récits. Dans une démarche très similaire à celle des autres participants, un psychothérapeute rapporte : *« Je m\'intéresse à ce qu\'elle dit (...) je lui demande pourquoi elle dit ça (...) »* (E9) La posture authentique des thérapeutes (A, B, C) les engage, avec la prudence susmentionnée de ne veiller à ne pas imposer de croyances, à rendre leur patientèle attentive à certains signaux : *« Je dis ces choses-là, ''quand vous décrivez les choses comme ça, ça me fait penser (...)'' sur la manière dont on sait que les victimes peuvent ressentir »* (B10) Ainsi, cette posture éthique combine engagement envers les patientes, vigilance réflexive et psychoéducation pour maintenir une relation authentique et éviter toute reproduction de dynamiques relationnelles violentes. ### 5.3.3. Adaptation des outils thérapeutiques aux VAW : évolution et limites Comme il a été évoqué, les discours des thérapeutes (A, B, C, D, E) révèlent une évolution constante dans l'utilisation des outils thérapeutiques pour accompagner les patientes confrontées aux violences faites aux femmes. Spécifiquement, ces ajustements reflètent et reposent sur leurs expériences, formations, ressources externes et réflexions personnelles : *« Je crois que j'évolue aussi avec ce que j\'entends dans les médias, ce que je lis dans les journaux (...) »* (E11) *« Il y a plusieurs, plusieurs lectures qui m\'ont (...) beaucoup aidé à comprendre des choses, comme King Kong Théorie »* (C19) *« (...) ce qui a évolué, c\'est plutôt le fait de, de pouvoir faire confiance à mes sensations et à mes perceptions »* (C20) Les thérapeutes (A, B, C, D, E) rapportent une transformation progressive de leurs outils au fil du temps. Une participante souligne : *« (...) si toutefois elle a toujours été présente* \[VAW\], *moi dans ma pratique, je pense que ma manière de les aborder elle a beaucoup évolué. »* (D1) Malgré ces adaptations, la plupart des thérapeutes (B, C, D, E) reconnaissent les limites de leurs pratiques et continuent à réfléchir aux moyens de les affiner. Une participante confie : *« Je pense que moi j\'ai eu au long de ma carrière, j\'espère, en avoir de moins en moins des angles morts (...) »* (C13) En somme, l'adaptation des outils thérapeutiques face aux VAW illustre l'effort constant des thérapeutes pour affiner leurs pratiques dans des contextes complexes. En combinant apprentissages, expériences, théorie et vigilance éthique, ils cherchent à répondre aux besoins des patientes tout en reconnaissant les limites de leur posture clinique. Finalement, cette démarche n'est possible, pour les thérapeutes (A, B, C, D, E) que dans une perspective humble d'apprentissage et d'évolution constante. Enjeux contextuels, institutionnels et sociétaux en thérapie ------------------------------------------------------------ Un autre aspect majeur des violences faites aux femmes est qu'elles s'enracinent dans des dynamiques sociales, culturelles et institutionnelles qui influencent leur reconnaissance et prise en charge \[77\]. Les thérapeutes systémiciens interrogés (A, B, C, D, E) soulignent l'impact des représentations sociales, des stéréotypes de genre et des mouvements sociopolitiques sur leur pratique clinique. Cette section explore ces enjeux à travers trois sous-thèmes : **5.4.1. L'impact des mouvements sociaux et des médias sur la clinique**, **5.4.2. Stéréotypes genrés, idées reçues et biais structurels dans la thérapie**, et **5.4.3. Considérations intersectionnelles : genre, classe et autres axes d'oppression**. ### 5.4.1. L'impact des mouvements sociaux et des médias sur la clinique Les mouvements sociaux, comme \#MeToo, et les représentations médiatiques influencent significativement les pratiques thérapeutiques en offrant des repères, notamment pour verbaliser les violences tout en posant certains défis pour les thérapeutes (A, B, C, D, E). Ils (A, C, E) reconnaissent une visibilité aujourd'hui plus accrue des VAW permise par ces mouvements. Un participant note : *« 20 ans en arrière, on ne parlait pas de MeToo. Aujourd'hui, c'est plus discuté. »* (E11) Cependant, les thérapeutes (A, B, C, D, E) nuancent par une mise en garde contre cette *popularisation*, qui peut aussi simplifier les récits et rendre la victime passive. Par exemple : *« Ces termes* \[comme pervers narcissique\] *ont aidé certaines personnes à identifier des dysfonctionnements, mais le risque est de vouloir mettre toute la responsabilité sur l'autre. »* (A18) Les mouvements sociaux sont perçus comme des moteurs de changement, bien que leur impact reste limité pour l'ensemble des thérapeutes (A, B, C, D, E). Certains participants notent aussi des contrecoups, comme l'éveil d'un masculinisme identitaire chez certains jeunes : *« Chez les jeunes garçons, un masculinisme émerge en réaction (...). »* (D11) Ces influences externes, bien que parfois ambivalentes, enrichissent néanmoins globalement le dialogue thérapeutique en ouvrant des perspectives pour reconnaître et traiter les violences. ### 5.4.2. Stéréotypes genrés, idées reçues et biais structurels dans la thérapie Dans une perspective similaire mais à valence opposée, les stéréotypes de genre et les biais structurels affectent profondément les dynamiques thérapeutiques. Les thérapeutes (B, C, D) mettent en évidence comment les normes patriarcales influencent la perception des violences. Une participante décrit l'impact de ces normes sur les patientes : *« Les femmes intériorisent des schémas patriarcaux et ne prennent pas toujours conscience des violences (...) »* (B7) Ces normes affectent également les hommes, qui considèrent certains comportements comme étant normaux : *« La socialisation patriarcale pousse les hommes à adopter des comportements considérés comme étant la norme (...) »* (D4) Malgré leurs efforts pour rendre la patientèle attentive à ces dimensions, les thérapeutes (A, B, C, D, E) reconnaissent qu'ils ne sont pas épargnés par ces biais. Une participante souligne : *« On est baigné dans ces schémas et il faut accepter qu'on ne soit pas toujours à la hauteur (...) »* (C13) Pour surmonter ces biais, les participants (B, D) préconisent une posture d'écoute active et un questionnement réflexif : *« Face à certaines attitudes, j'essaie de comprendre plutôt que de réagir (...) »* (B7) Comme ligne directrice pour les thérapeutes (A, B, C, D, E) : la prise de conscience critique et la réflexivité permettent de déconstruire ces biais pour co-construire une compréhension plus nuancée des VAW. ### 5.4.3. Considérations intersectionnelles : genre, classe et autres axes d'oppression En réponses aux problématiques soulevées ci-dessus, l'approche intersectionnelle permet, pour certains thérapeutes (B, D, E) de mieux comprendre les réalités complexes des patients, en tenant compte de multiples dimensions d'oppression comme le genre, la classe sociale ou le statut migratoire. Les thérapeutes (B, D, E) insistent sur la nécessité d'intégrer ces dimensions dans la prise en c

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