Macroéconomie Chapitre 1 EAD 2024 PDF
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2024
Bénédicte Coestier
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This document is a chapter on the nature of economics and its connection with ecology. It analyses the concepts of nature, ecological constraints, societal goals, and the transition to a sustainable and inclusive economic model. The chapter is part of a 2024-2025 course, likely for undergraduate students in economic studies.
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COURS 2024-2025 Nombre de pages : 63 Matière : Economie Code Enseignement : 4V5LJSED Intitulé de l'enseignement : Approche macroéconomique aux problèmes économiques contemporains :...
COURS 2024-2025 Nombre de pages : 63 Matière : Economie Code Enseignement : 4V5LJSED Intitulé de l'enseignement : Approche macroéconomique aux problèmes économiques contemporains : Economie de la transition écologique Nom de l'enseignant(e) Bénédicte Coestier Type d'EC (CM ou TD) CM Nature du document Chapitre 1 : Nature et économie Avertissement : Cette œuvre est protégée par le Code de la propriété intellectuelle. Toute diffusion illégale peut donner lieu à des poursuites disciplinaires et judiciaires. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 1 Table des matières Chapitre I : Nature et économie.............................................................................................................. 2 1) L’économie ancrée dans la Nature.............................................................................................. 2 a) Le concept de nature............................................................................................................... 2 b) Economie et Nature : un lien non durable.............................................................................. 5 2) Des contraintes physiques........................................................................................................... 6 a) Le concept des limites planétaires.......................................................................................... 6 b) Des limites planétaires aux contraintes physiques............................................................... 11 3) Des objectifs sociétaux.............................................................................................................. 35 a) Le volet social des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies....................... 35 b) L’économie du Donut............................................................................................................ 42 3) La transition écologique juste : un concept institutionnalisé................................................... 46 a) L’Union européenne et la transition juste............................................................................ 47 b) La France et la transition juste.............................................................................................. 55 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 2 Chapitre I : Nature et économie « “0ur economic possibilities are circumscribed – even if several steps removed via technological progress – by the Earth-System’s workings. We are embedded in Nature; we are not external to it. No amount of technological progress can make economic growth as conventionally measured an indefinite possibility. Ours is inevitably a finite economy, as is the biosphere of which we are part.” Sir Partha Dasgupta (2021)1. Dans le cadre de ce premier chapitre, nous nous intéressons aux principes sous-jacents à la transition écologique. Nous explicitons, tout d’abord, en quoi l’économie (en tant que réalité, système productif, consommation, etc.) doit être envisagée comme ancrée dans la Nature (cf. citation ci-dessus). Nous précisons alors les contraintes physiques qui s’imposent au système économique et qui obligent à redéfinir les objectifs macroéconomiques, notamment la prise en compte d’objectifs sociaux, permettant la concrétisation d’un modèle économique durable et inclusif. Enfin, nous présentons les feuilles de route de l’Union européenne et de la France en matière de transition écologique juste, concept institutionnalisé qui fait de la protection de la Nature et de la justice sociale des impératifs. 1) L’économie ancrée dans la Nature a) Le concept de nature Pour les écologues, la Nature désigne l’ensemble du monde biotique (la biodiversité) et abiotique (les roches mais aussi les planètes par exemple), les organismes vivants, en tant qu’objet d’étude, étant en interaction avec le monde abiotique, le non-vivant. Elle décrit globalement l’ensemble du monde physico-chimique et des principes qui l’animent, dont la « biodiversité » désigne alors la fraction vivante. Le climat, par exemple, fait partie de la Nature, mais pas de la biodiversité, tout en ayant un impact majeur sur cette dernière. 1 Dasgupta, P. 2021. The Economics of Biodiversity: The Dasgupta Review. Sir Partha Dasgupta est professeur émérite à l’université de Cambridge. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 3 La biodiversité, qui fait partie de la Nature, répond directement aux besoins primaires de l’Homme en apportant oxygène, nourriture et eau potable. Elle contribue également au développement des activités humaines en fournissant matières premières et énergies. La biodiversité permet à la Nature d’être productive, résiliente et capable de s’adapter. Réduire la biodiversité, c’est nuire à la Nature et à l’humanité2. L’écologie, en tant que science de la Nature, étudie les interactions entre les organismes vivants et entre ces organismes et leur milieu physico-chimique (ou leur milieu de vie). Elle s’attache également à comprendre et prédire les conséquences de toutes ces interactions à toutes les échelles temporelles et spatiales possibles. Aussi, elle nous informe sur le fonctionnement des écosystèmes et les effets de l’activité économique, notamment de l’extraction des ressources naturelles pour notre production et notre consommation, ainsi que des déchets produits dans le cadre de ces activités, qui finissent par endommager les écosystèmes et par affaiblir leur capacité à fournir les services dont nous dépendons. Ces notions d’écosystème et de service écosystémique s’inscrivent dans la vision scientifique de la Terre en tant que système, « le Système Terre » qui s’est développée au cours des années 80. La Terre est considérée comme un système et constituée de l'atmosphère, de l'hydrosphère, de la lithosphère et de la biosphère, ces quatre sphères s’échangeant des éléments (eau, minéraux, azote, carbone, etc.). Un écosystème est composé de l’ensemble des organismes interagissant dans un milieu donné, et du milieu physico-chimique supportant la vie de ces organismes. La biosphère désigne l’ensemble des écosystèmes de la Terre correspondant à la couche de l’atmosphère, de l’hydrosphère et de la lithosphère où la vie est présente3. Elle regroupe l’ensemble des êtres vivants et leur milieu physico-chimique (eau, air, et sols). L’objet de la science du système terrestre est d’étudier la manière dont les données scientifiques issues de divers domaines de recherche et de l’observation des compartiments du système s’imbriquent pour former l’image actuelle de notre planète et représenter les changements qui l’affectent. Les services écosystémiques désignent les multiples contributions que la Nature apporte à la société. Ces services écosystémiques sont classés en quatre catégories : services 2 Tout comme la diversification d’un portefeuille d’actifs financiers réduit le risque et l’incertitude, la diversification d’un portefeuille d’actifs naturels accroît la résilience de la Nature aux chocs, réduisant ainsi les risques pour les services qu’elle fournit. 3 https://www.larousse.fr/encyclopedie. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 4 d’approvisionnement, services de régulation, services culturels, et services de soutien. Ils sont décrits dans le schéma ci-après. Il ressort de ce schéma que la biodiversité est à la fois source et produit du bon fonctionnement des écosystèmes dont dépendent les services écosystémiques. De sorte que l’érosion de la biodiversité nuit à l’ensemble de ces services écosystémiques et à la société. Pour les sciences humaines et sociales, la notion de Nature peut aussi désigner diverses acceptions des relations, des liens qui existent entre les humains et la Nature. Les services écosystémiques illustrent ces différents liens. Ils décrivent la relation de dépendance que nous entretenons avec la Nature. Nous en dépendons pour nous procurer nourriture, eau et logement (services d’approvisionnement); pour modérer le climat et les maladies (services de régulation); pour assurer les cycles de nutriments et la production d’oxygène (services de soutien); et pour nous offrir un épanouissement spirituel et des possibilités de loisirs et de récupération susceptibles d’améliorer notre santé et notre bien-être (services culturels). La planète nous sert également de puits pour nos déchets (dioxyde de carbone, plastiques et autres formes de déchets, pollution, etc.), autre service de régulation. Ainsi, selon Dasgupta (2021), la Nature est un actif au même titre que le capital produit (routes, bâtiments, machines et usines) et le capital humain (santé, connaissances et compétences). Le point de départ d’une économie de la transition écologique réside dans la compréhension et l’acceptation de l’idée, ou « vérité simple » selon laquelle « nos économies sont ancrées dans la Nature, et non pas à l’extérieur de celle-ci ». Cette idée transforme « notre 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 5 compréhension de ce qui constitue une croissance et un développement économiques véritablement durables : il s’agit de tenir pleinement compte de l’impact de nos interactions avec la Nature et de rétablir l’équilibre entre notre demande et la capacité d’offre de la Nature. » Dasgupta (2021). b) Economie et Nature : un lien non durable Depuis le XIXème siècle et l’ère industrielle, l’impact de l’homme sur son environnement n’a cessé de croître et les principaux bouleversements environnementaux identifiés concernent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Le changement climatique désigne les variations des températures et des conditions météorologiques sur le long terme. Ces variations peuvent être un phénomène naturel, mais depuis le début du XIXe siècle, elles résultent principalement de l’activité humaine, notamment de l’utilisation des combustibles fossiles (tels que le charbon, le pétrole et le gaz) par le système productif qui produisent des gaz à effet de serre. En matière de biodiversité, si certaines causes naturelles peuvent expliquer la disparition d’espèces ou de milieux naturels, le rythme d’érosion actuel est largement attribuable aux activités humaines : urbanisation et développement des infrastructures de transport (destruction et fragmentation des milieux naturels), surpêche, déforestation, braconnage, etc. (surexploitation d’espèces sauvages), pollutions de l’eau, des sols et de l’air, introduction d’espèces exotiques envahissantes. Le changement climatique (qui fait partie de la Nature mais pas de la biodiversité) peut s’ajouter à ces causes et les aggraver. Il contribue à modifier les conditions de vie des espèces, les forçant à migrer ou à adapter leur mode de vie. Cette mise en lumière du rôle joué par l’homme sur la Nature a alimenté l’idée selon laquelle nous serions entrés dans une nouvelle ère géologique, « l’Anthropocène », marquée par la reconnaissance du rôle majeur joué par les humains dans la perturbation des dynamiques planétaires. L’hypothèse avancée par le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugen Stoermer, qui ont popularisé ce concept, est la suivante : l’ampleur des bouleversements environnementaux induits par les humains a fait basculer le système terrestre dans un nouvel état. La planète quitterait l’Holocène, cette période interglaciaire qui a débuté il y environ 12 000 ans, qui se caractérise par des conditions atmosphériques relativement stables ayant permis le développement des civilisations humaines. Si cette nouvelle catégorisation du temps géologique n’a toujours pas été officiellement validée par la communauté scientifique, cette hypothèse soutient l’idée selon laquelle on ne peut plus séparer le développement humain de 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 6 la Nature. Ces bouleversements environnementaux sont principalement dus à l’augmentation de la population, au progrès technique accroissant considérablement la capacité de création mais aussi de destruction de l’homme, et à la logique de l’organisation sociale et économique. S’il est difficile de pondérer le poids de ces différents facteurs, poids variable selon les périodes et les régions, il est certain qu’actuellement, les deux derniers facteurs ont joué un rôle considérable. L’essor des activités économiques repose sur la puissance énergétique rendue possible par la transition énergétique qui s’est opérée à cette époque, caractérisée par le passage d’un ensemble d’énergies de flux (solaire, éolienne, hydraulique) à l’exploitation de plus en plus intensive des énergies de stock (énergies fossiles, essentiellement pétrole, charbon et gaz). Si l’énergie a joué un rôle essentiel dans la transformation des sociétés industrielles, les choix sociaux et politiques, notamment en matière technologique, ont également influencé nos sociétés. Cette période est ainsi marquée par une dynamique d’accumulation du capital produit (machines, infrastructures, etc.), ce qui conduit certains auteurs à désigner cette période sous le nom de « Capitalocène », l’ère géologique du capital4. Adopter le point de vue selon lequel l’économie est ancrée dans la Nature implique de retenir des contraintes physiques dans le processus décisionnel au niveau macroéconomique comme au niveau microéconomique. 2) Des contraintes physiques L’objet de cette section est de préciser les contraintes physiques qui sont plus particulièrement prises en considération d’un point de vue pratique. a) Le concept des limites planétaires - Origine du concept : Le rapport Meadows Dans leur ouvrage intitulé « The limits to growth » publié en 1972, et traduit en français sous le titre « Halte à la croissance ? » (Fayard, 1972), Meadows et al. expliquent que les limites écologiques planétaires auraient une influence importante sur le développement mondial durant le XXIème siècle. 4 https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie- social/anthropocene-ou-capitalocene-2552791. On peut citer le récent ouvrage de Michel Aglietta et Etienne Espagne, Pour une écologie politique : Au-delà du Capitalocène, Odile Jacob, 2024. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 7 Cet ouvrage fait état de recherches effectuées au sein du groupe d'étude de dynamique des systèmes du MIT qui a développé un modèle informatique, « World 3 », intégrant des données et des théories relatives à la croissance. Douze scénarios sont présentés et analysés conduisant à différents modes de développement de l’Humanité, de 1900 à 2100. Ces 12 scénarios soulignent que l'augmentation de la population et de l'utilisation des ressources se heurtent en particulier à des limites physiques : la disparition des ressources naturelles et la capacité limitée de la Terre à absorber les émissions industrielles et agricoles. Tous les scénarios proposés prévoyaient un arrêt de la croissance à un moment ou à un autre du XXIème siècle. Leur principale conclusion est donc que la croissance matérielle perpétuelle conduira tôt ou tard à un « effondrement » du monde, c’est-à-dire une diminution brutale de la population accompagnée d’une dégradation significative des conditions de vie. Cet « effondrement » se produirait avant 2100. Les causes de cet effondrement seraient au nombre de 3 : la disparition des matières premières, la pollution et la pression démographique sur la nourriture. En 1992, année du Sommet de la Terre à Rio, ces mêmes auteurs publient un second ouvrage sur le même thème intitulé « Beyond the limits » dans lequel ils confirment leur conclusion précédente et en ajoute une nouvelle d’une grande importance : en poursuivant une trajectoire de croissance non-durable, l’humanité avait déjà dépassé les limites physiques…. Mais les auteurs restent optimistes : en modifiant le système, les dégâts entraînés par ce dépassement pouvaient être résorbés. Dans la mise à jour de leur ouvrage trente ans après, en 2004, intitulé « The limits to growth : the 30-year update », ils montrent que la première décennie du XXIème siècle est encore marquée par la croissance. Et l’optimisme s’atténue : modifier le système devient impératif si l’on souhaite éviter l’effondrement lors du XXIème siècle. Les auteurs soulignent que la modification du système passe notamment par le changement de la structure d’information : « Un système doté d’une nouvelle structure de l’information peut finir par changer lui aussi ses propres structures sociales et physiques. Il peut développer de nouvelles lois, de nouvelles organisations, de nouvelles technologies, enrichir les individus de nouvelles compétences, concevoir de nouvelles machines ou de nouveaux bâtiments. Pareille transformation n’a pas besoin d’être dirigée de façon centralisée, elle peut être non planifiée, naturelle, évolutive, dynamisante et joyeuse. ». 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 8 - Le cadre général du concept Le concept des limites planétaires, proposé en 2009 (Rockström et al.), révisé en 2015 (Steffen et al.), puis en 2023 (Richardson et al.), vise à définir un « espace de fonctionnement sûr pour l’humanité »5. Il repose sur la prise en compte de l’évolution de neuf phénomènes complexes et interconnectés identifiés par les scientifiques pour préserver l’équilibre du système Terre6 : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le changement d’usage des sols, l’utilisation de l’eau douce, l’acidification des océans, l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère, l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère. Pour étudier l’évolution de ces phénomènes, une ou plusieurs « variables de contrôle » sont définies à l’échelle globale, voire régionale. Un « seuil » critique est fixé pour chacune de ces variables avec une « zone d’incertitude » constituée de deux valeurs : une valeur basse (« frontière planétaire ») et une valeur haute (« limite planétaire »). La frontière représente la zone de danger qui précède la limite au-delà de laquelle les écosystèmes pourraient basculer dans un état inconnu et probablement défavorable à l’homme. Parmi ces neuf limites planétaires, le changement climatique et l’intégrité de la biosphère sont considérées comme centrales parce qu’elles sont en interaction avec toutes les autres limites planétaires, et que des changements importants dans le climat ou l’intégrité de la biosphère pourraient à eux seuls faire basculer le système Terre dans une nouvelle ère géologique7. 5 Rockström. J. et al. (2009). “A Safe Operating Space for Humanity.” Nature 461:472-475. Steffen, W. et al. (2015). « Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet.” Science 347: 1259855 1- 10. Richardson K. et al., 2023. Earth beyond six of nine planetary boundaries. Sciences Advances 37. 6 Depuis les années 80 et L’Earth System Committee, la Terre est considérée comme un système et constituée de l'atmosphère, de l'hydrosphère, de la lithosphère et de la biosphère, ces quatre sphères s’échangeant des éléments (eu, minéraux, azote, carbone, etc.). La science du système terrestre étudie la manière dont les données scientifiques issues de divers domaines de recherche et de l’observation des compartiments du système s’imbriquent pour former l’image actuelle de notre planète et représenter les changements qui l’affectent. 7 Steffen et al., (2015). Le système climatique est une manifestation de la quantité, de la distribution et du bilan net de l'énergie à la surface de la Terre ; la biosphère régule les flux de matière et d'énergie dans le système Terre et accroît sa résilience face aux changements brusques et progressifs. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 9 - Les limites planétaires en 2023 En septembre 2023, le Stockholm Resilience Center a publié une actualisation du cadre conceptuel des neuf limites planétaires (Richardson et al.38, 2023). Pour la première fois, les neuf limites planétaires sont quantifiées. De nouvelles variables de contrôle sont affectées à quatre limites (intégrité de la biosphère/diversité fonctionnelle, cycle de l’eau douce/eau bleue, aérosols dans l’atmosphère, entités nouvelles), venant révéler ou confirmer leur franchissement. Les limites planétaires en 2023 Source : La France face aux neuf limites planétaires, Ministère de la transition écologique et de la cohérence des territoires, 2023. En 2023, les scientifiques établissent que six des neuf limites planétaires sont désormais dépassées (cf. schéma ci-dessus) : le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le changement d’usage des sols, l’utilisation de l’eau douce, et l’introduction d’entités nouvelles (comme la pollution chimique). Et, pour toutes les limites précédemment considérées dépassées (le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore et l’introduction d’entités nouvelles), le niveau de dépassement augmente. La planète se trouve dorénavant bien au-delà de l’« espace de fonctionnement sûr pour l’humanité ». La dégradation des conditions d’habitabilité de la planète s’est poursuivie au cours du XXIème siècle. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 10 Qu’en est-il au niveau de la France ? Le schéma suivant fournit une description de ces différents phénomènes ainsi que la situation de la France au regard de ces neuf limites planétaires (avant la révision de 2023). Source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-france-face-aux-neuf-limites-planetaires *Eutrophisation : prolifération excessive de végétaux ou d’algues entraînant l’asphyxie d’un milieu. **Anoxie : conséquence de la généralisation du phénomène d’eutrophisation. Sur les 9 limites, six seraient dans une zone critique (avec un risque élevé ou risque croissant) : le changement climatique, l’intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, le changement d’usage des sols, l’utilisation de l’eau douce, et l’introduction d’entités nouvelles. Concernant les 3 autres limites, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère n’a pas l’objet d’une quantification, et les limites concernant l’acidification des océans et l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique seraient respectées. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 11 Le cadre des limites planétaires fournit une analyse scientifique du risque que les perturbations humaines déstabilisent le système Terre à l'échelle planétaire. Il vise à mettre un frein à la dégradation environnementale associée à la Grande Accélération, période intervenue dans la deuxième moitié du XXème siècle, qui se caractérise par une croissance démographique sans précédent et une intensification des activités humaines, accompagnées d’une surconsommation massive de la Nature8. Enfin, ce cadre fournit une évaluation de la « santé planétaire » qui, indirectement, renseigne sur la santé humaine : comme le soulignent R. Horton, R. Beaglehole et al. (2014), soutenabilité des systèmes naturels et soutenabilité humaine sont interdépendants9. Dans leur manifeste, ces auteurs en appellent à l’essor d’un nouveau principe de planétisme et de bien- être pour tous sur la planète, « a principle that asserts that we must conserve, sustain, and make resilient the planetary and human systems on which health depends by giving priority to the wellbeing of all”. b) Des limites planétaires aux contraintes physiques Le changement climatique et l’intégrité de la biosphère sont les deux limites planétaires fondamentales, qui englobent toutes les autres. La prise en compte de ces deux limites planétaires par le système économique impose de les considérer comme des contraintes physiques. Ces contraintes physiques font l’objet d’études et d’estimations au niveau mondial par les scientifiques. Cette information scientifique sur le climat et la biodiversité fait l’objet d’une évaluation périodique par respectivement par le GIEC et l’IPBES. Les rapports rédigés dans le cadre des évaluations permettent un suivi des engagements pris par les Etats dans le cadre d’accords internationaux, l’Accord de Paris de 2015 en matière de climat et l’Accord de Kunming- Montréal de 2022 en matière de biodiversité. 8 W. Steffen, W. Broadgate et al. (2015) “The Trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration “ Anthropocene Review, vol 2, 1, 81-98; 9 R. Horton, R. Beaglehole et al. (2014) « From Public to Planetary Health: a Manifesto”, The Lancet, vol. 383, n°9920. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 12 - Le GIEC : la connaissance scientifique sur le réchauffement planétaire Le GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat), créé en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation météorologique mondiale (OMM), est une organisation regroupant 195 États membres de l’ONU. Son objectif est de faire régulièrement un état des lieux, sans parti pris, des connaissances scientifiques les plus avancées sur le climat. A cet effet, des milliers d’experts volontaires du monde entier évaluent, analysent et synthétisent les nombreuses études scientifiques sur le sujet10. Le GIEC est organisé en trois groupes de travail. Le groupe I étudie les aspects scientifiques du climat. Le groupe II évalue les conséquences, la vulnérabilité et l'adaptation au changement climatique. Le groupe III étudie son atténuation. Les rapports du GIEC sont au cœur des négociations internationales sur le climat qui se tiennent lors des conférences des Parties (COP). La prochaine conférence des Parties, la COP29, se tiendra à Bakou en novembre. Le 6ème rapport du groupe I, intitulé « Changements climatiques 2021 les éléments scientifiques » a été publié en juillet 2021. Les groupes II et III ont publié leur rapport en 2022. Réchauffement planétaire et changement climatique Le réchauffement planétaire, c’est-à-dire l’augmentation de la température moyenne sur le long terme (au moins 30 ans) de la planète, provient d’une modification de la composition de l’atmosphère, notamment du fait de l’homme. Les activités humaines, en ajoutant des gaz à effet de serre (cf. encadré n°1 pour une description de ces gaz) dans l’atmosphère (principalement du CO2 par combustion d’énergies fossiles), conduisent à un déséquilibre de notre système atmosphérique, la planète recevant plus d’énergie qu’elle n’en émet11. Encadré n°1 : Les gaz à effets de serre Le schéma suivant présente les différents gaz à effet de serre ainsi que leur contribution au forçage radiatif total des GES pour l’année 2010. 10 En 2007, le GIEC a partagé le prix Nobel de la Paix avec Al Gore. 11 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 13 Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz à effet de serre d’origine anthropique qui influe sur le bilan radiatif de la Terre. Les autres gaz considérés sont le méthane (CH4), présent dans les combustibles hydrocarbonés et également lié à l’élevage et l’agriculture, tout comme l’oxyde nitreux ou protoxyde d'azote (N2O); les hydrofluorocarbones (HFC), utilisés comme fluide de réfrigération et/ou propulseur d'aérosols ; les hydrocarbures perfluorés (PFC) qui sont utilisées notamment en médecine et en plongée sous-marine ou encore dans la fabrication des semi-conducteurs, et l'hexafluorure de soufre (SF6) également utilisé dans l'industrie. Le dioxyde de carbone (CO2) est également le gaz de référence pour mesurer l’impact des autres gaz à effet de serre. Le potentiel de réchauffement global (PRG) du CO2 est ainsi égal à 1. Le potentiel de réchauffement global (PRG) d’un gaz dépend de la durée sur laquelle il est calculé. Ainsi, le PRG du méthane est de 28 à 30 lorsqu’il est calculé sur 100 ans, et de 84 lorsqu’il est calculé sur 20 ans. Les inventaires de GES sont habituellement exprimés avec un PRG à 100 ans. Cette métrique donne plus de poids aux gaz persistants qu’aux gaz avec une courte durée de vie, tandis que le PRG à 20 ans montre l’importance que prennent les émissions de méthane à cet horizon. Le PRG à 100 ans du protoxyde d’azote est estimé à 265. En 2010, les contributions des différents gaz au forçage radiatif total des GES sont les suivantes : le CO2 à hauteur de 76%, le CH4 à hauteur de 16%, le N2O à hauteur de 6% en 2018, et les gaz fluorés à hauteur de 2%. Cette modification de la composition de l’atmosphère va contribuer, au cours du temps, à augmenter l’effet de serre, c’est-à-dire l’absorption des infrarouges par l’atmosphère (ou 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 14 encore l’opacité de l’atmosphère aux infrarouges), ce qui va contribuer au réchauffement global de l’atmosphère et de la planète (cf. encadré n°2)12. Encadré n°2 : Emissions cumulées et réchauffement planétaire : relation et projections selon différents scénarios Les futurs possibles du GIEC : 5 scénarios Le GIEC s’appuie sur 5 scénarios appelés SSP (Shared Socio-economic Pathways, ou « Trajectoires socio-économiques partagées ») pour étudier les impacts futurs possibles du réchauffement climatique. Ces scénarios reflètent diverses possibilités d’évolutions futures en termes de population, de développement économique et technologique et de politiques environnementales. Ces scénarios d’émissions sont représentés dans le graphique suivant. Les scenarios d’émissions de GES futures (en milliards de tonnes de CO 2 par an) analysés par le GIEC. Ces scénarios peuvent être classés selon leur « degré d’optimisme » quant aux réductions des émissions de GES (plus ou moins rapides) et de réchauffement planétaire : -deux scénarios sont optimistes : SSP1-1.9 et SSP1-2.6 lesquels reposent sur de fortes réductions immédiates des émissions de GES (les deux courbes bleues); 12 J-M Jancovici, Le réchauffement climatique expliqué à ma fille, Seuil, 2nde édition, 2017. Cette intensification a bousculé l’équilibre entre l’énergie solaire qui entre dans le système climatique planétaire et l’énergie que la Terre rayonne vers l’espace. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 15 - deux scénarios « intermédiaires » : SSP2-4.5 dans lequel les émissions ralentissent pour atteindre un plateau puis commencent à baisser à partir de 2050 (courbe jaune) et SSP3-7.0 dans lequel les émissions progressent régulièrement jusqu’en 2100 (courbe rouge clair); - un scénario « catastrophe » dans lequel les émissions annuelles de GES tripleraient d’ici 2100 (SSP5-8.5), avec une forte progression des émissions jusqu’en 2080 puis une baisse qui s’amorce en 2095 (courbe rouge foncé). Ces scénarios sont ensuite utilisés pour faire tourner des modèles climatiques globaux, c’est- à-dire des algorithmes qui simulent l’évolution du climat planétaire durant des décennies. Le graphique ci-après décrit l’augmentation de température mondiale (en °C) depuis 1850-1900 (en ordonnées) en fonction des émissions cumulées de CO2 -en Gt de CO2/an- (en abscisses). Source : The Shift Project. Il met en évidence une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement planétaire pour les 5 scenarios d’émissions jusqu’en 2050. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 16 Chaque 1000 Gt (Gigatonne = milliard de tonnes) de CO2 supplémentaire augmenterait la température de surface mondiale moyenne d’environ 0.45°C. Tous les rapports du GIEC confirment le consensus international des scientifiques sur deux points principaux : - la responsabilité humaine de l’augmentation de la température moyenne ; - et le changement climatique c’est-à-dire les conséquences climatiques extrêmes (tornades, cyclones, élévation du niveau des océans, canicules, etc.), dans toutes les parties du globe, du réchauffement planétaire. Notons que toutes les zones climatiques ne sont pas touchées de la même manière : elles réagissent différemment en fonction de leur géographie, du type de sol ou des courants océaniques. Ainsi, les zones polaires se réchauffent deux fois plus vite que le reste du globe. On parle alors de changement climatique. L’Insee définit le changement climatique comme une variation du climat due à des facteurs naturels ou humains. Atténuation et adaptation Atténuer le changement climatique et s’y adapter sont les deux voies indispensables pour réduire les risques associés au réchauffement planétaire. L’atténuation fait référence aux causes du réchauffement et l’adaptation aux conséquences. Source : https://www.ecologie.gouv.fr/ Une activité contribue à l’atténuation du changement climatique si elle contribue à la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à un niveau 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 17 qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique13. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il s’agit d’activités permettant : - de réduire ou limiter les émissions de GES ; - la protection et l’amélioration des puits et réservoirs des GES (comme les forêts et les sols). Une action contribue à l’adaptation au changement climatique dès lors qu’elle permet de limiter les impacts négatifs du changement climatique et d’en maximiser les effets bénéfiques. Ces actions d’adaptation peuvent concerner : - les modes d’organisation ; - la localisation des activités ; - les techniques employées. Renforcer les infrastructures de transport ou d’énergie pour en assurer la résilience dans un contexte de plus grande variabilité climatique, tenir compte dès maintenant des enjeux de confort d’été dans la conception et la rénovation des bâtiments, transformer les systèmes agricoles pour faire face à des sécheresses plus fréquentes, accompagner la reconversion des stations de ski ou encore recomposer les littoraux pour vivre avec la hausse du niveau de la mer sont des exemples d’actions d’adaptation au changement climatique. Si les actions d’atténuation présentent des effets immédiats, les effets des mesures d’adaptation sont davantage visibles à moyen terme et long terme. Concernant le réchauffement planétaire, le dernier rapport du groupe I du GIEC, tout en confirmant l’influence de l’Homme sur le climat et la nécessité de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C, souligne l’importance d’agir maintenant, l’ampleur et la rapidité des changements observés dépassant parfois les précédentes prévisions du GIEC. Ainsi, par rapport à la période (1850-1900), la température à la surface du globe, sur la période 2011- 2020, aurait augmenté de 1,09°C en moyenne14. Et le réchauffement de la température de 13 Les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre sont le résultat des émissions passées et actuelles cumulées. En 2019, selon l’Organisation Météorologique Mondiale, la concentration moyenne mondiale de CO 2 a atteint un niveau record de 410,5 parties par million (ppm), la barre des 400 ppm ayant été franchie seulement 4 ans plus tôt. Pour comparaison, la concentration de l’époque préindustrielle (1750) est estimée à 277-288 ppm. 14 Ce qui s’avère très important : pour la planète, un « grand changement » de température, c’est 5°C en 10 000 ans… 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 18 surface mondiale, directement imputable aux activités humaines, est estimé à 1.07°C, soit la quasi intégralité du réchauffement observé. La réduction des émissions de CO2 d’origine humaine est donc impérative, la quantité de ce gaz se trouvant dans l’air ayant augmenté de 40% depuis 1850. Concernant les impacts du réchauffement planétaire, le rapport du groupe II du GIEC établit notamment qu’avec un réchauffement planétaire ayant déjà atteint 1,09°C durant la dernière décennie par rapport à l’ère préindustrielle, les impacts sur les systèmes naturels sont à la fois plus étendus et plus élevés que ce qui était estimé dans les rapports précédents, notamment : baisses des populations animales et végétales, voire des extinctions à l’échelle du globe ; une mortalité en masse d’arbres sur les continents ; la destruction de récifs de coraux tropicaux, le déplacement d’espèces vers les pôles ou vers des altitudes plus élevées. Les impacts sur les systèmes humains sont également nombreux : rareté de l’eau (et ses conséquences sur le système productif - agriculture, production d’électricité hydraulique, etc.). ; impacts sur la santé (maladies infectieuses, stress physique et mental, migrations du fait des événements extrêmes plus fréquents) ; impacts sur les villes (inondations, cyclones, montée du niveau de la mer, dégâts sur les infrastructures et sur l’économie). Selon ce rapport, entre 3,3 milliards et 3,6 milliards d’individus (sur près de 8 milliards) vivraient dans des conditions hautement vulnérables au changement climatique. Enfin, le rapport du groupe III du GIEC, qui porte sur les mesures pour réduire les émissions de GES, souligne que les politiques climatiques mises en place sont insuffisantes. Il est tout d’abord établi que les émissions anthropiques totales nettes (GES) ont continué de croître sur la période 2010-2019, tout comme les émissions nettes cumulées depuis 1850. Les émissions annuelles moyennes au cours de la période 2010-2019 ont été supérieures à celles de toutes les décennies précédentes, mais le taux de croissance entre 2010 et 2019 a été inférieur à celui enregistré entre 2000 et 2009 (+1,3% contre 2,1%). Le respect de l’Accord de Paris nécessite de réduire de manière drastique les émissions de GES : elles doivent atteindre leur pic entre 2020 et 2025 au plus tard, et décroître jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. Elles doivent être réduites de près de 50% d’ici 2030 et de 80% d’ici 2040 par rapport à 2019 pour limiter la hausse des températures à 1,5°C. Ce rapport fait également état d’un panel de solutions pour favoriser un monde bas-carbone. Si ces solutions sont déjà connues (énergies bas-carbone, développement des puits de carbone15, innovations technologiques, 15 Un puits de carbone est un écosystème naturel (forêts, terres agricoles…) ou un procédé artificiel qui permet de capter une quantité significative de dioxyde de carbone (CO2). 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 19 etc.), il est intéressant de noter que la notion de sobriété (« sufficiency » en anglais) est, pour la première fois, largement mise en avant. La sobriété est définie par le GIEC comme une baisse de la demande en énergie, en matériaux non renouvelables, en eau et en sol tout en permettant à chacun de vivre décemment. Cette notion a été introduite particulièrement dans le secteur du bâtiment, et c’est l’un des points clés. Mais la sobriété, c’est également agir sur la demande et les services, en favorisant des styles de vie sobres en carbone : privilégier la marche ou le vélo à la voiture, réduire les déplacements en avion, ajuster la température de la climatisation, limiter le recours aux appareils électriques ou encore adopter un régime alimentaire moins carné. Ils précisent que les individus les plus aisés ont un potentiel important de réduction de leurs émissions, tout en conservant un niveau de vie décent. Ce levier de la sobriété, essentiel et complémentaire, demande des engagements sociétaux et politiques. En cela, il relève davantage de l’organisation collective que de choix individuels. Comme le souligne Valérie Masson-Delmotte (paléoclimatologue, co-présidente du groupe nᵒ 1 du GIEC de 2015 à 2023), « nous vivons dans un climat altéré, perturbé par les activités humaines. Nos modes de vie, qui exigent un recours massif aux énergies fossiles, ont créé une rupture. Quoi que l’on fasse, le climat va continuer à changer. Il faut s’y préparer, car le changement que nous avons inscrit dans l’atmosphère est irréversible pour plusieurs siècles, en raison d’une inertie dans le cycle du carbone. Ainsi, ce qui va conditionner l’avenir, c’est la somme des émissions de CO2 passées, présentes et futures. Si l’on agit maintenant pour diminuer nos rejets de dioxyde de carbone, cela donnera plus de marge de manœuvre aux jeunes générations. Dans le cas contraire, elles subiront un climat plus altéré encore16. » Il ressort de cette expertise scientifique que la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 est impossible sans une réduction importante et immédiate des émissions de GES, suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. Aussi, limiter la hausse des températures implique de respecter un « budget carbone » strict. Ce budget carbone constitue la contrainte physique en matière de climat. Entre 1850 et 2019, l’humanité a émis environ 2390 Gt de CO2, dont 64% issus des combustibles. Il est alors possible d’estimer, pour chaque scénario envisagé par le GIEC (cf. Encadré n°2), les budgets de CO2 restant à émettre à partir de 2020 jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à +1.5°C, il resterait environ 500 Gt de CO2 à émettre17. Pour rester sous 16 Entretien au journal La Croix du 22 mars 2020 (Source : https://www.la-croix.com/environnement/Valerie- Masson-Delmotte-Certains-ados-savent-climat-quun-ministre-2020-03-22-1201085374)). 17 Au rythme actuel, ce budget serait dépassé en 2032. Source : The Shift Project. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 20 +2°C, le budget serait de 1350Gt de CO2. La limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 relève de l’Accord de Paris (2015). - L’Accord de Paris (2015) Depuis 1995, plus d’une centaine de pays du monde entier se réunissent chaque année pour parler du climat et de la lutte contre le réchauffement planétaire dans le cadre de la Conférence des Parties, ou COP, qui est l'organe décisionnel chargé de contrôler la mise en œuvre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques – CCNUCC, qui est une des « Conventions de Rio », convention signée par 197 pays et territoires en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio18. Entre autres, cette convention-cadre oblige les Parties à agir dans l’intérêt de la sécurité humaine (même en cas d’incertitude scientifique) et fixe un objectif de stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre « à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Lors de la Conférence de Paris, la COP 21, les Parties à la CCNUCC sont parvenues à un accord, dénommé Accord de Paris, qui constitue le tout premier accord mondial juridiquement contraignant sur le changement climatique. Cet accord, adopté en décembre 2015, demande à tous les pays signataires de définir des objectifs ambitieux à travers les « contributions déterminées au niveau national » (CDN) de chaque pays, et de renforcer ces efforts dans les années à venir, afin de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels19. Pour beaucoup, l’objectif de 2°C n'est pas assez ambitieux : même un réchauffement limité à 2 °C aurait des conséquences dangereuses pour notre planète. L'Accord de Paris encourage les Parties à contenir la hausse des températures en dessous de 1,5 °C. Les CDN incarnent les efforts déployés par chaque pays pour réduire ses émissions nationales et s’adapter aux effets du changement climatique. Tous les pays signataires doivent régulièrement faire état de leurs émissions et de leurs efforts d’implémentation. Tous les 5 ans, chaque pays doit réviser - à la hausse - sa contribution 18 Les deux autres conventions adoptées lors de ce sommet sont la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD). 19 Les contributions nationales ont consultables via le lien suivant : https://www4.unfccc.int/sites/submissions/indc/Submission%20Pages/submissions.aspx. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 21 nationale20. Aussi, selon l’Article 14 de l’Accord de Paris, un bilan collectif, connu sous le nom de Bilan mondial (Global Stocktake, GST, en anglais) doit être établi21. Les enjeux autour de ce bilan mondial ont été au centre de la COP 28 qui s’est tenu à Dubaï en décembre 2023. Les cartes suivantes font état des pays qui ont annoncé une nouvelle CDN ou qui ont d’ores et déjà procédé à une révision de leur CDN. Source : https://www.climatewatchdata.org/2020-ndc-tracker En jaune, sur la carte de gauche, figurent les 178 pays (qui représentent 94,1% des émissions globales) qui ont soumis une CDN pour la première fois ou qui ont révisé leur CDN initiale. En bleu, sur la carte de droite, figurent les 109 pays sur ces 178 pays (qui représentent 80,9% des émissions mondiales) qui ont soumis une nouvelle CDN ou qui ont mis à jour leur CDN avec des niveaux d’émissions totales réduits. Les quatre économies les plus émettrices de gaz à effet de serre, à savoir la Chine, les Etats- Unis, l’Inde et l’UE ont ainsi révisé leurs engagements. Les principaux éléments de l’Accord de Paris, pour les quatre économies les plus émettrices de gaz à effet de serre, à savoir la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et l’UE 28 sont les suivants : La Chine : - Un engagement à faire culminer les émissions de CO2 aux alentours de 2030 (c’est-à- dire faire cesser leur augmentation aux alentours de 2030), - réduire d’ici 2030 l’intensité carbone du PIB (c’est-à-dire le ratio des émissions CO2 rapporté au PIB) de 60 à 65% par rapport au niveau mesuré en 2005, 20 En 2018, lors de la conférence des Nations Unies sur le climat (COP24), les Parties ont adopté le « paquet climat de Katowice » qui contient les règles, procédures et orientations communes et détaillées visant à concrétiser l’accord de Paris. 21 La COP 26 de Glasgow en 2021 a marqué le début du processus de deux ans visant à évaluer les progrès collectifs vers la réalisation de l'Accord et de ses objectifs à long terme en matière d'atténuation, d'adaptation et de financement. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 22 - développer les énergies renouvelables pour que la part des énergies non fossiles atteigne 20% de la consommation primaire d’énergie. - augmenter les volumes forestiers de 4,5 milliards de m3 par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030. Les Etats-Unis : Les CDN communiquées en 2016 font état d’un engagement à réduire les émissions de 26 à 28% d’ici 2025 par rapport au niveau de 2005. L’Inde : Un engagement à - réduire l’intensité carbone du PIB (secteur de l’agriculture exclu) de 33% à 35% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005, - augmenter la part des énergies non fossiles dans la production d’électricité à 40%, - et augmenter la surface forestière de façon à créer un puits de carbone additionnel de 2,5 à 3 milliards de tonnes éqCO2. L’UE 28 : Un engagement à réduire d’au moins 40% les émissions d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, avec des objectifs distincts selon les secteurs : Pour les secteurs concernés par le Système d’échange de quotas d’émissions (SEQE, ou ETS en anglais), c’est-à-dire le transport, la construction, l’agriculture et la gestion des déchets : une réduction de 43% par rapport au niveau de 200522; Pour les autres secteurs : 30% de réduction d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. 22 Le fonctionnement de ce marché européen des droits à polluer repose sur les principes de plafonnement et d’échange des droits d’émission. Un plafond est fixé pour limiter le niveau total de certains gaz à effet de serre pouvant être émis par les entreprises des secteurs concernés. Ce plafond diminue progressivement de façon à contribuer à la réduction des émissions. Dans les limites de ce plafond, les entreprises reçoivent ou achètent des quotas d’émission (sorte d’autorisation d’émission) qu’elles peuvent échanger avec d'autres entreprises en fonction de leurs besoins. Un bilan est réalisé en fin d’année : chaque société doit restituer un nombre suffisant de quotas pour couvrir toutes ses émissions. Si ce nombre de quotas s’avère insuffisant, l’entreprise est confrontée à de lourdes amendes. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 23 En 2020, la Chine et l’Union européenne (UE 27 suite au retrait du Royaume-Uni de l’UE en 2020) ont annoncé des révisions de leurs engagements. Dans son discours sur l’état de l’Union au Parlement européen du 16 septembre 2020, la commissaire européenne, Ursula von der Leyen a annoncé l’engagement plus contraignant par rapport aux dispositions de l’Accord de Paris d’une réduction de 55% les émissions de GES de l’Union européenne d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990. "Je reconnais que cette augmentation c’est peut-être trop pour certains et pas assez pour d’autres, mais l'étude d’impact montre que notre industrie peut y arriver. Et elle souhaite y arriver. Atteindre ce nouvel objectif nous permettra d’être sur la trajectoire de neutralité climatique d’ici 2050 et de respecter les accords de Paris. Cela envoie un signal fort au monde car même si certains de nos partenaires en sont loin, nous devons être en premier ligne et montrer l’exemple23. » Quant au Président chinois Xi Jinping, dans son discours du 21 septembre 2020 à l'Assemblée générale de l’ONU, ce dernier s’est engagé à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030, et à atteindre la neutralité carbone d'ici à 206024. Les Etats-Unis ont soumis en 2021 une révision de leur CDN : ils s’engagent à réduire leurs émissions nettes de 50 à 52% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005. Enfin, la révision de la CDN de l’Inde, soumise en 2022, comprend la réduction de l’intensité carbone du PIB de 45% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005 sur un ensemble de secteurs dont l’agriculture. Le graphique suivant décrit l’évolution des émissions nettes de gaz à effet de serre au niveau mondial et par pays sur la période 1990-2021. 23 Source : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/ursula-von-der-leyen-la- presidente-de-la-commission-europeenne-endosse-l-objectif-de-55-d-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-d-ici- 2030-148998.html). 24 Source : https://www.lefigaro.fr/sciences/la-chine-se-fixe-un-objectif-de-neutralite-carbone-d-ici-a-2060- 20200923. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 24 Source : https://www.climatewatchdata.org/ Les émissions nettes au niveau mondial s’élèvent, en 2021, à 49,6 Gt éqCO2, légèrement en baisse par rapport à 2019 (49,8 Gt). En 1990, elles s’élevaient à 32,6 Gt en 1990. Où en sont les quatre économies les plus émettrices en 2021 ? Les graphiques suivants présentent les évolutions des émissions nettes de GES de 1990 à 2021 ainsi que les engagements actualisés pour chacune des quatre économies (de la moins émettrice à la plus émettrice). L’Union européenne : Le graphique suivant présente l’évolution des émissions de l’UE sur la période 1990-2021 ainsi que les objectifs de l’UE pour 2030 (point jaune, de coordonnées (2030, 2,09 Gt), correspondant à la CDN de l’UE à 27 révisée de 2,09Gt en 2030, ce qui correspond à une baisse de 55% des émissions nettes par rapport à leur niveau de 1990) et 2050 (point rouge à droite, de coordonnées (2050, 0) représentant l’objectif de neutralité carbone ou zéro émissions nettes). 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 25 Source : https://www.climatewatchdata.org/ Ce graphique fait état d’une tendance à la baisse des émissions nettes (courbe noire) pour atteindre, en 2021, 3,14 Gt (soit à peu près le niveau de 2019, 3,15 Gt en 2019). En 1990, elles s’élevaient à 4,28 Gt. Les émissions nettes au niveau mondial s’élevant en 2021 à 49,6 Gt, les émissions nettes de l’UE à 27 représentent un peu plus de 6% des émissions mondiales25. L’Inde : Sur la période 1990-2019, les émissions nettes de l’Inde sont en progression, de 1,02 Gt en 1990 à 3,42 Gt en 2021(3,41Gt en 2018), ce qui représente plus de 6,5% des émissions mondiales. 25 (3,14/49,6) x100. Après l’UE, se positionnent la Russie, 1,98 Gt (soit 3,99% des émissions mondiales), Brésil, 1,53 Gt (3,09%), l’Indonésie, 1,48 Gt (2,99%), et le Japon, 1,07 Gt (2,16%). 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 26 Source : https://www.climatewatchdata.org/ Le pays a revu à la baisse ses objectifs d’émissions nettes en 2030 à 4,70 Gt (point jaune) et s’est engagé d’ici 2070 à zéro émissions nettes (point rose). Les Etats-Unis : En 2021, les émissions nettes s’élèvent à 5,56 Gt et représentent un peu plus de 11% des émissions nettes mondiales. Elles sont en légère baisse par rapport à 2019, (5,82 Gt). Elles s’élevaient à 5,43 Gt en 1990. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 27 Source : https://www.climatewatchdata.org/ Les Etats-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions nettes de 50 à 52 % par rapport à 2005 (ce qui correspond à des émissions nettes entre 3,18 Gt et 3,32 Gt), et à la neutralité carbone d’ici 2050. La Chine : Les émissions nettes de la Chine progressent depuis les années 1990 et cette progression s’est accélérée au cours des années 2000. En 2021, les émissions nettes de la Chine s’élèvent à 12,79 Gt (12,09 Gt en 2019), ce qui représente près de 26% des émissions mondiales. Elles s’élevaient à 2,87 Gt en 1990. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 28 Source : https://www.climatewatchdata.org/ La Chine s’est engagée à faire culminer ses émissions nettes en 2030 (barre grise sur le schéma) et à la neutralité carbone d’ici 2060. En 2021, les émissions nettes de ces quatre économies, qui proviennent principalement de l’énergie, représentent environ la moitié des émissions nettes mondiales (50,3%). Seule l’Union européenne présente une tendance à la baisse sur longue période. - L’IPBES : la connaissance sur la biodiversité La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat. Cet organe intergouvernemental, créée en 2012, comprend actuellement 147 Etats membres des Nations Unies26. Il regroupe des experts et des représentants du monde économique, de la société civile et d’autres parties prenantes. Sa mission principale est de réaliser des évaluations de l’état des connaissances sur la biodiversité et les services écosystémiques (des connaissances solidement partagées et donc établies, des connaissances plus incertaines et également des lacunes de connaissance). Ces évaluations peuvent être thématiques (évaluation sur les pollinisateurs et services de pollinisation, etc.), géographiques (évaluation ciblée sur l’Europe et l’Asie centrale, etc.) ou méthodologiques (évaluation sur les valeurs multiples de la nature, 26 https://www.ipbes.net/fr/frontpage. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 29 etc.). Ces évaluations mobilisent des experts internationaux et pluridisciplinaires qui travaillent sur une revue de la littérature académique et de la littérature grise. Ils prennent également en compte les connaissances des populations locales et autochtones. La production d’une évaluation se fait généralement sur 5 ans. Selon le Rapport d’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques publié par l’IPBES en 2019, « en moyenne, environ 25% des espèces de groupes d’animaux et de plantes évalués sont menacées, ce qui laisse supposer qu’environ un million d’espèces sont déjà menacées d’extinction, souvent en l’espace de quelques décennies ». Il désigne les facteurs directs de changement dans la nature ayant le plus d’impact au niveau mondial, les « cinq cavaliers de l’apocalypse de la nature 27» : les changements dans l’utilisation des terres et de la mer, l’exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l’invasion d’espèces exotiques28. Le rapport publié en septembre 2023 porte sur la question des espèces exotiques envahissantes, l’un des cinq facteurs directs de changement de la nature29. Selon ce rapport, plus de 37000 espèces exotiques ont été introduites par de nombreuses activités humaines dans des régions et des biomes du monde entier. Ce processus d’invasion biologique, dont les concepts clés et les étapes sont décrits dans la figure ci-après, augmente à un rythme sans précédent. 27 Inger Anderson, UN Biodiversity Conference, COP15 Opening plenary, December 2022 https://www.unep.org/news-and-stories/speech/framework-all-life-earth 28 IPBES (2019) : Rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Brondizio, E.S., Settele, J., Diaz, S., Ngo, H.T. (éd.). Secrétariat de l’IPBES, Bonn (Allemagne). https://doi.org/10.5281/zenodo.3831673. 29 IPBES (2023). Summary for Policymakers of the Thematic Assessment Report on Invasive Alien Species and their Control of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Roy, H. E., Pauchard, A., Stoett, P., Renard Truong, T., Bacher, S., Galil, B. S., Hulme, P. E., Ikeda, T., Sankaran, K. V., McGeoch, M. A., Meyerson, L. A., Nuñez, M. A., Ordonez, A., Rahlao, S. J., Schwindt, E., Seebens, H., Sheppard, A. W., and Vandvik, V. (eds.). IPBES secretariat, Bonn, Germany. https://doi.org/10.5281/zenodo.7430692 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 30 Source : https://www.ipbes.net/ias Dans cet ensemble d’espèces exotiques répertoriées, plus de 3500 sont des espèces exotiques envahissantes nuisibles, qui menacent gravement la nature, les contributions de la nature aux populations et la bonne qualité de vie de celles-ci. En outre, parallèlement aux dégradations sur la biodiversité et les écosystèmes, le coût économique mondial des espèces exotiques envahissantes, composé principalement des coûts des dégâts engendrés par ces espèces, les montants liés à la prévention, la surveillance et la lutte contre la propagation de ces espèces étant marginaux, aurait dépassé les 423 milliards de dollars par an en 2019. Depuis 1970, ces coûts auraient au moins quadruplé chaque décennie. Les espèces exotiques envahissantes représentent un défi important pour les populations de toutes les régions et de tous les pays. - La Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CDB) La Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CDB) a été signée en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio, en même temps que la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)30. Cette convention comprend trois objectifs principaux : la conservation de la biodiversité, son utilisation durable et le partage juste et 30 Notons qu’elle n’a cependant pas la même visibilité auprès du public et des médias. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 31 équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. La Convention sur la diversité biologique vise tous les niveaux de la diversité biologique: les écosystèmes, les espèces et les ressources génétiques. Elle s'applique aussi aux biotechnologies, notamment dans le cadre du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques31. Elle vise tous les domaines possibles qui sont directement ou indirectement liés à la diversité biologique et à son rôle en matière de développement, allant de la science, la politique et l'enseignement à l'agriculture, au monde des affaires, à la culture, etc. Tous les deux ans, 195 États et l’Union européenne se réunissent dans le cadre de la Conférence des Parties, ou COP, qui est l'organe directeur de la Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique (CDB). Et tous les dix ans, la convention décide d’un cadre mondial pour agir en faveur de la biodiversité. - Le Plan stratégique pour la biodiversité de 2010 : les objectifs d’Aichi Lors de la COP10, qui s’est tenue en 2010 à Nagoya au Japon, a été adopté le Plan stratégique pour la diversité biologique pour la période 2011-2020. Ce Plan stratégique pour la biodiversité visait à agir sur l'ensemble des causes sous-jacentes à la perte de biodiversité, en cherchant à réduire les pressions qui s'exercent sur la biodiversité, favoriser l'utilisation durable des ressources et renforcer les avantages tirés des services écosystémiques. Il comprenait une vision, une mission, des buts stratégiques et 20 objectifs ambitieux, dénommés Objectifs d’Aichi. L’énoncé de la vision, qui a été résumé en ces termes, « Vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050 », présente l’état escompté de la diversité biologique dans 40 ans : « D’ici à 2050, la diversité biologique est valorisée, conservée, restaurée et utilisée avec sagesse, en assurant le maintien des services fournis par les écosystèmes, en maintenant la planète en bonne santé et en procurant des avantages essentiels à tous les peuples ». Les 20 objectifs sont décrits ci-après. 31 Le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques relatif à la Convention sur la diversité biologique est un traité international qui gère les mouvements d'un pays à un autre des organismes vivants modifiés (OVM) résultant des biotechnologies modernes. Il a été adopté le 29 janvier 2000 en tant qu'accord complémentaire de la Convention sur la diversité biologique et est entré en vigueur le 11 septembre 2003. Il établit une procédure d'accord préalable en connaissance de cause (APC) pour garantir que les pays reçoivent les informations nécessaires leur permettant de prendre des décisions en connaissance de cause avant d'accepter d'importer ce type d'organismes sur leur territoire. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 32 Ce cadre des objectifs Aichi s’est avéré être un échec, aucun des objectifs n’ayant été atteint, faute d’un accompagnement efficace de leur mise en œuvre. L'atteinte des cibles a été compliquée par une conjonction de facteurs : le manque d'objectifs chiffrés et d'indicateurs fiables, les difficultés de déclinaison au niveau de chaque État, l'absence d'un mécanisme de redevabilité et des moyens financiers insuffisants. L'ambition initiale n'a donc pas été soutenue au cours de cette décennie. - Le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal de 2022 Le Cadre mondial post-2020 pour la Biodiversité (CMB – GBF Post 2020) Kumming- Montréal, est à la biodiversité ce que l’Accord de Paris est au climat. L’objectif 30x30 du CMB, à savoir, d’ici à 2030, protéger 30 % des terres, des zones côtières et marines, et des eaux intérieures, fait ainsi écho à l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris, faisant de la COP 15, qui s’est tenue à Montréal, le « moment Paris pour la nature »32. Le Cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal, CMB – Post 2020, s’inscrit dans la perspective de la vision du plan stratégique pour la biodiversité 2011-2020, « Vivre en harmonie avec la nature d’ici 2050». Il s’appuie sur ses réalisations, ses lacunes et les enseignements tirés, pour réaliser cette vision. Ce cadre s'articule autour d'une théorie du changement, fondée sur la reconnaissance « qu'une action politique urgente est nécessaire à l'échelle mondiale, régionale et nationale pour parvenir à un développement durable, de sorte que les facteurs de changement indésirables qui ont exacerbé la perte de biodiversité soient réduits et/ou inversés pour permettre la reconstitution de tous les écosystèmes et réaliser la 32 Source : https://www.globalshift.ca/un-moment-paris-pour-la-nature. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 33 vision de la Convention, à savoir vivre en harmonie avec la nature d'ici à 2050 ». Cette théorie du changement est schématisée de la façon suivante : Souce : https://www.globalshift.ca. On retrouve dans ce cadre théorique : le diagnostic (perte de biodiversité), la vision (vivre en harmonie avec la nature), et les étapes intermédiaires (moyens, objectifs). Des cibles mondiales sont également définies pour 2030, l’atteinte de ces cibles n'étant pas conçue comme une fin en soi, mais comme un moyen de parvenir à un monde de vie en harmonie avec la nature. Ces 23 cibles mondiales sont précisées ci-après. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 34 Source : Sénat, 2023, Rapport d'information n° 357 de M. Guillaume Chevrollier. Si la biodiversité a longtemps été éclipsée par le climat, cet accord de Kunming-Montréal devrait favoriser l’émergence d'une conscience plus forte des enjeux liés à la protection de la biodiversité et de la nécessité de politiques publiques plus volontaristes. La COP16, qui se tiendra fin octobre 2024 en Colombie, à Cali, sera la première conférence des Parties organisée suite à l’accord signé en 2022. Dans le cadre de cet COP, les gouvernements devront évaluer leurs progrès par rapport aux objectifs fixés en 2022. Un cadre opérationnel de suivi des progrès des Etats par rapport à ces objectifs, comme dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat, devrait être établi (calendrier des prochaines réunions, avec une réévaluation régulière des objectifs et des progrès). L’enjeu sera également de mobiliser les ressources financières et techniques pour assurer l’atteinte des objectifs fixés par l’Accord de Kunming-Montréal. La question du partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des informations de séquence numérique sur les ressources génétiques devrait également être traitée. Il s’agit d’un enjeu particulièrement important puisqu’il déterminera notamment la capacité des pays en développement à tirer profit de leurs ressources naturelles face aux multinationales qui exploitent ces ressources. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 35 3) Des objectifs sociétaux Nous nous intéressons ici aux objectifs sociétaux qui font consensus pour la plupart des organisations locales, nationales et internationales, et suggérons des liens entre ces objectifs et les contraintes physiques. Les objectifs sociétaux mentionnés ci-après s’appuient sur le volet social des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies33. a) Le volet social des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies - Les ODD Depuis le rapport Brundtland, le développement durable se définit comme « un développement qui satisfait les besoins de la génération actuelle sans compromettre ceux des générations futures »34. En 2015, les Nations Unies ont adopté 17 objectifs à réaliser d'ici à 2030. Ces 17 objectifs de développement durable (ODD) constituent l’Agenda 2030 et s'articulent autour des 3 dimensions économique, sociale et environnementale. Pour chacun de ces objectifs, des cibles à atteindre sont prévues (au total 169 cibles). Les 5 domaines critiques identifiés par les Nations Unies, que l’on appelle les 5 P’s, sont : l'humanité (people), la planète, la prospérité, la paix, et les partenariats. Ces ODD visent à « éradiquer la pauvreté, protéger la planète, et garantir la prospérité pour tous ». 33 https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/ 34 Ce rapport, intitulé « Notre avenir à tous », a été rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l'Organisation des Nations unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, d’où l’appellation commune de rapport Brundtland. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 36 Selon le préambule de l'Agenda 2030, un des principes clés des ODD est qu’ils sont intégrés et indivisibles. En effet, ces 17 objectifs sont reliés entre eux par des liens systémiques. Ils sont indivisibles car chaque mesure prise pour atteindre l'un des objectifs de développement durable doit être analysée au regard de son impact potentiel sur les autres ODD. Et la façon dont chaque mesure peut être impactée par les autres ODD doit également être prise en compte. Ces liens systémiques entre les différents objectifs rendent d’autant plus complexes les mesures à mettre en œuvre pour les atteindre. Si ces ODD ont fait l’objet de critiques, notamment l’ODD 8 ( « promouvoir une croissance économique soutenue » au regard de la question de l’utilisation des ressources naturelles - eau, énergie, ressources minières, etc. -), ils constituent actuellement une référence conceptuelle et opérationnelle pour un certain nombre d’organisations productives dans leur contribution à la transition bas-carbone. Ainsi, le réseau français du Pacte mondial des Nations Unies mène une étude annuelle sur l’appropriation des ODD par les entreprises 35. Il ressort de l’enquête réalisée en ligne au printemps 2024 auprès de 1422 entreprises 35 Le Pacte mondial des Nations Unies propose aux organisations productives un cadre d’engagement volontaire construit sur la base de Dix principes, issus des textes fondamentaux des Nations Unies, à respecter en matière de droits humains, de droit du travail, d’environnement et de lutte contre la corruption. Cet engagement volontaire vise à aligner le monde économique avec l’Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable de l’ONU. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 37 européennes issues de 10 pays (France, Espagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse/Liechtenstein, Grèce, Irlande, Bulgarie, Serbie et Turquie) que le sujet des ODD est de plus en plus connu et intégré par les entreprises européennes : 69% des entreprises européennes connaissent les ODD de manière approfondie et 59% des entreprises ont mis en place une stratégie de développement durable intégrant les ODD. Ces entreprises agissent principalement sur l’égalité des sexes (44% d’entre elles), la croissance économique durable (44%) et l’aténuation du changement climatique (41%)36. Et 58% des entreprises estiment que les ODD ont un impact positif sur leur performance économique. Un peu plus d’un quart (26%) des entreprises européennes ne mesurent et n’évaluent toujours pas leur contribution aux ODD. - Le volet social des ODD Le volet social des ODD regroupe les ODD répondant aux quatre objectifs sociétaux suivant : paix et justice, santé et bien-être, éducation et réduction des inégalités. Pour chacun de ces objectifs, nous mentionnons le ou les ODD de référence et proposons quelques exemples d’interactions avec les contraintes physiques. Le premier objectif, paix et justice, correspond à l’ODD n°16 : « Paix, justice et institutions efficaces ». Des tensions sur les ressources peuvent déboucher sur des conflits : accaparement des ressources énergétiques, conflits pour l'accès à de l'eau potable, etc. La question de l’égalité face au dérèglement climatique ou justice climatique doit également être considérée. Les expositions au changement climatique diffèrent en fonction des peuples, des territoires, des classes sociales, qui ne disposent pas tous des mêmes moyens pour y faire face et dont la vulnérabilité est donc variable. Les pays ayant le moins contribué au dérèglement climatique sont par ailleurs souvent aussi les plus touchés par ses conséquences. La responsabilité dans l'action pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique doit donc prendre en compte ces facteurs dans un souci de justice (en plus de la responsabilité des émissions). L’objectif sociétal de santé et bien-être recouvre les ODD n°1 : « Pas de pauvreté », n°2 : « Faim zéro » et n°3 : « Bonne santé et bien-être ». Concernant l’alimentation, le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité affectent les rendements agricoles et perturbent les ressources en eau, de sorte que les moins favorisés sont amenés à moins bien s’alimenter. L’effondrement de la biodiversité entrave également la dépollution de l'air et de l'eau, ce qui peut entraîner des problèmes de santé publique. Les systèmes de santé dépendent de l’énergie 36 La majorité des répondants sont des PME (43%), suivies des ETI (33%). Les micro-entreprises représentent 13% des répondants, tandis que les grandes entreprises représentent 11%. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 38 pour leur fonctionnement (transport, production de médicaments et équipements). Si l’énergie devient plus rare ou plus chère, leur fonctionnement pourrait être compromis. Et la raréfaction des ressources pourrait aussi impacter à la hausse le prix du matériel médical. L’objectif sociétal en matière d’éducation fait référence à l’ODD n°4 : « Éducation de qualité ». L’éducation au climat et à la biodiversité contribue à l’émergence de politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité. Aussi, le système éducatif dépend de paramètres physiques pour son fonctionnement (système de transport, bâtiments chauffés ou climatisés, équipements, etc.). Les événements climatiques et les contraintes énergétiques pourraient mettre à mal son fonctionnement. Enfin, l’objectif sociétal de réduction des inégalités comprend les ODD n°5 : « Égalité entre les sexes » et n°10 : « Inégalités réduites ». Si l’ODD n°5 recouvre les inégalités de genres, l’objectif n°10 peut faire référence à différents types d’inégalités : les inégalités de revenu, les inégalités de patrimoine, les inégalités d’accès, les inégalités environnementales notamment. Si la mesure des inégalités de revenus et de patrimoine est assez aisée, grâce à la comptabilité nationale qui facilite la disponibilité des données, celle des inégalités d’accès s’avère plus difficile. En effet, ces inégalités, inspirées des travaux d’Amartya Sen sur les « libertés effectives » (« capabilities ») sont multiformes37. Elles concernent l’accès à la santé (nourriture suffisante, soins), à un logement (qui permet une certaine privauté), l’accès à l’éducation, aux marchés (marché du travail, de l’assurance, du crédit), aux ressources naturelles et aux biens publics (eau potable), à l’énergie électrique et à Internet, aux transports, et l’accès « aux autres » et à la vie politique. De même, la notion d’inégalités environnementales recouvre différents types d’inégalités telles que les inégalités dans l’exposition aux risques et aux nuisances environnementales (populations urbaines et pollution de l’air, populations côtières et risque d’inondation par submersion), les inégalités dans la capacité d’influer sur les politiques environnementales (par exemple, dans la problématique du changement climatique, dans laquelle les plus exposés ne sont pas nécessairement ceux qui contribuent le plus au changement climatique), les inégalités dans la vulnérabilité et dans les capacités à faire face aux événements climatiques (populations jeunes, populations âgées, populations pauvres) et, enfin, les inégalités entre pays économiquement avancés et pays plus pauvres, en termes d’impacts provoqués (par exemple, émissions de gaz à effet de serre, dégradation des écosystèmes) ou en termes d’impacts subis 37 Sen, A (2000) Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. trad. Michel Bessières, Paris, Odile Jacob. Notons que dans cet ouvrage, le terme « capabilities » est traduit par « capacitées ». 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 39 (conséquences du réchauffement planétaire, de la surpêche, de la pollution de l’air). Enfin, les analyses en matière d’inégalités peuvent se faire à trois niveaux géographiques : les inégalités internes à un pays, les inégalités entre pays (ou inégalités internationales), et les inégalités au niveau global. - Inégalités de revenu et inégalités en matière d’émissions Nous allons nous concentrer ici sur deux types d’inégalités au niveau mondial, les inégalités de revenus et les inégalités en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Selon le rapport 2022 sur les inégalités mondiales du Laboratoire sur les Inégalités Mondiales, au cours des deux dernières décennies, sur la base de l’indicateur des inégalités de revenu qu’est le ratio du revenu moyen des 10% les plus aisés sur le revenu moyen des 50% du bas de la distribution, les inégalités de revenus au niveau mondial se sont amoindries. Le graphique suivant présente l’évolution du ratio du revenu moyen des 10% les plus aisés sur le revenu moyen de la moitié la plus pauvre de la population (les 50% du bas), sur la période 1820-2020. Source : https://wid.world/fr/news-article/rapport-sur-les-inegalites-mondiales-2022-version-francaise/ Concentrons-nous sur les années 2000. Nous observons que le ratio du revenu moyen des 10% les plus aisés sur le revenu moyen des 50% du bas décline depuis 2008. Les inégalités globales se sont donc amoindries sur les deux dernières décennies. Et, au niveau mondial, en 1980, le revenu moyen des 10 % des individus les plus aisés était plus de 50 fois plus élevé 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 40 que celui des 50 % des individus les plus pauvres. En 2020, le revenu moyen des 10% les plus aisés est un peu moins de 40 fois plus élevé que celui des 50% du bas. Quid des inégalités de revenus en 2021 ? En 2021, un adulte gagne en moyenne 16 700 euros par an (23 380 dollars). Ce revenu moyen au niveau mondial masque de fortes disparités. Les 10% des plus riches de la planète captent 52% du revenu mondial tandis que la moitié des personnes les plus pauvres n’en gagne que 8%38. Et un individu appartenant aux 10 % des plus hauts revenus gagne en moyenne 87 200 euros par an (122 100 dollars), tandis que celui qui appartient aux 50 % des revenus les plus bas gagne en moyenne 2 800 euros (3 920 dollars). Les revenus moyens des plus aisés sont 31 fois plus élevés que les revenus moyens des 50% du bas. Concernant les inégalités en matière d’émissions de gaz à effet de serre, au niveau mondial, le Rapport 2022 sur les inégalités mondiales met en lumière d’importantes disparités au sein de la population mondiale en matière de contribution au réchauffement planétaire. En moyenne, en 2019, les êtres humains émettent 6 tonnes éqCO2 par tête et par an. Et les inégalités de revenus sont étroitement liées aux inégalités de contribution aux émissions de GES. Ce lien entre les deux types d’inégalités est présenté dans le tableau suivant. Source : Chancel, L., (2022) Global carbon inequality over 1990-2019, Nature Sustainability. Les 10 % les plus aisés émettent près de 50 % des émissions totales (48%, soit 29 tonnes par an), tandis que les 50 % du bas de la distribution contribuent à 11,5 % des émissions totales (1,4 tonne par an). Les 1 % les plus riches émettent 101 tonnes par an, soit 16,9 % du total des émissions. Les inégalités mondiales d’émissions de carbone se révèlent donc très fortes : près 38 https://wid.world/fr/news-article/rapport-sur-les-inegalites-mondiales-2022-version-francaise/. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 41 de la moitié de l’ensemble des émissions est due à un dixième de la population mondiale (les Top 10% soit 771 millions de personnes), et un centième de la population (les Top 1% soit 77 millions de personnes) émet 1,5 fois plus que la moitié inférieure de la population (les Bottom 50% soit 3,8 milliards de personnes). Comment les inégalités des émissions au niveau mondial ont-elles évolué depuis 1990 ? Le graphique suivant représente le taux de croissance moyen des émissions (en ordonnées) par quantile de la distribution mondiale des émissions (en abscisses). Evolution des émissions mondiales de 1990 à 2019 Source : Chancel, L., Bothe, P. et T. Voituriez (2023); Climate Inequality Report 2023: Unequal contributions to Climate Change. Depuis 1990, les émissions mondiales moyennes par habitant ont augmenté d’environ 7 % (et les émissions mondiales ont au total augmenté de 58 %). Les émissions par habitant des 50 % du bas de l’échelle des émissions ont augmenté plus rapidement que la moyenne (32 %), tandis que celles de l’ensemble des 40 % du milieu ont augmenté plus lentement que la moyenne (4 %) – et certains centiles de la distribution ont en fait connu une réduction de leurs émissions. Les émissions par habitant des 1% les plus émetteurs ont augmenté de 26 % et celles des 0,01 % ont augmenté de plus de 110 %. Autrement dit, les émissions des plus émetteurs ont plus que doublé entre 1990 et 2019. Un résultat frappant est la réduction des 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 42 émissions pour environ 15-20 % de la population mondiale, une population qui correspond largement aux groupes à revenu moyen et bas des pays riches. Dans ces pays, les classes populaires et les classes moyennes ont réduit leurs émissions durant les 30 dernières années. Ces réductions sont insuffisantes pour atteindre les cibles de réchauffement de l’Accord de Paris, mais cette dynamique contraste avec celle des 1 % les plus émetteurs de ces pays et au niveau mondial, dont les émissions ont considérablement augmenté. Il est important de noter que ces grandeurs sur les inégalités en matière d’émissions reposent sur des estimations de l’empreinte carbone individuelle, c’est-à-dire des émissions associées à la consommation intérieure, aux investissements publics et privés et au contenu carbone des échanges extérieurs (exportations et importations), qui ont été réalisées par les auteurs du rapport. Ces derniers soulignent d’ailleurs les difficultés qu’ont les gouvernements à mesurer correctement les émissions individuelles au sein d’un pays, la plupart des gouvernements publiant les chiffres des émissions territoriales (qui ne comprennent pas le contenu carbone des importations), mais pas d’estimations de l’empreinte carbone totale ni d’inégalités en matière d’émissions. b) L’économie du Donut Les limites planétaires définissent des niveaux de transformation des équilibres de la Terre qu’il ne faut pas dépasser si l’on veut préserver les conditions d’habitabilité de la planète pour les humains. Ces limites planétaires constituent une sorte de plafond sous lequel il reste possible de construire un monde qui ne serait pas sans cesse menacé par une instabilité environnementale généralisée. L’économiste Kate Raworth propose de compléter ces limites physiques par un socle social définissant un ensemble de droits et de besoins essentiels pour l’ensemble des humains, de façon à avoir un monde plus sûr du point de vue environnemental et plus juste sur le plan social. Partant de la représentation graphique des limites planétaires proposée par Rockstrom et al. (2009), elle fait apparaître la figure qui donnera son nom à la Théorie du Donut39. 39 Raworth, K. La Théorie du Donut : l’économie de demain en 7 principes, trad. Laurent Bury, Plon, Paris, 2018. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 43 Source : https://www.notre-environnement.gouv.fr/ Le Donut (ci-dessus) permet d’illustrer les deux frontières à ne pas franchir pour conserver les conditions d’un « bien vivre » : une frontière « intérieure » qui représente les besoins humains de base définis comme « plancher social », et une frontière « extérieure » qui symbolise la préservation de l’environnement comme « plafond environnemental ». Entre ces deux frontières figure l’espace écologiquement sûr et socialement juste. Le « plancher social » comporte douze « dimensions de vie » distinctes, correspondant aux besoins humains dont personne ne devrait manquer : une alimentation saine et nutritive, l’accès à l’eau potable et à l’hygiène, l’accès aux soins de santé, à une éducation gratuite, à un logement décent, à des services énergétiques adéquats, à des revenus suffisants, à des réseaux de transport et d’information. Ces objectifs doivent être atteints dans le respect de la justice sociale et de la démocratie. Ce plancher social s’appuie sur la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948 qui établit le droit de chaque individu à la majorité des nécessités de base. Ce plancher social est à rapprocher également des 17 ODD de l’Agenda 2030. Personne ne devrait se trouver en-deçà de ce plancher social (ou dans le trou du donut), qui matérialise le minimum nécessaire à une vie digne et épanouie. Entre les deux frontières du Donut, se trouve un espace dit sûr, sur le plan environnemental, et juste, sur le plan social, dans lequel l’humanité peut prospérer et l’activité économique doit 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 44 s’inscrire. Ainsi, selon Kate Raworth, « le Donut est une boussole qui pointe vers un avenir qui pourrait satisfaire les besoins de chacun, tout en préservant le monde vivant dont nous dépendons tous ». Cette approche constitue une nouvelle vision du progrès, qui invite à évaluer celui-ci en termes de prospérité équilibrée et non plus en termes de croissance économique. Les décisions et actions doivent être prises de telle sorte que les économies évoluent dans l’espace écologiquement sûr et socialement juste. Cette approche appelle un renouvellement de la théorie économique avec l’adoption d’une vision intégrée, globale, du système économique de manière à transformer les économies pour qu’elles deviennent régénératrices - c’est-à-dire une économie dans laquelle les ressources ne sont plus utilisées dans une logique linéaire mais circulaire - et distributives - une économie dans laquelle les revenus, mais aussi la richesse, le pouvoir et le temps sont distribués à la source entre les 40 acteurs - à dessein. Le schéma du Donut permet également de mesurer la distance qui sépare les Etats du monde de la satisfaction de la double condition sociale et environnementale. Selon la dernière étude du DEAL Doughnut Economics Action Lab, qui propose une évaluation de la situation des Etats selon des critères sociaux et écologiques, aucun pays ne se trouve dans la zone sûre et juste du Donut41. Le graphique suivant met en relation le plancher social et les limites écologiques dépassées pour différents pays représentés à l’échelle de leur population. 40 Notons que cette théorie, définie au niveau global, connaît des applications locales, notamment par plusieurs villes (Amsterdam, Bruxelles, ou encore Grenoble dans le cadre de son plan « Grenoble 2040 »). 41 https://doughnuteconomics.org/about-doughnut-economics. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 45 Plancher social versus limites planétaires franchies (Source : Fanning et al. (2022)42) Idéalement, les pays devraient se situer dans la partie en haut à gauche du graphique. Les Etats qui atteignent les objectifs sociaux retenus par Raworth excèdent la plupart des limites planéraires de Rockström et al. (estimées sur la base de 6 indicateurs). Il s’agit des Etats se trouvant en haut à droite du graphique. Et les Etats « sûrs » d’un point de vue environnemental ne garantissent pas à leur population le socle social défini. On notera la position du Costa Rica, relativement performant dans la dimension sociale (6 indicateurs sociaux satisfaits sur 11 indicateurs retenus) et qui ne dépasse que 3 limites planétaires (3 indicateurs sur 6 retenus), présentant ainsi une trajectoire prometteuse43. Concilier contraintes physiques et objectifs sociaux nécessite que les Etats mettent en œuvre une transition egologique juste. 42 Fanning, A.L., O’Neill, D.W., Hickel, J. et al. The social shortfall and ecological overshoot of nations. Nat Sustain 5, 26–36 (2022). https://doi.org/10.1038/s41893-021-00799-z. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 46 3) La transition écologique juste : un concept institutionnalisé La transition désigne « un processus de transformation au cours duquel un système passe d’un régime d’équilibre à un autre »44. En cela, la transition désigne une reconfiguration fondamentale du fonctionnement et de l’organisation du système. Elle fait référence à une transformation structurelle qui touche simultanément les secteurs technologique, économique, écologique, socioculturel et institutionnel, les évolutions de ces secteurs se renforçant mutuellement. La transition se caractérise donc par une mutation à la fois progressive et profonde des modèles de société sur le long terme. En France, la notion de transition écologique et sa composante énergétique se sont progressivement imposées au sein des institutions, à partir de 2010, avec la création du Conseil national de la transition écologique en 201245, la promulgation de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) en 2015 ou encore la Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable (2015-2020). Il s’agit de recentrer l’action publique sur des enjeux environnementaux (climat, biodiversité, etc.), tout en reconnaissant la nécessité d’une action coordonnée de l’ensemble des acteurs de la société. Ainsi, la loi TECV met notamment l’accent sur le rôle des citoyens et des collectivités territoriales dans la mutation du modèle énergétique avec des mesures telles que la facilitation de l’investissement participatif dans les projets d’énergies renouvelables locales ou le soutien financier à la rénovation individuelle des logements. La transition écologique doit être juste socialement c’est-à-dire qu’elle ne doit pas se faire aux dépens de la question sociale. Prenons l’exemple de l’emploi. La réorientation écologique de l’activité économique implique une mutation profonde des filières d’activité et des compétences professionnelles. Elle favorise l’apparition de nouveaux marchés d’avenir mais elle entraîne également la disparition de certains secteurs. Face à ce constat, la notion de transition juste, c’est-à-dire une « transition vers une économie verte dont les inévitables coûts pour l’emploi et pour nos sociétés sont partagés par tous »46 s’est imposée sur la scène 44 Bourg D. & Papaux A. (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, Article ‘Transition’, 2015. 45 Le Conseil national de la transition écologique (CNTE) est l’instance de dialogue en matière de transition écologique et de développement durable. Sa création vise à renforcer le dialogue social environnemental (https://www.ecologie.gouv.fr/cnte). 46 Bureau international du travail, Changement climatique et travail : l’objectif d’une «transition juste», Journal international de recherche syndicale, 2010, Vol. 2. 4V5LJSED – 2024-2025 – Chapitre 1 47 internationale depuis les années 90. D’ailleurs, la transition juste figure dans le préambule de l’Accord de Paris. Aussi, l’accompagnement des transitions professionnelles, la résorption de la précarité énergétique et plus généralement l’acceptabilité sociale des politiques de transition écologique sont un enjeu clé pour l’action publique. Nous nous intéressons maintenant à la façon dont l’Union européenne et la France cherchent à mettre en œuvre la transition écologique juste qui, rappelons-le, vise à concilier au mieux objectifs sociaux et contraintes physiques. a) L’Union européenne et la transition juste En décembre 2019, suite à sa nomination en tant que présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen annonce, dans un communiqué de la Commission européenne, une stratégie de croissance durable et inclusive : le Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal). - Le Pacte vert Le Pacte vert est conçu comme une nouvelle stratégie de croissance, laquelle repose sur un modèle économique durable et inclusif que nous pourrions définir comme un systè