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L’histoire du peuple albanais - S1 Sujet : La question de l’origine des Albanais Cette séance de cours portera sur la question de l’origine ancienne des Albanais. La question de l’origine du peuple albanais, de ce peuple qui depuis au moins l’âge Néolithique vit dans la pé...

L’histoire du peuple albanais - S1 Sujet : La question de l’origine des Albanais Cette séance de cours portera sur la question de l’origine ancienne des Albanais. La question de l’origine du peuple albanais, de ce peuple qui depuis au moins l’âge Néolithique vit dans la péninsule balkanique, sur les terres de ses ancêtres, les Illyriens, est une question ancienne, très controversée. Précisons par ailleurs qu’« avec l’entrée dans le Néolithique, les sociétés humaines sont passées d’un stade où les hommes hab itaient dans des grottes, vivaient de la chasse et de la cueillette, à un stade où ils se sont mis à construire leur habitat, à élever des animaux et à cultiver en particulier les céréales. Ils sont devenus agriculteurs. On sait, grâce notamment à l’archéologie, que le processus a démarré dans les Balkans, en provenance du Proche-Orient. […] C’est donc logiquement à partir des Balkans que le Néolithique s’est diffusé en Europe. »1 Nombreux sont les historiens de l’Antiquité, les linguistes, les géographes, albanais et étrangers, qui se penchent sur la question et apportent des arguments intéressants sur l’histoire ancienne du peuple albanais. En effet, l’histoire nous démontre qu’il n’a guère été facile pour les Albanais d’assurer leur survie au fil des siècles. Entouré de peuples orthodoxes, d’origine grecque ou slave, l’existence du peuple albanais a très souvent été remise en question. L’écrivain albanais Ismaïl Kadaré, lors d’une cérémonie tenue à Pristina - où il reçoit le Prix international « Ali Podrimja » - met en lumière cette vérité douloureuse de l’histoire du peuple albanais : « Nous sommes le seul peuple, la seule nation contre laquelle une tentative est faite pour nous chasser du continent. Je ne le comparerais pas avec le drame des Juifs, car ce drame est planétaire, à dimension plus grande, plus tragique, mais le nôtre, à dimension européenne, lui ressemble. La nation albanaise a eu ce problème et continue de l’avoir. Et plusieurs fois la question s’est posée si elle a sa place en Europe ou pas, si elle devrait être en Europe ou pas, si 1 Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, Éditions Fayard, 2006, p. 73. 1 elle est européenne ou elle fait semblant de l’être, tout cela me paraît absurde ! »2 Comme je viens de l’indiquer, la question de l’origine du peuple albanais fait l’objet de nombreux débats. En réalité, deux thèses s’affrontent : la première, c’est la thèse de l’origine thrace et la deuxième, celle de l’ethnogenèse illyrienne. Selon l’interprétation de Georges Castellan, c’est un « problème controversé qui oppose la thèse de l’origine thrace à celle de l’autochtonie soutenue par les historiens albanais et de nombreux balkanologues à la suite du fondateur de l’albanologie, J. G. Hahn (1854). Cette dernière thèse s’appuie désormais sur les fouilles relatives à la « culture de Koman » (un village à l’est de Shkodra) qui montrent la continuité du peuplement pendant la période du haut Moyen Âge. »3 S’appuyant sur des sources documentaires, plusieurs recherches historiques ont montré que les Albanais sont les descendants des Illyriens, un peuple indo-européen habitant la partie ouest de la péninsule balkanique. Dans l’Antiquité, le nom de l’Illyrie désignait une vaste région qui comprenait la Dalmatie et les territoires situés au nord de celle-ci. En effet, les Illyriens sont considérés comme l’un des peuples les plus importants de l’Europe antique. Selon l’interprétation de Serge Métais, « le texte le plus ancien mentionnant l’existence des « Illyriens » remonte au milieu du Ve siècle av.J.- C. On le doit à Hérodote qui a voyagé à l’intérieur des Balkans, dansles années 455-452 av. J.-C., à partir de la Macédoine. »4 Selon la thèse de l’ethnogenèse illyrienne, « les matériaux archéologiques, surtout ceux de la « culture de Koman », attestent de cette continuité illyro- albanaise : « Une ethnie, une population autochtone descendant des Illyriens, qui 2 Ismaïl Kadaré, « Jemi pjesë e Europës, na kanë përndjekur si hebrenjtë, për të na nxjerrë jashtë saj » (Nous faisons partie de l’Europe, nous avons été persécutés comme les Juifs, pour nous chasser hors d’Europe), e.m/Gazeta Shqiptare/BalkanWeb, paru le 03 septembre 2013, consultable sur : http://www.balkanweb.com/kultur%C3%AB/2691/kadare-jemi-pjes--e-europ-s-na-kan--p-rndjekur-si- hebrenjt--p-r-t--na-nxjerr--jasht--saj-147024.html 3 Georges Castellan, L’Albanie, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p. 4. 4 Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, op.cit., p. 94. 2 dans les sources écrites plus tardivement se présente avec les noms albane, albanite, ou arber ». (Anamali, 1964, vol. 1, pp. 149-164). »5 S’appuyant sur cette dernière thèse, les Albanais sont des habitants autochtones sur leurs propres territoires, qui, au fil des siècles, furent devenus le lieu de nombreuses invasions. Au VIIe siècle avant J.-C., le territoire albanais fut envahi par les Grecs, qui établirent leurs colonies à Dyrrachium (Durrës) et à Apollonie (près de Fier). Après l’invasion hellénique, les Illyriens du Sud ont été envahis par les Romains à la deuxième moitié du IIIe siècle avant notre ère. Selon une source utile se référant à la géographie, « au IIe siècle de notre ère, alors que les Illyriens subissent le joug romain, Ptolémée parle de l’existence d’une tribu des Albanoi dont la capitale serait Albanopolis6. »7 Et, même à partir du Xe siècle, ce nom réapparaît souvent dans des textes écrits par les chroniqueurs byzantins. L’imminent historien albanais Aleks Buda nous explique plus en détail que « c’est précisément en raison d’un territoire particulier, se trouvant dans des conditions plus favorables, qu’un groupe de cette grande ethnie, les Illyriens du Sud, commencent à se faire distinguer comme une communauté ethnoculturelle à part, aux traits communs, que les sources du temps appellent les « Illyrii proprie dicti ». La coexistence d’hommes à la langue et à la culture matérielle et spirituelle proches ou identiques, près de la côte, autour de grandes villes à l’aboutissement des grandes voies de communications, dans un milieu qui permettait leur développement économique, leur adhésion pendant un temps relativement long à la formation politique la plus importante de la côte orientale de l’Adriatique, dans le Royaume Illyrien - sont autant de facteurs qui ont concouru à la cristallisation, dans ce territoire, d’une communauté ethnique propre aux Illyriens du Sud, constituée par un groupe de tribus avec à leur tête les Albanoi situés dans l’actuelle Albanie centrale. »8 5Sabri Laçi, « Caractéristiques de la population albanaise », Université de Tirana, Département de géographie. CIHEAM - Cahiers Options Méditerranéennes : Série B. Études et Recherches ; n° 15, Montpellier, 1997, p. 59. Consultable sur : http://om.ciheam.org/article.php?IDPDF=CI970321 6 Il s’agit vraisemblablement de Zgërdhesh dont les ruines se trouvent près de l’aéroport de Tirana (Rinas). 7 Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, op.cit., p. 93. 8Aleks Buda, « Etnogjeneza e popullit shqiptar në dritën e historisë / L’ethnogenèse du peuple albanais à la lumière de l’histoire », in Iliria, vol. 12 n°2, 1982, p. 22. 3 En effet, l’invasion romaine s’est faite progressivement en trois guerres. Donc, à l’issue des combats menés pendant quarante ans, dans différentes périodes, l’Illyrie devient une province romaine. Dans ce contexte, il est important de préciser que, d’un côté, cette invasion permit aux Romains de mesurer les avantages qu’offrait l’Illyrie du Sud en termes de potentiels géographique et économique et, de l’autre côté, sous la domination de Rome, le pays connut l’influence croissante de la civilisation romaine, mais en même temps l’assimilation romaine à tel point qu’il fut christianisé dès le Ier siècle. Ainsi, les premiers siècles de notre ère marquent la période du commencement et de la consolidation de la civilisation romaine dans les Balkans. Sous l’influence de la civilisation gréco-romaine, surtout sous le long règne de l’Empire romain, les peuples des Balkans ont été partiellement hellénisés et pour la plupart romanisés. En d’autres termes, ces peuples, sans pour autant disparaître en tant que tels, ont été assimilés avec le temps. Leur langue n’ayant pas été préservée, ils ont utilisé dans certaines contrées le grec et dans d’autres, pour la plupart, le latin. Cela s’es t produit surtout dans des villes, dans des centres administratifs et militaires où les Romains avaient installé leurs garnisons. Si les villes ont subi progressivement et facilement l’assimilation romaine, cette dernière n’a pas eu lieu dans les montagnes inexpugnables. Ainsi, les peuples autochtones ont pu conserver plus longtemps à la fois leur caractère ethnique et leur langue. Certains de ces peuples ont même échappé à la romanisation. C’est le cas du peuple albanais qui doit être le descendant d’un de ces peuples non romanisés. Il est intéressant de citer dans ce contexte les propos de Georges Castellan quand il dit que les Romains, au IIe siècle avant J.-C., « au terme de longues guerres (229-168), conquirent l’Illyricum bientôt divisé entre les provinces de Dalmatie et de Mésie. Les villes furent romanisées, et Dyrrachium devint le grand port et le point de départ de la voie Egnatia qui conduisait à Thessalonique et Byzance. De l’occupation romaine datent les principaux vestiges archéologiques, en particulier les remarquables mosaïques d’Apollonie, Butrint, Durrës. »9 9 Georges Castellan, L’Albanie, op.cit., pp. 3-4. 4 Après l’écroulement de l’Empire romain en 395, les territoires albanais devinrent une province de l’Empire romain d’Orient (Empire byzantin) pendant presque dix siècles, du IVe au XIVe siècle. Pendant cette période, les Albanais se distinguaient par les sources byzantines comme un peuple à part qui avait ses propres traits caractéristiques par rapport aux peuples voisins. « Plusieurs fois perdus et reconquis par l’Empire byzantin, les pays albanais furent également disputés entre l’Église de Rome et l’Église de Byzance et se trouvèrent ainsi à la charnière des deux domaines ecclésiastiques. »10 Sous la domination de Byzance, la majorité de la population fut convertie à la religion orthodoxe. Au cours des IVe et VIe siècles, suivront les invasions des Wisigoths, des Antes, des Lombards, des Avars, et enfin des Slaves, qui envahirent le territoire albanais à partir de 580. Ce territoire continua d’être une province de l’Empire byzantin jusqu’au IXe siècle et fut envahi plus tard par les Bulgares au cours des IXe-XIe siècles. Suite à ces invasions, en particulier celle des Slaves, on assiste à une modification de la carte ethnique des Balkans et le territoire illyrien se rétrécit peu à peu. Concentrés sur la plus grande partie des Balkans centraux et du Sud-Ouest, les Illyriens, loin d’être assimilés, ont réussi à conserver leur existence et leur identité dans une structure de peuplement solide et toujours grandissante. Au XIe siècle, les Albanais créent la principauté d’Arbanie (1190-1255), qui représente leur premier État historique du Moyen Âge, avec Kruja comme capitale. Selon Serge Métais, « il y a continuité entre la région des Albanoi de Ptolémée au IIe siècle et l’Arbanon du XIe siècle : Albanopolis est identifiée à Zgërdhesh, et Krujë, située à quelques kilomètres, apparaîtra comme l’un des centres de l’Arbanon avant d’être la citadelle de Skanderbeg au XVe siècle. »11 En guise de conclusion, on peut dire que la question de l’origine du peuple albanais, de ce peuple autochtone qui vit depuis les Illyriens de l’antiquité dans la péninsule balkanique, est une question qui revêt une 10 Georges Castellan, L’Albanie, op.cit., p. 5. 11 Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, op.cit., p. 185. 5 importance particulière pour tous les Albanais, ceux qui vivent dans leurs terres ancestrales et ceux qui sont dispersés dans le monde. Évidemment, les facteurs essentiels qui permettent de définir l’origine d’un peuple se rattachent principalement à l’histoire, à la langue, à la culture, aux coutumes, à l’ethnographie, aux vestiges et données archéologiques, à la géographie, etc. De par sa position géographique, le peuple albanais, un peuple qui a connu au fil des siècles de nombreuses invasions, s’est trouvé, dans différentes périodes de son histoire, seul face à son destin. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, la grande vérité sur l’origine illyrienne des Albanais a été déjà confirmée dans les écrits des historiens, archéologues, ethnographes et anthropologues, albanais et étrangers. En ce sens, dans un article paru dans Le Monde diplomatique, l’écrivain Ismaïl Kadaré évoque plusieurs personnalités scientifiques mondiales qui soutiennent la thèse de l’autochtonéité et de l’origine illyrienne des Albanais. « Les Albanais, sous l’appellation d’Albanais, et une de leurs villes, Albanopolis, précise-t-il, sont cités dès le IIe siècle dans les écrits de Ptolémée. (…) Les plus grandes autorités scientifiques mondiales se sont prononcées sur l’autochtonéité et l’origine illyrienne des Albanais. Je citerais entre autres les Allemands Gottfried Leibniz (1705), Johann Thunmann (1774), Ritter von Xilander (1835), Franz Bopp (1850), Jakob Fallmerayer (1857), J. von Hahn (1870), Paul Kretschner (1896), Norbert Jokl (XXe siècle), Maximilian Lambertz (XXe siècle), etc., pour continuer avec les Anglais William Leak et Stewart Mann, le Danois Holger Pedersen, l’Italien Angelo Masci, les Autrichiens G. Mayer, H. Olberg et R. Solta, le Français A. Ducellier et beaucoup d’autres, pour en arriver aux Croates Milan Sufflay et Radoslav Katicic et au Yougoslave Alexandre Stipcevic. »12 Comme vous le savez, ce cours offre une formation historique qui permet de comprendre l’histoire du peuple albanais depuis l’antiquité. Dans les prochaines séances, nous allons aborder d’autres sujets intéressants qui 12Ismaïl Kadaré, Le Monde diplomatique, octobre 1989, p. 2, L’origine des Albanais, consultable sur : https://www.monde-diplomatique.fr/1989/10/A/42069 6 porteront notamment sur l’histoire du Moyen Âge albanais, la domination ottomane, l’époque de Skanderbeg et la résistance albanaise, la formation de l’État national, et tant d’autres sujets par la suite. Bibliographie Serge Métais, Histoire des Albanais. Des Illyriens à l’indépendance du Kosovo, Éditions Fayard, 2006. Georges Castellan, L’Albanie, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, 1980. Skënder Anamali, « Des Illyriens aux Albanais (Les anciens Albanais) », in Iliria, vol. 5, 1976. Premier colloque des Etudes Illyriennes (Tirana 15-20 septembre 1972) – 2, pp. 23-40. Aleks Buda, « Etnogjeneza e popullit shqiptar në dritën e historisë / L’ethnogenèse du peuple albanais à la lumière de l’histoire », in Iliria, vol. 12 n°2, 1982, pp. 5-34. 7

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