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Outre-mers Les archivistes de l'AOF face à leur temps. Jacques Charpy Citer ce document / Cite this document : Charpy Jacques. Les archivistes de l'AOF face à leur temps.. In: Outre-mers, tome 97,...

Outre-mers Les archivistes de l'AOF face à leur temps. Jacques Charpy Citer ce document / Cite this document : Charpy Jacques. Les archivistes de l'AOF face à leur temps.. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369, 2e semestre 2010. Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 293-309. doi : 10.3406/outre.2010.4507 http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4507 Document généré le 15/09/2015 Document Les archivistes face à leur de temps l'A.O.F. Jacques A et le consacrer conserver avec Dakar. Dakar, Sénégal les Ce autres Charpy des les lescentre, documents restent publications. archives colonies a quitté situé ancrés ont deadministratifs ses aul'ouest été fonctions en cœur constituées lui de ;deill'Afrique yla d'archivistes deretourne vieille la au colonie début qui ville, régulièrement dépendaient àde duDakar est l'époque Sénégal un en lieudu 1958 et coloniale et continue de celles gouvernorat ;rencontres mais échangées afin la ville de leur d'y de et d'études où l'on peut aussi trouver les courriers d'autres pays qui, envoyés au Sénégal, n'étaient pas conservés sur place et des chercheurs de divers horizons. Il reste précieux de connaître les acteurs et les étapes de leur agencement. Jacques CHARPY1 Le 16 juin 1895, les colonies françaises de l'Afrique de l'Ouest sont regroupées en une entité appelée Afrique Occidentale Française ayant à sa tête un gouverneur général , résidant d'abord à Saint-Louis puis à Dakar à partir de 1902, et dont les pouvoirs sont étendus et précisés par le décret du 18 octobre 1904 qui accorde notamment au gouvernement général un budget propre. Cette entité est composée en 1895 des colonies du Sénégal, de la Guinée, de la Côte d'Ivoire (dont la capitale est transférée en 1900 de Bassam à Bingerville puis en 1934 à Abidjan), du Dahomey, du Haut-Sénégal Niger (héritier d'une partie du français disloqué en 1899 au profit du Sénégal, de la Guinée, de la Côte d'Ivoire et du Dahomey, partie qui reprendra le nom de Soudan français en 1920) et du territoire de la Mauritanie (dont le chef-lieu sera transféré entre 1957 et 1961 de Saint-Louis à Nouakchott). A ces six colonies viennent s'ajouter en 19 11 le territoire du Niger (détaché de la colonie du Haut-Sénégal-Niger et dont le chef-lieu sera transféré en 1926 de Zinder à Niamey), en 1919 la nouvelle colonie de la Haute- * Ancien chef de service des Archives de l'AOF (1951-1958) Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 294 J- CHARPY Volta (supprimée de 1932 à 1947), et en 1917 l'ancienne colonie du Togo conquise sur l'Allemagne (détachée de l'A.O.R en 1921). Après la Seconde Guerre mondiale, le gouverneur général devient en 1946 haut-commissaire de la République. En 1947 est créé un Grand Conseil de l'Afrique Occidentale Française. Sa dernière séance, le 5 avril 1959, marque la disparition de la fédération, entraînant sa « balkanisation » concrétisée à la fois par l'adoption, entre le 20 janvier et le 26 mars 1959, d'une constitution par chacune des assemblées territoriales et par le départ en décembre 1959 du dernier haut-commissaire en A.O.R, Pierre Messmer. Durant ces 64 années, le gouverneur général (ou haut-commissaire de la République en A.O.F), est à la fois représentant de l'État et représentant du groupe *. A Paris, en 1894, peu avant la création du gouvernement général de l'A.O.F, est créé un ministère autonome des Colonies, séparé de celui de la Marine. Le 20 juin 1896, un décret ministériel institue une Commission supérieure des archives et de la bibliothèque du ministère des Colonies 2. Les responsables politiques et administratifs de font appel désormais à d'ancien élèves de l'Ecole nationale des Chartes pour préserver et mettre en valeur le patrimoine des colonies françaises : c'est ainsi qu'en 1898 Louis Finot, de la promotion 1888, est chargé d'une mission qui sera à l'origine de l'Ecole française d'extrême Orient, et qu'en 1906 Raoul Bousquet, de la promotion 1905, est nommé archiviste-bibliothécaire du gouvernement général de l'Algérie 3. A la suite d'un incident parlementaire intervenu en 1907, un député interpelle le gouvernement sur des scandales en Guinée et, pour étayer son argumentation, se flatte de posséder des documents évoquant le pillage des dossiers. Le ministre réagit et demande aux gouverneurs des colonies de veiller à la conservation et à la des archives. Appuyé par le secrétaire général du Comité de l'Afrique française, Auguste Terrier, le gouverneur général de l'A.O.F. Martial Merlin demande alors à la métropole un archiviste sortant de l'armée. Claude Faure, archiviste-paléographe et fils d'officier, sans doute les meilleures garanties, est agréé. A cette époque d'ailleurs, le Ier mars 191 1, Christian Scheffer, est chargé d'une mission d'études sur le classement des archives ministérielles. Malgré le non sens archivistique qui présida au classement des archives du ministère, cette initiative témoigne bien de l'intérêt porté aux archives coloniales. Des documents peuvent exister, des liasses peuvent avoir été entassées 1. A.O.F. : réalités et héritages.. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, direction des Archives du Sénégal, 1997, 2 tomes. 1275 p. Cette publication contient les communications présentées lors du colloque organisé à Dakar du 16 au 23 juin 1995 pour la commémoration du centenaire de la création de l'A.O.F., 1895-199, sur le thème « A.O.F., esquisse d'une intégration africaine ». 2. Marie-Antoinette Menier, « Cent ans dans l'histoire des archives de la », dans La Gazette des Archives, n° 139, 1987, p. 207-222. 3. Jacques Charpy, « Les Chartistes et l'outre-mer », dans L'Ecole nationale des Chartes. Histoire de l'Ecole depuis 1921, Gérard Klopp édition, 1997, p. 294-309. LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 295 dans des locaux, si des hommes de l'art, c'est-à-dire des archivistes, ne se penchent pas sur ces traces d'un passé plus ou moins ancien, leur exploitation par l'historien est souvent difficile, parfois impossible. Seuls les regroupements, les classements et les inventaires permettent un accès aisé aux archives. La responsabilité des archivistes, souvent seuls devant les tâches qui leur incombent, est évidente. Les anciens élèves de l'Ecole nationale des Chartes, qui ont eu cette responsabilité en Afrique occidentale française au temps de la colonisation et qui se sont impliqués dans la vie des archives et de la colonie, ont assumé cette responsabilité devant l'Histoire : ils ont sauvé et mis en valeur un patrimoine unique. Claude Faure (1911-1920) En octobre 19 11 arrive à Dakar le premier archiviste professionnel nommé en Afrique noire : Claude Faure, ancien élève diplômé de l'Ecole nationale des Chartes, pourvu d'un brillant bagage intellectuel. Né en 1881 à Bourges, où son père était officier, il a fait ses études aux Chartreux de Lyon puis au lycée Henri IV à Paris. A 18 ans, il a obtenu un prix d'histoire et deux accessits au concours général. A 20 ans il est reçu premier à l'Ecole nationale des Chartes d'où il sort major en 1906 après son service militaire. Sa thèse porte sur l'Histoire de la ville de Vienne et sa réunion à la France aux XIVe et XVe siècles (1328-1454). Il est alors nommé pour trois ans à l'Ecole française de Rome au Palais Farnèse. Il y est respecté pour l'ardeur et le sérieux de ses recherches, principalement orientées sur l'histoire du Comtat Venaissin au xrve siècle, mais sa réserve naturelle, nous dit-on, le tient un peu à l'écart des discussions et promenades de ses camarades. Rentré en France, il est nommé à Valence comme archiviste départemental de la Drôme, dans sa province d'origine à laquelle il consacrera quelques travaux, notamment sur la période révolutionnaire et le Consulat. Ainsi brillant élève, historien confirmé, archiviste déjà expérimenté, Claude Faure choisit à trente ans d'abandonner et sa province et ses chères études pour l'Afrique noire et son climat difficile (une épidémie de peste venait de dévaster la Médina). J'ignore les raisons de ce choix difficilement compréhensible dans son milieu et à son époque. Son portrait photographique révèle des yeux pétillants, le sourire aux lèvres, petite moustache et barbichette : tout dénote la finesse des traits et du caractère, tout le contraire d'un aventurier. A son arrivée à Dakar, il a « trouvé les archives rangées, ou pour mieux dire entassées sur des rayons dans une petite salle au rez-de- chaussée du palais du gouverneur général ». Un ancien attaché de la section historique du ministère de la Guerre, l'administrateur Théve- nin, chargé du service des Publications officielles du gouvernement Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 296 J. CHARPY général créé dès le 5 juillet 1904, se rend en mission en 1912 et 1913 en Guinée, en Côte d'Ivoire et au Dahomey et conclut son inspection par cette constatation : « II est de mon devoir de déclarer que les archives de l'Afrique occidentale française sont dans un état de désordre ». Avec l'aide deThévenin, Claude Faure met au point institutionnelle des Archives en AOF., inspirée des structures métropolitaines 4 : « Pour le classement des archives, il m'a semblé inutile de diviser les documents en deux classes distinctes, en prenant pour point de séparation la création du gouvernement général de l'Afrique Occidentale Française en 1895. On peut considérer les comme le reflet des institutions administratives qui leur ont donné naissance. Le groupe des colonies qui forment aujourd'hui le de l'Afrique Occidentale Française est le développement de l'ancienne colonie du Sénégal et dépendances : Rivières du Sud, de la Côte d'Or, Etablissement du golfe du Bénin. Les archives doivent conserver l'image de cette évolution ». Il précise les méthodes de travail copiées sur l'archivistique française. Un cadre de classement est élaboré, inspiré à la fois des archives départementales et de celui mis en pratique en 1912 en Côte d'Ivoire par le gouverneur Angoulvant. Ce cadre de classement servira par la suite de modèle à l'Indochine et sera adapté pour l'Afrique équatoriale française. « Sauver ce qui reste des anciennes archives du Sénégal, qu'elles soient à Dakar, à Saint-Louis ou dans les postes, assurer la conservation des archives de l'avenir en établissant des règlements précis pour leur conservation dans un local spécial, telle est la double tâche que je m'efforcerai de mener à bonne fin pendant mon séjour en Afrique Occidentale ». Le Ier juillet 1913, le gouverneur général William Ponty signe l'arrêté créant des dépôts d'archives au gouvernement général et dans les colonies du groupe dont on souhaite qu'ils soient confiés à des fonctionnaires spécialement chargés de cette responsabilité à de tout autre et offrant des garanties d'érudition nécessaires. Des notices sur le classement signées de l'archiviste Faure et de Thévenin accompagnent l'envoi des textes réglementaires aux responsables des colonies du groupe. Au gouvernement général, Claude Faure entreprend le classement des documents trouvés sans ordre au palais, documents provenant pour la plupart des archives du Sénégal. A part le transfert de Saint- Louis à Gorée en 1902, puis à Dakar en 1907, de nombreux registres et dossiers de l'ancienne colonie du Sénégal et du commandement de Gorée utiles à l'administration courante, les seuls autres déplacements réalisés concernèrent d'anciennes archives du Soudan français à Conakry en 1900 et qui, sur l'intervention de l'administrateur 4. Jacques Charpy, « L'Introduction par Claude Faure de l'archivistique française en AOF », dans A.O.F. : réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, 1997, tome 1, p. 180-188. LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE A LEUR TEMPS 297 Thévenin, rejoignirent les dossiers de ce même Soudan transférés au gouvernement général après l'éclatement du Soudan en 1899. En 1913 et pendant la guerre, sont envoyés de Saint-Louis à Dakar, à la demande de Claude Faure, des documents du xixe siècle « d'un purement historique ». La centralisation et l'intégration en un seul dépôt des archives historiques de l'ensemble des colonies du groupe demeurèrent une vue de l'esprit : chaque colonie resta propriétaire et gestionnaire de ses propres fonds d'archives. A la veille de la guerre de 1939-1945, l'archiviste André Villard prenait nettement position contre la centralisation : « la conception départementale des archives, qui laisse chaque préfet maître de ses archives pourvu que l'archiviste soit en rapport avec la direction des Archives, est applicable en A. O.K.. L'afflux des archives à Dakar exigerait un accroissement de personnel énorme... Il ne faut pas qu'un jour les colonies de l'intérieur, une fois bien organisées, n'aient plus aucun document sur leur histoire ». En 1914 avaient été officiellement constitués des dépôts d'archives en Côte d'Ivoire, Dahomey et Sénégal. Au Haut-Sénégal-Niger (futur Soudan puis Mali), l'organisation archivistique de Claude Faure permit à Bamako-Koulouba un dépôt d'archives qui bénéficia du double avantage de demeurer depuis 1915 dans le même local et d'être resté confié, de 19 16 à 1955 à la très sage et prudente gestion de Boubou Niakoté, auquel succéda son fils. Conformément à la tradition chartiste, Claude Faure fait œuvre d'historien. Exploitant les archives dont il a la garde, il publie des travaux d'érudition, une Histoire de la presqu'île du Cap-Vert et plusieurs articles sur le passé de la colonie aux xvme et xixe siècles. De même il fait connaître le résultat de ses activités professionnelles en donnant dès 19 14 un article à la Revue d'histoire des colonies, puis, à la veille de son départ de Dakar, en publiant une étude sur Les Archives du général de l'Afrique occidentale française 5 éditée par le Comité d'études historiques et scientifiques de l'A.O.F., qu'il a contribué à fonder avec l'inspecteur de l'Instruction publique Georges Hardy. Celui-ci, dans un ouvrage bien oublié aujourd'hui, Les Eléments de l'histoire coloniale, trace le portrait de l'archiviste colonial de l'époque de son temps, s 'inspirant bien évidemment de Claude Faure. « L'Ecole des Chartes se met à travailler pour l'exportation et les gouvernements coloniaux commencent à comprendre qu'ils ne se diminuent pas en sauvegardant les papiers accumulés par leurs Mais ce n'est pas une mince besogne que celle d'archiviste dans une capitale coloniale et toutes sortes d'épreuves y attendent le bon paléographe qui avait rêvé de mener, dans un paisible dépôt ou dans un casier des Archives nationales, la plus méthodique des existences. Il arrive souvent qu'il n'y ait pas de maison pour loger 5. Claude Faure, Les Archives du Gouvernement général de l'Afrique Occidentale Paris, Larose, 1922, 56 p. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 298 J. CHARPY ses liasses. On va lui bâtir quelque chose ; il dresse des plans conçus suivant les formules les plus modernes, mais les fonds qu'on lui réserve passent à des dépenses plus urgentes, et l'on n'imagine pas combien de choses et quelles choses, dans une colonie, paraissent plus argentés que l'installation d'un dépôt d'archives. On le relègue en attendant dans quelque coin inoccupé, dans une dépendance d'autres services ; il insère une petite table et deux chaises entre deux rayons ; il emprunte de l'encre au service de l'Enseignement, du papier à la direction des Finances, de la ficelle au chef de cabinet. C'est une espèce de moine mendiant que les autres ordres ne prennent guère au sérieux. « Si dépourvu qu'il soit, il se met au travail. On ne sait pas en général ce qu'une tête de chartiste contient d'obstination. Personne, Dieu merci ! ne le surveille ; la nomination d'un archiviste s'imposait ; c'est fait, l'honneur est sauf et l'heureux titulaire peut bien écrire des romans exotiques, si cela lui chante. Mais le plus curieux est qu'il n'y songe guère. Le voilà qu'il classe, ficèle et numérote, accumule des fiches admirables et lutte farouchement contre les ennemis que l'École des Chartes n'avait pas prévus, l'humidité tropicale qui vous transforme un dossier en éponge, les termites qui en font des confetti. Bien mieux, son ambition se développe. Les registres ou les liasses qu'il est en train de cataloguer ne représentent qu'une toute petite partie des archives Il voudrait obtenir des services administratifs l'abandon de leurs archives anciennes et un versement périodique ; il voudrait surtout faire rentrer au chef-lieu les richesses qui dorment dans les postes de et qui peu à peu passent du sommeil au néant. Il rêve de récole- ment gigantesque. Il sollicite des missions dans les régions les plus reculées de la colonie. Il projette une organisation d'ensemble dont il sera le centre et qui permettra de mettre à l'abri l'essence même de l'histoire du pays. En un mot, il devient gênant. On le lui fait bien voir. Les plus polis lui cèdent quelques vieux annuaires et des collections dépareillées du Bulletin officiel. D'autres se retranchent derrière les nécessités de la politique indigène ou le secret diplomatique et ne cèdent rien du tout. Personne avant lui ne pensait à s'occuper Chacun, dès qu'il paraît, se prend d'une ardente passion pour ce trésor convoité, déclare ne pouvoir s'en passer. Et les sources, après son passage continuent de se tarir ; elles disparaissent dans le sable des négligences et des ignorances... » 6. Mobilisé en septembre 1914, Claude Faure combat comme de réserve au Cameroun, sur la Somme et en Macédoine. Une grave blessure le contraint à quitter le front et, à la demande expresse du gouverneur général, il est de retour à Dakar en juin 191 8 et se marie en novembre 191 9. Déçu par l'insuffisance des locaux et l'impossibilité d'y recevoir des versements, il quitte définitivement Dakar à la fin de 6. Georges Hardy, Les Eléments de l'histoire coloniale, Paris, 1921. LES ARCHIVISTES DE l'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 299 1920 après la naissance de sa fille le Ier décembre. Nommé en 1920 archiviste de la Haute-Savoie à Annecy puis en 1926 archiviste du Rhône à Lyon, Claude Faure s'intéresse désormais au Dauphiné et à la Savoie et poursuit ses recherches dans les archives d'Italie et du Vatican ?. Docteur ès-lettres en 1932 avec une thèse principale sur YHistoire du collège de Vienne en Dauphiné, membre de l'Académie de Lyon, il prend sa retraite en 1941 à l'âge de 60 ans et meurt l'année suivante, le 22 février 1942 à Ampuis, non loin de Vienne. Décoré de l'Etoile Noire du Bénin, de la Croix de guerre et de la Légion d'honneur, son œuvre en Afrique ne sera pas oubliée : il a regroupé à Dakar une partie importante des archives du « Sénégal et dépendances » ; il a préparé les esprits et semé dans les colonies du groupe le bon grain archivistique. Prosper Alquier (1921-1922) Du séjour de son successeur, Prosper Alquier, né en 1890 à chartiste de la promotion 1921, ne subsiste qu'une étude sur Saint-Louis de 1789 à 1809 8. Au bout d'an an, en mai 1922, il demande son changement pour Constantine, où il décède en 1932. Par décision du 20 juin 1930, prise à l'initiative de Georges Hardy, les archives et la bibliothèque sont provisoirement rattachées à la direction de tout en restant confiées à la garde d'un ancien militaire africain, blessé de guerre, Médoune M'Baye, qui demeure en fonction jusqu'à son décès en 1952. En 1929 sont reçues aux archives du général les archives de la mairie de Gorée supprimée et peu après des registres de correspondance de la mairie de Rufisque. André Villard (1936-1942) Le 25 novembre 1936 débarque enfin à Dakar un jeune archiviste- paléographe pourvu du diplôme technique des bibliothèques, âgé de 23 ans, André Villard. Né en 1913 à Grenoble, de la promotion 1935 de l'Ecole nationale des Chartes, ce jeune Grenoblois, bâti en force, monté à Paris pour conquérir des titres universitaires enviés, attirait la sympathie par sa vitalité souriante, son enthousiasme qui allait jusqu'à la passion pour ses études, mais pas seulement pour elles. Sa thèse sur la Monnaie de Vienne semblait l'orienter vers le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale, mais au retour de son service militaire 7. Cf. la bibliographie de Claude Faure dans : Jacques Charpy, « L'Introduction par Claude Faure... », ouvrage cité. 8. P. Alquier, « Saint-Louis du Sénégal pendant la Révolution et l'Empire (1789- 1809) », dans Bulletin de la commission des études historiques et scientifiques des l'A.O.F., 1922, p. 277-411. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 300 J. CHARPY (sous-lieutenant dans les troupes alpines), l'absence de poste vacant l'oblige à choisir une autre voie et il obtient en juillet 1936 d'aller à la CasaVelasquez à Madrid. La guerre d'Espagne fait avorter le projet ; il sollicite alors le poste d'archiviste bibliothécaire à Dakar, aux semble-t-il de ses préoccupations intellectuelles. D'emblée, il est conquis par la tâche qui lui est offerte et par l'Afrique. Au retour d'un congé en 1939, c'est la guerre, il est mobilisé avec les tirailleurs au Maroc et est de retour à Dakar le jour de l'attaque des anglo- gaulliste le 21 septembre 1940. Il serait probablement resté en Afrique s'il n'avait été bloqué en France lors d'un congé fin 1942. Il est alors nommé à Gap dans les Hautes-Alpes avant de rejoindre Marseille le Ier janvier 1944 comme archiviste en chef du département des Bouches-du-Rhône. Il y décède en service le 10 septembre 1973 à l'âge de 60 ans, à la fois officier de la Légion d'Honneur et officier de l'ordre du Mérite. Arrivé à Dakar le 25 novembre 1936, avec l'ardeur de ses 23 ans, André Villard y trouve « un tas de papiers - les classements de Claude Faure avaient été très malmenés - et le scepticisme de l'administration dont le représentant lui déclare à leur première entrevue : « Ah, vous sortez de l'École des Chartes ! Nous avions des nègres qui avaient de la mémoire ; nous verrons ce que vous ferez » 9. Nullement découragé, il se met au travail et mène une action rapide et efficace. En peu de temps, aidé par un personnel squelettique mais dévoué, il réussit une réorganisation cohérente. Le service des Archives et bibliothèque est rétabli et installé dans l'ancien hôtel de la circonscription de Dakar destiné également à l'Institut français d'Afrique noire, dont il jette les premières bases avant l'arrivée en août 1938 du secrétaire général de l'Institut, Théodore Monod. Pendant l'hivernage 1937 il emménage dans ses nouveaux locaux, un sous-sol ventilé : « il fait une effroyable chaleur humide. L'effort est pénible. Les noirs des colonies sont d'ailleurs aussi fatigués que nous ». Les derniers transferts de de Saint-Louis (dont les archives du poste de Bakel) entre 1937 et 1940. Dans les autres territoires, il reçoit des sur les bibliothèques et les archives ; il semble que ce soit l'anarchie et le désordre un peu partout. Son opinion sur la société coloniale est sévère : « L'Afrique me paraît frappée d'une impuissance intellectuelle prodigieuse... et ce que nous lui apportons n'est pas fameux ». A propos d'une conférence qu'il va faire : « je fais çà pour les noirs, et non pour les blancs ; il n'y a que les noirs d'intéressant ici ». Il est saisi d'enthousiasme lorsqu'il aborde l'histoire proprement dite : « L'histoire des pays noirs est passionnément intéressante ». La est enrichie dans un sens colonial et africain pour en faire une bibliothèque d'études. 9. Les citations sont extraites de correspondances privées d'André Villard, communiquées par Madame Villard. LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 301 André Villard s'investit dans la formation de futurs archivistes pour les colonies de la fédération. En décembre 1937, il découvre les « superbes archives » du Soudan à Bamako. Au printemps 1938, il fait, par avion essentiellement, une tournée au Dahomey, Niger, Côte d'Ivoire et Togo (ce dernier pays pour les archives allemandes). Il y élargit ses connaissances et sa vision des sociétés africaines. Après une visite à Saint-Louis en avril 1938, il écrit : « Nul ne sait ce qu'est la vie qui n'a pas fait des journées d'avion. J'ai presque 36 heures de vol, un record pour Dakar. Les équipages gais, aimables, aimés des dames de toutes les teintes. Les risques n'existent pas à côté du plaisir pris et du prodigieux enseignement historique qu'on en tire : formation des comptoirs, types de peuplement. accueillants, dames mûres et alcooliques, filles à marier négresses de choix, jeunes administrateurs pleins de feu ; le monde colonial est étrange. Beaucoup de crapules et de cossards, beaucoup de chics types. Erudition ? Rare, mais quand on en trouve, admirable et de premier plan ». Son travail l'absorbe entièrement. En avril 1938, « la situation générale est mauvaise en Europe. Ici on ne s'en aperçoit guère. Il faut bien le dire, on a autre chose à faire et on est tourné vers l'Afrique plus que vers les blancs... Dieu me garde d'une préfecture française !... Ici pas le temps de penser femmes et enfants, légitimes ou pas... Je m'intéresse aux forts du Fleuve et à Faidherbe ». Il rencontre à différentes reprises le jeune Senghor. En avril 1938, il dîne chez le gouverneur général, avec Friedrich Sieburg, l'auteur de Dieu est-il Français ?> lui fait visiter les environs et l'apprécie : « Des aperçus ingénieux, un grand esprit. Quel dommage s'il fallait se battre avec des gens pareils ». Bernard Dadie, un adjoint d'André Villard, a témoigné : « II nous a appris à travailler sans contrainte... Il était attentif aux hommes... Il mettait la main à la pâte... Tout comme nous, il affronta les couches épaisses de poussière et les régiments de puces... En savant, il nous permettait au cours de nos discussions d'aborder tous les sujets, même les plus délicats, ceux dont nous parlions entre nous seulement, nous colonisés ». Dix-huit mois après son arrivée, le gouverneur général se dit « émerveillé du travail considérable réalisé en si peu de temps et avec si peu de moyen ». C'est bien le modèle métropolitain des archives qu'André Villard, comme son prédécesseur, veut appliquer en AOF : « La conception départementales des archives qui laisse chaque préfet maître de ses archives pourvu qu'il soit en rapport avec le directeur général des Archives, est applicable en AOF. Il ne faut pas qu'un jour les colonies de l'intérieur, une fois bien organisées, n'aient plus aucun document sur leur histoire ».Tour à tour, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Dahomey, le Niger et le Togo reçoivent comme archivistes des anciens élèves de l'école d'administration William Ponty formés par ses soins. Le Sénégal et le Soudan possédaient déjà un personnel stable. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 302 J. CHARPY De ces quelques années qui l'ont tant marqué et dont il a toujours gardé un souvenir inoubliable, reste son irremplaçable Histoire du Sénégal IO. En tête de son ouvrage il s'adresse au lecteur : « Tout n'est pas simple en Afrique. La colonisation est une œuvre longue et très difficile. Au Sénégal comme ailleurs, les Français ont souvent connu des succès, parfois des échecs, mais toujours beaucoup de peine. La population locale a eu sa part des bons et des mauvais jours. Si le lecteur peut à propos de ce petit livre réfléchir un peu à ce qui a été fait en ce pays et surtout aux conditions dans lesquelles il a fallu travailler, l'auteur pourra penser qu'il n'a pas perdu son temps ». André Villard aimait communiquer, il aimait écrire. Sa bibliographie comporte 148 numéros ". Au Sénégal, il transmettait son dynamisme et sa science historique dans de nombreux articles parus dans les bulletins locaux. Marguerite Verdat (1945-1948) Le 17 septembre 1942, le service des Archives-Bibliothèque est annexé à l'Institut français d'Afrique noire (en 1943, les archives du poste de Kita, Soudan, sont versées à Dakar) et, de juin 1945 à 1948, il est géré par le chef de la section dite de « documentation » de l'IFAN, Mademoiselle Marguerite Verdat. Née en 1893, élève de la promotion 1926 de l'École des Chartes, elle a soutenu une thèse sur Les Etats du Maçonnais aux XIVe et XVe siècles ; bibliothécaire au musée de la France d'Outre mer et de l'agence générale des Colonies, elle a publié un an après le désastre du Pourquoi pas ?, en 1937, un ouvrage à la gloire de Charcot, Charcot, le chevalier du Pôle. La nouvelle archiviste fait établir le dépôt légal en AOF au profit de la bibliothèque et entreprend des tournées, pleines d'imprévues, en vue de regrouper aux chefs-lieux des territoires les archives « historiques » des cercles et subdivisions. Elle sillonne et découvre avec curiosité et un grand intérêt le Sénégal (des archives des postes de Kaolack sont alors versées aux Archives du gouvernement général, et celles de Tambacounda à Saint- Louis), le Soudan (sont transférées à Bamako-Koulouba des archives de 9 postes dont Bandiagara, Gao, Kayes, Djenné et Ségou), la Guinée (sont transférées à Conakry des archives de 17 postes dont Boffa, Boké, Dinguiraye, Faranah, Forécariah, Kankan, Labé, Macenta et Pita), la Côte d'Ivoire (sont transférées à Abidjan des archives de 12 postes dont Bouaké et Bouémi), le Niger (sont transférées à Niamey des archives de 5 postes dont Madoua et Zinder) et le Dahomey (sont transférées à Porto-Novo des archives de 5 postes, complétant les transferts réalisés 10. André Villard, Histoire du Sénégal, Dakar, Viale, 1943, 265 p. 11. Cf. la bibliographie d'André Villard dans : Mélanges André Villard, Marseille, historique de Provence, 1975, 630 p. LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 303 en 1943-1944 pour 9 postes dont Abomey et Grand-Popo). Forte personnalité, Marguerite Verdat se heurte au directeur de l'IFAN, Théodore Monod, à propos notamment du caractère administratif des archives et de la notion de fonds d'archives qu'elle défend contre la notion documentaire prônée par l'IFAN et son directeur. En 1948, elle démissionne, mais demeure sur place et jusqu'en 1953 elle enseigne l'histoire au lycée de Dakar. Promue chevalier de la Légion d'Honneur, elle se retire en France. Elle meurt le 26 septembre 1971 à Issy-les- Moulineaux dans la région parisienne. Jacques Charpy (1951-1958) De même que la création des archives de l'A.O.F. avait été rendue possible par une action déterminante du ministère des Colonies, de même l'action du ministère de la France d'Outre-mer dans les années 1948-1951 fut très importante. Après une tournée d'inspection réalisée en 1948 en Afrique noire, le responsable français des Archives du ministère de la France d'Outre-mer, Carlo Laroche, publie un article dans la Revue historique sur « les Archives d'outre-mer et l'histoire coloniale française » I2, point de départ d'une nouvelle archivistique française, particulièrement efficace en Afrique. Le 7 septembre 1951 j'arrive à Dakar avec la mission bien précise de rétablir un véritable service des Archives en les séparant de l'IFAN. Je suis alors âgé de 24 ans, né en 1926 à Saint-Lô, et je suis sorti de la dernière promotion de l'Ecole des Chartes avec une thèse sur Les Haras d'Ancien Régime et l'élevage du cheval en Bretagne (1666-IJ90). Je deviens dans un premier temps, sous l'autorité du directeur de l'IFAN, responsable de la section dite « historique » de l'IFAN, et chargé de la recherche historique, du futur musée historique à aménager à Gorée et des archives du gouvernement général, désormais amputées de la bibliothèque. Ma première tâche est de me rendre compte de la situation des Archives à la fois au siège du gouvernement général et dans les de la fédération. A Dakar, le dépôt d'archives est confiné dans la partie méridionale du sous-sol de l'IFAN ; il représente la longueur dérisoire de 1000 mètres de rayonnages. Une salle annexe renferme les collections de Journaux officiels et sert de bureau aux employés du service, le vieux secrétaire auxiliaire, Médoune M'Baye en poste depuis une vingtaine d'années, et le tout jeune commis auxiliaire Oumar Ba. L'archiviste est installé provisoirement dans le bureau de la de l'IFAN dans le sous-sol aménagé par André Villard. Les étagères sont surchargées. Après quelques semaines dans une case de 12. Carlo Laroche, « Les Archives d'outre-mer et l'histoire coloniale française », dans Revue historique, octobre-décembre 1951, p. 213-223. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 304 J- CHARPY passage de l'IFAN à Dakar, j'emménage à Gorée dans un logement annexe du futur musée. Pendant deux ans je fais ainsi tous les jours et deux fois par jour le trajet aller et retour Gorée-Dakar, soit près d'une heure et demi de mer par jour. Du port à l'IFAN, je circule en moto. Je garde un excellent souvenir de ce séjour à Gorée, d'autant que l'ambiance sur l'île était fort sympathique. Durant mes séjours une fois marié, je loge au Point E, rue C, villa 2A en dur. Dès le 6 décembre 1951, j'entreprends un première tournée dans les territoires : par avion pour Niamey, par la route ensuite pour parTillabéry et Dori, puis Bobo-Dioulasso, Banfora et Gaoua, de nouveau l'avion de Ouagadougou à Gao, le fleuve ensuite par Tombouctou, Goundam, Niafunké, Mopti, la route enfin pour Bamako-Koulaba, d'où l'avion me ramène à Dakar le Ier février 1952. Dès le 18 février je repars pour les territoires du Sud : par avion pour Porto-Novo par Bamako, Bobo-Dioulasso, Bouaké et Abidjan, puis Accra, Lomé et Cotonou, en voiture pour Abomey, Athiémé et Ouidah, en avion de Cotonou à Lomé et de Lomé à Abidjan, par la route ensuite pour Gagnoa, Daloa, Man, Séguéla et Bouaflé, enfin par avion pour Conakry et retour à Dakar le 4 avril. Résultat de mes tournées : 1000 km sur le Niger, 6000 km sur les pistes, 10000 km en avion et plein de souvenirs, de cocotiers, de chameaux, de fétiches, de touaregs ou de tams-tams et d'histoires à raconter plus tard : pont détruit, crevaison et panne en brousse, messe de minuit à Bobo, navigation sur le Niger, chaleur extrême et orage violent au Dahomey. Suite à une erreur de transmission, l'administrateur de Daloa croit recevoir la visite du gouverneur général et on me prépare une réception grandiose. Quant aux archives, je mets à jour des documents passionnants mais je travaille souvent dans des conditions pénibles. Au cours de ces tournées je fais transférer aux chefs-lieux des territoires les archives, fort des postes de la boucle du Niger (Tombouctou, Gao, Goundam et Niafunké), celles de 7 postes de Côte d'Ivoire (dont Daloa, Man et Touba), celles de 6 postes de Haute-Volta (dont Fada N'Gourma) et je m'efforce de faire revenir à Ouagadougou les archives remises à la colonie du Niger lors de la suppression de la Haute-Volta en 1932 et d'intéresser le gouverneur du Togo à la conservation des archives (1881-1916). Voici par exemple le compte-rendu de ma visite dans un poste de la vallée du Niger : « Archives ? Non, il n'y a rien me répond le sinon quelques dossiers d'affaires récentes dont on connaît grâce à leur utilisation presque journalière. N'y a-t-il vraiment pas autre chose ? On déniche alors dans un coin d'une armoire deux ou trois registres datant des environs de 1900 et une dizaine de lettres de la même époque. Est-ce tout ? Où gisent donc les traces écrites de française depuis 60 ans et plus ? On découvre alors d'un local dépourvu d'intérêt, paraît-il, dont on a perdu la clef LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 305 depuis des mois. Forçons la porte et entrons... ou plutôt essayons de naviguer au milieu de cet océan d'archives. La tempête est passée par là. Tels des radeaux en perdition, les étagères croulantes ont rejeté leurs précieux chargements ; les registres de correspondance ont tenté de se maintenir, mais la lame de fonds de l'Agence spéciale a déferlé ; des journaux officiels s'agrippent aux débris, caisses de bouteilles, pots de peinture, fauteuil d'infirmé, matériel hétéroclite. De-ci, de-là, des se sont efforcés de prendre pied sur les rochers des élections, mais les vagues des recensements et celles du recrutement ont entraîné à la dérive les derniers survivants. Une poussière épaisse a recouvert le tout et, seules, les chauves-souris, tels des oiseaux de proie, donnent un semblant de vie à ce cimetière marin. Ainsi reposent côte à côte, rongés par les mêmes termites et les mouches maçonnes, les itinéraires de la conquête, les papiers carbones usagés, les tickets de ravitaillement de la dernière guerre, les correspondances de futurs gouverneurs ou officiers supérieurs, les prospectus de la loterie nationale, les registres d'état civil, des dossiers éventrés d'affaires économiques, les imprimés des rapports de tournées et... la brochure éditée par mon à l'usage des archivistes des cercles. La dernière passation de service de ce poste, du début de l'année, portait ces trois mots : « bien classées ». Au retour de ces tournées, je mets au point un projet de des Archives en A.O.F. : « Le rattachement à l'IFAN est trop artificiel et l'IFAN se contente d'exploiter les archives pour s'établir : le résultat est que tout croule ». Le 21 mai 1952 je signe mon rapport adressé au haut-commissaire sous couvert du directeur de l'IFAN, une centaine de pages que, faute de dactylographe, je tape moi-même à la machine. Après l'historique du service des archives, j'y présente la situation des dépôts d'archives, leur personnel, les fonds, classements et répertoires, les archives des administrations et des cercles et « L'organisation actuelle ne donne pas satisfaction. Deux causes essentielles : rupture de contact des Archives et de l'administration, résultat d'une conception erronée de la notion et du rôle des archives ; insuffisance d'autorité » et de compétence des directeurs des centres IFAN, hommes de science ethnologiques le plus souvent, et dans l'activité des responsables locaux des archives dû pour certains au virus de la politique. Mon projet de réorganisation trois parties : reconstitution des services d'archives à Dakar et aux chefs-lieux des territoires (avec plan des dépôts existants), organisation technique des dépôts d'archives, tenue et conservation des archives des cercles et subdivisions. Pour appuyer mes propositions, je rencontre le directeur de cabinet du haut-commissaire, Yvon Bourges que je plus tard comme président de la région Bretagne. Les nouveaux textes organiques sont signés le 9 juillet 1953 et le 13 août 1953, créant d'une part le service des Archives du gouvernement Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 306 J. CHARPY général rattaché au secrétariat général du gouvernement général et portant règlement général des archives de l'A.O.F. ; précisant d'autre part les conditions de versement des publications officielles dans les dépôts d'archives. A la même date le Grand Conseil accorde un crédit de 4.000.000 F. CFA pour l'équipement du nouveau dépôt installé aux Ier et 2e sous-sol du nouvel building administratif avenue Roume, dépôt d'une superficie de 700 m2 environ et d'une longueur utile de de 3200 m. avec salle de lecture, bureau du personnel et secrétariat, bureau du conservateur, bibliothèque administrative, salle de tri et de classement. Un mois après mon retour de congé en métropole, le service des archives s'installe dans ses nouveaux locaux, ouverts le 15 mai 1954 aux administrations et au public. Durant l'année 1954 s'effectue le transfert, dans ce nouveau dépôt des archives naguère recueillies par Claude Faure et André Villard et les documents et dossiers de la période 1902-1949 sauvés des trop fameuses caves de Fann, où reposaient depuis 1949, sans air et parfois sans lumière, au milieu de la poussière, de la poudre D.D.T., des puces, des rats, des vieilles mécaniques rouillées, des tuyauteries fatiguées, les archives des services administratifs qui s'étaient entassées dans l'ancien secrétariat de la place Protêt depuis le début du siècle et dont une partie avait été anéantie, brûlée ou noyé au cours du déménagement impromptu de 1949. Ce travail considérable est accompli dans des conditions très pénibles avec une corvée insaisissable de 4 à 8 prisonniers civils servia- bles, un agent de police borné et météore (malgré la grande et l'amabilité du commandant de gendarmerie), un camion défectueux et un chauffeur d'une rigoureuse exactitude. L'IFAN ayant conservé la gestion de la bibliothèque scientifique, une nouvelle administrative et de sources historiques, est constituée aux Archives. Chaque jour je m'efforce de consacrer quelques temps au travail de base de l'archiviste, c'est-à-dire au classement et à l'inventaire des archives dont j'ai la responsabilité. C'est ainsi que, entre 1954 et 1958, j'ai pu faire paraître le Répertoire des archives de l'Afrique Occidentale Française antérieures à 1920 *3, auquel j'ai ajouté en 1959 ce qui fut pour moi un peu mon testament, une Introduction aux Archives de VA.O.E - Guide des recherches de 182 pages, demeurée ronéotypée par suite des circonstances politiques I4. Je poursuis également avec l'aide du personnel des archives, notamment Oumar Ba, Abdoulaye Gamby N'Diaye, Birame Faye et quelques autres, 13. Jacques Charpy, Répertoire des Archives [du Gouvernement général, puis Haut- Commissariat de la république en A.O.F., antérieures à 1920]. Séries A, B, D, E, F, G, H àT, Dakar, 1954-19583 790 p. en 7 vol. Ce répertoire a été complété par la publication en 1978 par Abdoulaye Gamby N'Diaye du Répertoire de la sous-série 2 G, rapports périodique, 1895-1940, Dakar, 448 p. 14. Jacques Charpy, Introduction aux Archives de l'Afrique Occidentale française. Guide des recherches, Dakar-Paris, 1959, ronéoté, 169 p. in-40 LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 307 l'accroissement des fonds par l'accueil des versements pour lesquels je précise la méthode de classement, respectant à la fois l'origine des fonds et la matière des dossiers dont l'intitulé est inscrit sur le permanent. De même sont édictées les règles de classement de la bibliothèque, série « po » pour les publications officielles, série « bi » pour les autres publications, en distinguant, d'une part les formats, d'autre part la nature, volume, périodique, brochure, affiche ou carte. Dans les territoires, seul le Sénégal reçoit un archiviste sortant de l'Ecole des Chartes, mon camarade et ami Jean-François Maurel qui prend ses fonctions en 1954 tout en assumant quelque temps les responsabilités d'archiviste de la Mauritanie, territoire gouverné depuis Saint-Louis. A Abidjan le service reste confié à l'ancien élève de l'école William Ponty Amon d'Aby, en poste depuis 1938 et qui en 1949 a fait verser à son dépôt les archives de 14 postes. De même à Porto-Novo, le service des archives, créé en 1913 et confié à Serpos Tidjani en 1941 poursuit le regroupement des archives des postes commencé dès de l'institution. En Guinée, l'archiviste Damien d'Almeida, de Madeira Keita, rédige le Premier répertoire des archives publié quelques années plus tard I5. Pour ma part j'effectue quelques tournées à travers l'A.O.F. afin de réveiller les énergies, de pourvoir les postes vacants de personnel formé par des stages à Dakar, de poursuivre, comme mon prédécesseur, le regroupement aux chefs-lieux des des archives anciennes des cercles et subdivisions. Les ennemis des archives sont nombreux, climat, termites, négligences, vols, brûle- ments. Je me souviens d'un séjour en 1954 à Conakry et à Bamako, d'une tournée de trois semaines en 1955 à Abidjan, Porto-Novo, et alentours... J'apprends la patience et je connais les joies de la découverte. Etant archiviste, je suis donc aussi historien. La perspective du de Dakar me fait entreprendre des recherches sur l'histoire de la ville. Une grande exposition Dakar a cent ans se tient du 23 décembre 1957 au 16 février 1958 et reçoit près de 50.000 visiteurs. Les Dakarois découvrent alors leur histoire. Cette même année 1958, je publie un gros volume de 600 pages de documents d'archives des années 1845 à 1866 concernant La Fondation de Dakar l6. Les professeurs de la jeune université de Dakar et autres chercheurs trouvent désormais dans un dépôt accueillant les sources de leurs travaux historiques....Et le 3 novembre 1958, je quitte définitivement Dakar avec ma famille (mes deux aînés sont nés à Dakar) et regagne définitivement la 15. Damien d'Almeida, Premier répertoire des Archives nationales de Guinée, Berlin, 1962, 224 p. 16. Jacques Charpy, La Fondation de Dakar (1845-1857-1869), Documents recueillis et publiés par..., Paris, Larose, 1958, 596 p., 39 pi. h.t. -Voir aussi : Jacques Charpy, « Le contre-amiral Léopold Protêt (1 808-1 862) et l'expansion coloniale de la France », dans Société d'histoire et d'archéologie de Saint-Malo, Annales, 2004, p. 79-104 ; et Jacques Charpy, Dakar, naissance d'une métropole, Rennes, éditions Les Portes du Large, 2007, 120 p. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 308 J. CHARPY France, par mer pour se remettre des deux ans et donc des deux hivernages de séjour. Depuis, j'ai exercé en Bretagne les fonctions de directeur des Archives départementales de 1959 à 1973 dans le Finistère à Quimper, de 1973 à 1991 en Ille-et-Vilaine à Rennes *7. Ici et là, et en Afrique, j'ai toujours eu plaisir à accueillir des archivistes et former des stagiaires africains et à poursuivre des recherches sur l'histoire de l'Afrique l8. Jean-François Maurel (1958-1959) Lors de mon départ de Dakar, l'intérim du poste de chef du service des Archives de l'A.O.F. est confié à l'archiviste du Sénégal Jean- François Maurel, né en 1927 à Boën-sur-Lignon, dans la Loire, auteur d'une thèse d'Ecole des Chartes sur Jean Beleth et la Summa de ecclesias- ticis officiis. Nommé à Saint-Louis comme archiviste du gouvernement du Sénégal en 1954, il y a mis en valeur les fonds dont il avait la charge, entretenant les relations les plus amicales avec la population locale, dont il parle la langue, le ouolof. Le Sénégal ayant transféré sa capitale de Saint-Louis à Dakar (décret du 17 juin 1958), les archives du Sénégal rejoignent alors les archives de l'A.O.F. dont le service se trouve supprimé ainsi que son directeur en même temps que la de l'A.O.F. Après quelques hésitations et compte tenu du travail réalisé pour les faire connaître, les archives du gouvernement général de l'A.O.F. sont intégralement maintenues sur place et non, comme dans les autres territoires de la France d'Outre mer, partagées entre archives de souveraineté et archives de gestion I9. La propriété de la France est affirmée, qui lui permet d'établir un microfilm de l'ensemble 2°. D'abord placées sous l'autorité de tutelle de l'Université, à l'époque encore française, elles sont financées par les Archives de France avant d'être en partie prises en charge par le gouvernement du Sénégal. A plusieurs reprises des demandes de démembrement du fonds de l'A.O.F. furent présentées par des États héritiers de la défunte A.O.F. Un long travail d'explications persuasives, la possibilité de immédiatement ou à terme, des microfilms permirent d'éviter toute dislocation du fonds, et aujourd'hui l'unanimité, tant parmi les 17. Cf. la bibliographie de Jacques Charpy, dans : Charpiana. Mélanges offerts par ses amis à Jacques Charpy, Fédération des sociétés savantes de Bretagne, 1991, 844 p. 18. Jacques Charpy, Casamance et Sénégal au temps de la colonisation française. historique sur la Casamance, Dakar, ministère de la Communication, 1993, 47 p. 19. Jean-François Maurel, « Les archives de l'A.O.F. avant, pendant et après l'A.O.F. », dans A. O.F. : réalités et héritages. Sociétés ouest-africaines et ordres colonial, 1895-1960, Dakar, 1997, tome 1, p. 189-195. 20. Sources de l'histoire de l'Afrique au Sud du Sahara dans les archives et bibliothèques françaises. I. Archives, Unesco, Conseil international des Archives, 1971, p. 590-597. Il existe en France deux exemplaires des microfilms, l'un conservé aux Archives nationales à Paris, l'autre au dépôt des archives d'outre-mer à Aix-en-Provence. LES ARCHIVISTES DE L'A.O.F. FACE À LEUR TEMPS 309 politiques que parmi les chercheurs, se félicite du maintien de du fonds, conservé dans les mêmes conditions que les Archives du Sénégal qui assurent en outre la réception des fonds demeurés dans les administrations de l'ancienne fédération 2I. La présence à Dakar de cet important fond d'archives justifia, à partir de 1967, la mise en place d'une formation d'archivistes au sein de l'Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes de Dakar (EBAD), à l'intention desquels Jean-François Maurel publia, en collaboration avec Paule Brasseur un manuel concernant Les sources bibliographiques de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique équatoriale d'expression française 22. En 1976 Jean-François Maurel rentre en France, où il est affecté aux Archives d'outre-mer à Aix-en-Provence dont il allait devenir le conservateur en chef quelques années plus tard. Saliou M'Baye, ancien élève de l'Ecole des Chartes de la promotion 1974, lui succède à Dakar comme directeur des Archives du Sénégal. Jusqu'en 2005 il poursuit l'action de développement des Archives du Sénégal : de nombreux travaux de classement et d'inventaire sont notamment grâce à la participation de stagiaires de l'Ecole des Chartes et de l'EBAD. En 1990 et 1991, il publie un Guide des Archives de l'Afrique Occidentale Française et une Histoire des institutions françaises en Afrique de l'Ouest (1816-1960) 23. Le projet de l'ancien président de la République du Sénégal, Abdou Diouf, d'un nouveau bâtiment d'archives destiné à remplacer l'actuel, surencombré, est abandonné. Les archives semblent présenter un intérêt moindre pour les autorités ; aussi, me reste-t-il à souhaiter que l'afflux incessant des archives des administrations sénégalaises contemporaines ne pas la conservation du patrimoine écrit de l'ancienne Afrique occidentale française. 21. Les archives politiques du haut-commissariat de la République en A.O.F. après le départ du dernier haut-commissaire, Pierre Messmer, à l'ambassade de France auprès du Sénégal, sont aujourd'hui conservées au dépôt des archives à Nantes. 22. Paule Brasseur, Jean-François Maurel, Les sources bibliographiques de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique équatoriale d'expression française, bibliothèque de l'Université de Dakar, 1870, 88 p. 23. Saliou M'Baye, Guide des Archives de l'Afrique Occidentale française, Dakar, Archives du Sénégal, 1990, 205 p. - Saliou M'Baye, Histoire des institutions françaises en Afrique de l'ouest, Dakar, 1991, 339 p. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010)

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