Histoire et justice : Génocides et crimes de masse - PDF
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Ce document traite de l'histoire de la justice face aux génocides et autres crimes de masse. Il explore les défis de la justice ordinaire et examine les solutions comme les tribunaux d'exception. Le texte aborde également des cas comme le génocide au Rwanda et dans l'ex-Yougoslavie.
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**Histoire, mémoire et justice** Certains crimes sont tellement terribles qu'ils créent chez les populations touchées un besoin de justice extrêmement important : l'impunité des bourreaux est pour elles inenvisageables. Au lendemain de la 2^nde^ GM se met donc en place une justice internationale et...
**Histoire, mémoire et justice** Certains crimes sont tellement terribles qu'ils créent chez les populations touchées un besoin de justice extrêmement important : l'impunité des bourreaux est pour elles inenvisageables. Au lendemain de la 2^nde^ GM se met donc en place une justice internationale et de nouveaux chefs d'accusation sont créés : celui de crime contre l'humanité et celui de génocide. Si la fin de la Guerre froide nourrit l'espoir d'un apaisement des relations internationales, des conflits interétatiques extrêmement meurtriers et violents éclatent dans les années 1990, conduisant à des crimes contre l'humanité ou des génocides. C'est le cas notamment au Rwanda en 1994 et en Ex-Yougoslavie de 1991 à 1995. La justice internationale s'adapte à ces nouveaux crimes mais ne suffit pas toujours, rendant nécessaire la mise en place d'une justice transitionnelle locale. La justice peut-elle apaiser les mémoires des génocides et des crimes de masse, aux échelles nationales et internationales ? **I.La justice face aux crimes de masse** Face aux crimes de masse, aux crimes contre l'humanité et aux génocides, la justice ordinaire est inadaptée, et ce pour plusieurs raisons : **1.Un nombre de victimes et de coupables hors du commun** Dans les démocraties, la justice est conçue pour individualiser les peines en fonction des responsabilités de chacun. Ce fonctionnement implique une certaine lenteur et il se montre inadapté aux crimes de masse qui comptent souvent des centaines de milliers de victimes et parfois des centaines de milliers de présumés coupables. Ainsi, au Rwanda, ce sont entre 800 000 et 900 000 personnes qui sont condamnées pour des actes allant du pillage aux meurtres multiples. Il aurait fallu plus de 200 ans à la justice rwandaise pour traiter l'ensemble de ces cas. **2.La place de l'Etat dans l'organisation de ces crimes** Le 2^nd^ défi de la justice est lié à la nature même des crimes qui sont jugés : perpétrés dans un contexte de guerre, ils ont été la plupart du temps encouragés voire organisés par l'Etat qui a toujours utilisé l'endoctrinement et la propagande, et parfois la contrainte. C'est le cas au Rwanda où l'Etat fait tout pour encourager la haine contre les Tutsis, alimentant chez les Hutus la peur d'une attaque de leur part. C'est aussi le cas en Ex-Yougoslavie où les autorités désignent les communautés minoritaires comme responsables de leurs difficultés. Dans le cas d'une guerre civile, l'implication de l'armée peut amener de simples citoyens à obéir aux ordres sous la contrainte. Il est ainsi très difficile, pour les tribunaux, de juger la responsabilité effective de simples citoyens : ont-ils perpétré ces crimes parce qu'ils le souhaitaient ? Parce qu'ils ont été convaincus par le pouvoir qu'ils étaient nécessaires (propagande) ? Ont-ils obéi sous la contrainte ? Dans les trois cas, les sanctions doivent être différentes. **3.Des accusés qui se déclarent innocents, des preuves difficiles à trouver** Les présumés coupables ont bien compris ces difficultés et en jouent, se déclarant eux-mêmes victimes d'un enchainement de causes ou d'ordres assassins. C'est la ligne tenue par Eichmann lors de son procès en Israël, c'est également la ligne suivie par Radovan Karadzic à la Haye ainsi que par de nombreux Hutus lors des gacaca. Autre exemple, celui de Khieu Samphân, un des dirigeants les plus importants du gouvernement cambodgien Khmer rouge responsable entre 1975 et 1979 de la mort d\'environ 2 millions de Cambodgiens. Il a été jugé à partir de 2011 par un tribunal spécial cambodgien parrainé par l'ONU (et reconnu en 2018 coupable de « génocide »). Au cours des procès, Khieu Samphân a minimisé ses responsabilités, reportant la responsabilité sur Pol Pot, principal dirigeant du régime. Cette ligne de défense nécessite des magistrats spécialisés, capables de retrouver des preuves les incriminant ou pas. Ces preuves sont d'ailleurs difficiles à retrouver : la plupart des corps ont été placé dans des charniers qu'il est difficile de retrouver -- en Bosnie, le pouvoir avait même créé de « petits » charniers d'une dizaine de corps pour tromper les autorités qui chercheraient les corps et les amener à conclure à l'absence de génocide. Les archives ont souvent été détruites. **4.Juger ou amnistier ?** La question se pose car ces crimes ont souvent pris place dans le cadre de guerres civiles. Au sortir de la guerre, les autorités sont donc tiraillées entre le désir de rendre justice aux victimes et la volonté de rétablir une paix durable. La réconciliation relève donc d\'abord d\'un projet politique (recherche de l'unité nationale) plus que d'une véritable justice. Ici, les mémoires (et leur apaisement) apparaissent donc comme un frein à la justice entendue au sens « traditionnel » du terme. Après un conflit, les autorités mettent en place une justice transitionnelle, c'est-à-dire un ensemble de mesures (judiciaires ou non) pour rétablir la paix et le droit après une guerre. Cette justice transitionnelle peut passer par un tribunal, par une commission non-judiciaire ou par l'amnistie, comme en Afrique du Sud au lendemain de l'apartheid. Mais ce type de justice ne fait pas l'unanimité car elle ne garantit pas les réparations matérielles que les victimes attendent aussi. **Toutes ces particularités expliquent la nécessité de mettre en place des tribunaux d'exception, c'est-à-dire créés pour juger certains crimes spécifiques. Ces tribunaux peuvent être mis en place à l'échelle locale ou internationale, comme le montrent les exemples du Rwanda et de l'Ex-Yougoslavie.** **II.Des tribunaux d'exception à l'échelle locale : l'exemple du Rwanda** **1.Le génocide des Tutsis** **a.Les causes du génocide** Le Rwanda, pays d'Afrique de l'Est, a pendant longtemps été une colonie belge. Deux groupes y cohabitaient : les Hutus, petits cultivateurs et les Tutsis, des éleveurs propriétaires de bovins (marque de richesse). Pendant la colonisation, les Belges favorisent les Tutsis, discriminant et humiliant les Hutus. En 1973, 11 ans après l'indépendance (1962), un général Hutu s'empare du pouvoir par un coup d'Etat : Juvénal Habyarimana. Petit à petit, les Hutus prennent leur revanche sur ces siècles de domination et la situation se complique pour les Tutsis, discriminés à leur tour. En 1990 éclate une guerre civile : depuis l'Ouganda où ils sont réfugiés, le Front Patriotique Rwandais (FPR) dirigé par Paul Kagamé, composé de Tutsis, envahit le Nord du Rwanda. La communauté internationale tente de mettre fin à la guerre civile en amenant le gouvernement rwandais à signer un cessez-le-feu et les Accords d'Arusha en 1993. Mais les violences reprennent rapidement. Le 6 avril 1994, l'avion du président Juvénal Habyarimana est abattu par un missile, alors qu'il revenait d'une réunion pour trouver des solutions à cette crise. Les extrémistes accusent les Tutsis d'être responsables de cet assassinat et appellent au meurtre : c'est le début du génocide (alors que les circonstances de cet accident n'ont toujours pas été élucidées...). **b.Le déroulement du génocide : avril à juillet 1994** En l'espace de trois mois, d'avril à juillet 1994, entre 800 000 et un million de Tutsis et de Hutus modérés sont exterminés au nom de la haine raciale encouragée par l'Etat. L'Etat, l'armée, la radio (« radio des mille collines ») appellent les Hutus à se débarrasser des Tutsis, assimilés à des « cafards ». Des centaines de milliers de Hutus prennent leur machette pour les exterminer. Ce génocide est très important dans la capitale et dans le Sud du Rwanda, autour de Nyamata. Les massacres auraient fait 20 000 morts par jour, soit un « rendement » équivalent à celui de la mort de masse réalisée au plus fort de la Shoah à Auschwitz. Mais contrairement à la Shoah, il s'est déroulé dans les lieux du quotidien et n'a pas nécessité la mise en place de camps d'extermination. Il a été fait par les voisins des victimes, des gens que bien souvent ils connaissaient. L'historienne Hélène Dumas parle de « génocide au village ». Concrètement, cette « chasse à l'homme » recommençait chaque jour, dans les mêmes villages. Ainsi, à Nyamata, les Tutsis avaient fui le village pour se réfugier dans l'école, au sommet de la colline. Tous les matins, ils descendaient se cacher dans les marais. Tous les matins, les Hutus sortaient du village pour les exterminer. Le soir, les rescapés Tutsis sortaient de leur cachette pour rejoindre l'école. A Nyamata, ce massacre a ainsi duré du 11 avril au 14 mai, soit à peine plus d'un mois, tuant 50 000 des 59 000 Tutsis de la ville. Beaucoup de massacres ont également eu lieu dans des églises ou des écoles où s'étaient réfugiés les Tutsis. 40% des victimes Tutsis ont été assassinées dans une église, le plus souvent à la machette. 35 000 à 40 000 ont été assassinés dans l'école technique de Murambi. Beaucoup ont également eu lieu sur les routes où les Hutus avaient installé des barrages routiers : les Tutsis qui essayaient de fuir étaient massacrés et jetés sur le bas-côté. Ces massacres ont été extrêmement traumatisants pour les survivants puisqu'ils se déroulaient en public et s'accompagnaient de viols systématiques et d'actes de torture. Beaucoup de survivants ont ainsi assisté aux violences commises contre leurs parents et amis. Le génocide s'achève le 17 juillet 1994, lorsque le FPR parvient à s'emparer du pouvoir. Des milliers de Hutus fuient alors vers le Zaïre voisin par peur des représailles. La communauté internationale s'est montrée incapable de prévenir et de stopper ce génocide. L'ONU a même fait le choix de réduire drastiquement ses effectifs dans ce pays après que 10 casques bleus se sont fait tuer et donne la priorité à l'évacuation des Occidentaux. La France obtient le droit d'envoyer son armée à partir du 22 juin, pour l'opération Turquoise qui doit théoriquement protéger les civils et assurer la distribution de l'aide humanitaire. Mais on l'a accusée d'avoir surtout voulu venir en aide aux Hutus. En 2020, Emmanuel Macron a nommé une commission d'enquête composée d'Historiens chargés de faire la lumière sur le rôle potentiel de la France dans le génocide. Si la composition de cette commission a été discutée (Les 2 principaux spécialistes du génocide ont été écartés), elle n'en a pas moins conclu que la France est coupable d'être restée aux côtés du gouvernement Hutu malgré les signes incontournables du génocide en cours. Emmanuel Macron a reconnu officiellement les responsabilités de la France à Kigali en mai 2021, sans pour autant présenter d'excuses officielles. **2.Juger le génocide** La perspective d'une amnistie a tout de suite été écartée par le pouvoir : les crimes commis étaient trop horribles. La population Tutsie du Rwanda réclamait le procès de ses bourreaux. **a.La mise en place du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, 1994** Le 8 novembre 1994, l'ONU crée le TPIR , dont l'objectif est de « contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région ». Installé à Arusha en Tanzanie, le TPIR s'est concentré exclusivement sur le jugement des grands responsables politiques, militaires et médiatiques (Radio des Mille Collines). En 1998, il condamne Jean-Paul Akayesu, dirigeant d'une commune rwandaise, pour génocide : c'est la 1^ère^ condamnation pour génocide de l'Histoire. Mais très vite, on prend conscience de l'insuffisance de ce tribunal : -Il ne peut remplir l'objectif de réconciliation : la population rwandaise est peu au courant de ce qui se passe dans ce tribunal situé en Tanzanie. -Il ne peut pas juger l'ensemble des personnes qui ont pris part à ce génocide (plus de 800 000 personnes). En tout, le TPIR n'organisera que 52 procès en 15 ans, jugeant les principaux responsables du génocide. La justice rwandaise prend donc le relai, mais elle est très vite submergée à son tour : en 2000, plus de 120 000 présumés coupables croupissent encore en prison dans l'attente de leur jugement. Ainsi, on décide de remettre en place une pratique ancestrale de la justice à l'échelle locale : les gacaca. **b.Le recours aux gacaca** « Gacaca » signifie « herbe douce » : c'est une assemblée villageoise ancestrale présidée par les anciens du village et où chacun peut prendre librement la parole. L'objectif est de régler des différends de voisinage ou familiaux. C'est en 2001 que l'on prend la décision de juger le reste des présumés coupables en réactivant les gacaca. Mais le temps d'organiser et de mettre en place le processus, les premiers procès commencent en 2005. Les Rwandais élisent 250 000 « juges » choisis pour leur bonne réputation (on les appelle les « intègres »), qui reçoivent une formation juridique de base, avant d'instruire le procès : cette phase dure plusieurs mois. Le procès se déroule ensuite en plein air, avec des rescapés, des témoins, les présumés coupables qui portent la tenue rose du prisonnier et les juges. Tous les villageois peuvent prendre la parole, à charge ou à décharge. Les accusés n'ont pas d'avocat, ils se défendent seuls. Une fois que tous se sont exprimés, les juges rendent leur verdict : la peine maximale pouvant être prononcée est de 30 ans de prison. Les mineurs de 14 à 18 ans encourent la moitié des peines des adultes. Les lois de 2004 et 2007 privilégient les procédures d'aveu et de plaidoyer de culpabilité. Ces tribunaux populaires ont aussi été mis en place pour faire émerger la vérité et permettre la réconciliation. On encourage les coupables à parler et à donner des détails contre des remises de peine. Leurs témoignages ont permis de mieux comprendre l'ampleur et le fonctionnement de ce génocide, de retrouver des charniers, et de mettre à jour les formes de résistance: des familles Hutus qui ont caché leurs voisins, leur ont donné de l'argent pour s'enfuir,... Parmi ces histoires, l'une d'elle a été adaptée au cinéma dans [Hôtel Rwanda] en 2005 : celle de Paul Rusesabagina qui a sauvé de la mort 1200 Tutsis et Hutus modérés en les cachant dans son hôtel. **3.Quel bilan peut-on dresser des gacaca ?** **a.Des tribunaux partiaux et un manquement aux Droits de l'Homme ?** - **Critiques émises par certains Rwandais :** Certains craignaient que les Tutsis se vengent de façon aveugle et qu'ils rendent des jugements non proportionnels aux crimes commis. D'autres trouvaient cela injuste car cette mesure ne permettait pas de juger tous les Hutus réfugiés dans les pays voisins et pourtant coupables des mêmes crimes. Dans la pratique, d'autres critiques sont apparues : de nombreux coupables ont avoué uniquement pour bénéficier des remises de peine. La corruption n'a pas été absente : certaines victimes ont reçu de l'argent pour se taire, et comme les juges étaient bénévoles, certains se sont laissés « acheter » par certains accusés. - **Critiques émises par la communauté internationale :** L'ONG Amnesty International a pointé du doigt le fait que les droits des accusés n'étaient pas respectés puisqu'ils ne disposaient pas d'un avocat. **b.Un bilan plutôt positif** Cependant, malgré les critiques, le bilan des gacaca est globalement positif : - D'abord parce que ces tribunaux ont réussi à juger plus de 2 millions de personnes entre 2005 et 2012. - Ensuite parce que les verdicts sont globalement en accord avec la vision des juges travaillant pour le TPIR et avec les témoignages recueillis. 65% des accusés ont été condamnés, dont 8% à la peine maximale. Ces chiffres sont en total adéquation avec le nombre de « petites mains » impliquées dans le génocide. Sur les personnes incriminées, 11,5% ont été condamnées comme planificateurs, 61,6% comme meurtriers et 26,9% pour atteinte à la propriété. - Enfin, parce que les témoignages ont permis de retrouver de nombreux corps et de faire émerger une mémoire commune des événements, prélude à la réconciliation souhaitée par le président Paul Kagamé : « les péchés doivent être réprimés et punis, mais aussi pardonnés ». **c.Désormais, le travail des historiens ** Les gacaca ont généré des milliers de pages d'archives judiciaires qui doivent désormais être épluchées par les historiens. Le défi de la recherche historique est de passer de ces milliers d'histoires individuelles à la rédaction d'une histoire collective du génocide, pour éviter tout négationnisme. La commémoration de ces crimes se met également en place. A l'échelle locale, les mémoriaux se multiplient : stèles funéraires sur les charniers, églises transformées en lieux de mémoire comme à Nyamata. A l'échelle nationale, la commémoration du génocide est célébrée tous les 7 avril. Ces actes de commémoration font partie du processus de réconciliation. **III.Des tribunaux d'exception à l'échelle internationale : l'exemple du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)** **1.Les crimes de masse en ex-Yougoslavie** La Yougoslavie est un Etat fédéral né en 1918. Composé de six Etats et de très nombreuses minorités et religions, il a connu son âge d'or sous le Maréchal Tito (1945-1980), qui lui impose un régime communiste. Mais la chute du communisme et l'implosion de l'URSS en 1991 réveillent les nationalismes : la Slovénie, la Croatie et la Macédoine déclarent leur indépendance en 1991, suivies en 1992 par la Bosnie-Herzégovine. La Serbie, présidée par Slobodan Milosevic, refuse ces indépendance et déclenche plusieurs guerres pour tenter de conserver la fédération (qu'elle dominait) et protéger les minorités serbes dans les pays qui s'émancipent. **a.De nombreux crimes de guerre** Pendant ces conflits, de nombreux crimes ont été perpétrés, notamment par les Serbes (mais pas uniquement), allant à l'encontre des règles de la guerre : destruction de villes comme celle de **Vukovar en Croatie** (1991) qui se double d'une prise d'otages (460 personnes raflées dans l'hôpital de la ville et exécutées), multiplication des massacres de civils, utilisation du viol comme d'une arme de guerre, opérations de « nettoyage ethnique », ouverture de camps de déportation (94 en avril 1992 dans toute la Bosnie), ... Deux guerres sont particulièrement violentes : - **La guerre de Bosnie et le siège de Sarajevo, 1992-1995** - Guerre civile entre Bosniaques (musulmans), Serbes (orthodoxes) et Croates (catholiques). - Guerre interétatique entre la Bosnie et la Serbie, cette dernière intervenant sur le prétexte de protéger les Serbes de Bosnie. - Cette guerre fait 100 000 morts, dont la moitié sont des civils. - L'événement le plus emblématique et le plus médiatisé de cette guerre est le **siège de Sarajevo** qui va durer plus de trois ans (avril 1992 -- février 1996): pendant 44 mois, l'armée serbe encercle la ville et des snippers tirent régulièrement sur les habitants, faisant environ 12 000 morts. Seul l'aéroport permet à Sarajevo de tenir le siège. L'UE puis l'ONU essaient d'intervenir mais sont impuissantes : le siège prend fin suite à l'intervention déterminante de l'OTAN (les EU) qui impose ensuite les Accords de Dayton (1995), partageant la Bosnie en deux entités distinctes. - **La guerre du Kosovo, 1998-1999** Cette guerre oppose les Albanais du Kosovo aux forces Serbes qui refusent leur rattachement à l'Albanie. Pour les Serbes, le Kosovo est une région très importante parce qu'elle abrite plusieurs monastères orthodoxes et qu'elle est considérée comme le berceau de leur identité. Dès 1998, ils se livrent à une opération de « nettoyage ethnique », pour vider le Kosovo de sa population albanaise. Plusieurs massacres ont lieu, dont celui de Racak, où l'armée serbe tue 45 habitants du village. Sur les 13 000 morts de cette guerre, 10 000 sont des civils. En 1999, l'armée serbe est contrainte par l'OTAN d'évacuer le Kosovo. Ces guerres ont toutes été un échec pour la Serbie : petit à petit, chacun des ex Etats de la Yougoslavie a réussi à prendre son indépendance. Mais certains, comme le Kosovo, ne sont toujours pas reconnus par la Serbie. En tout, elles auraient fait 130 000 morts entre 1991 et 1999, et 4 millions de déplacés. **b.Le génocide de Srebrenica en Bosnie (11-22 juillet 1995)** En juillet 1995, les forces serbes de Bosnie, sous le commandement du général Ratko Mladic, cherchent à vider la ville de Srebrenica et les villages voisins de ses habitants bosniaques musulmans. Ils séparent les hommes des femmes et des enfants. Comme il y a des casques bleus dans la ville (FORPRONU), la plupart acceptent, pensant qu'ils seront protégés. D'autres prennent les armes. Les bus de femmes et enfants sont envoyés dans d'autres régions de Bosnie, alors que les hommes sont regroupés dans des écoles et des salles communales avant d'être emmenés dans des clairières où ils sont froidement exécutés. Ce massacre aurait fait 8 000 morts. Il a été reconnu comme génocide par la cour internationale de justice et par le tribunal pénal international de Yougoslavie (TPIY). **2.Pour juger ces crimes : la mise en place du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie** En mai 1993, l'ONU vote la résolution 827 qui crée le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) chargé de juger les personnes ayant violé le droit international humanitaire depuis 1991. La guerre n'est pas encore finie, mais la justice commence déjà son travail et plusieurs enquêtes sur le terrain sont menées, comme celle menée par le français Jean-René Ruez à Srebrenica pour le compte du TPIY, qui réussit à prouver le caractère génocidaire de cette extermination et à retrouver la localisation des principaux charniers. Situé à La Haye, financé par l'ONU, le tribunal du TPIY va juger 161 personnes entre 1993 et 2017 pour génocide, crime contre l'humanité, torture, traitement inhumain, prise d'otages, destruction ou appropriation de biens,... Ce tribunal a montré la nature systématique de l'extermination et a permis d'incriminer les responsables politiques et militaires: - **Slobodan Milosevic** Président de la Serbie pendant la guerre, il est le premier chef d'Etat à comparaitre devant la justice internationale. Il faudra attendre 2001 et des menaces importantes de la part des EU pour que la Serbie accepte de l'arrêter et de le livrer. Accusé de génocide, de crime de guerre et de crime contre l'humanité, il meurt d'un infarctus dans sa cellule en 2006, sans qu'on puisse rendre de verdict, sa mort ayant interrompu le procès. - **Radovan Karadzic** Ancien président de la République serbe de Bosnie, il est lui aussi arrêté en 2008, suite aux pressions que les EU exercent sur la Serbie. Accusé du génocide de Srebrenica, il plaide non-coupable mais est condamné à 40 ans de prison. Son procès a inspiré le film [La révélation], de Hans-Christian Schmidt en 2009. - **Ratko Mladic** Général serbo-bosniaque, responsable au premier degré du génocide de Srebrenica et surnommé « le boucher des Balkans », il a échappé au tribunal pendant plus de 15 ans de cavale pendant lesquels il bénéficie de la protection de plusieurs Etats. Une prime de plus de 10 millions de dollars est même promise pour sa capture. Il est finalement arrêté par la Serbie en 2011, l'UE ayant fait de son arrestation une condition sine qua non à la candidature de la Serbie pour l'entrée dans l'Union. Reconnu coupable du massacre de Srebrenica et du bombardement de Sarajevo, il est condamné à la prison à perpétuité pour génocide, crime de guerre et crime contre l'humanité. **3.Quel bilan pour ce tribunal pénal international ?** **a.Un tribunal critiqué** - On lui reproche de « rendre la « justice des vainqueurs » et d'être partial. L'acquittement de certains individus a pu causer scandale, comme celui de Naser Oric. Cet ancien officier bosniaque, connu comme le « défenseur de Srebrenica » a été condamné en 2006 par le TPYI pour avoir ordonné le massacre de civils serbes vivant à proximité de Srebrenica. Il a fait appel, soutenu par les Bosniaques qui considéraient ces actes comme de la « légitime défense » et il a finalement été acquitté en 2008. Cette décision a provoqué la colère et l'incompréhension des Serbes. La spécialiste du droit international R.Raison a déclaré qu'au TPIY, on « assistait à une réécriture de l'Histoire ». Cela pose un vrai problème : est-ce au juge d'écrire l'Histoire ? Quel doit être leur rôle dans l'élaboration de l'histoire ? - On lui reproche également de n'avoir eu qu'une action limitée : de nombreux coupables ont échappé à cette justice parce qu'il est difficile à une organisation internationale de les arrêter lorsqu'ils bénéficient de la protection de leur Etat. C'est très net dans le cas de Ratko Mladic, qui a vécu 15 ans dans une impunité presque totale. - Certaines failles dans la sécurité ont été relevées : plusieurs inculpés ont réussi à se suicider alors qu'ils étaient sous la garde du Tribunal. Le cas le plus spectaculaire est le suicide, en pleine audience, du croate Slobodan Praljak qui a juste le temps de déclarer avant de s'écrouler : « Je viens de boire du poison. Je ne suis pas un criminel de guerre, je m'oppose à cette condamnation ». - Enfin, ce tribunal n'a pas jugé le travail des casques bleus des Pays-Bas, considérés par certains observateurs comme en partie responsables du génocide de Srebrenica parce qu'ils auraient, par leur présence apaisante, aidé le génocide à prendre place. Alerté par plusieurs rescapés, c'est l'Etat des Pays-Bas, d'où étaient originaires la majeure partie des casques bleus, qui a décidé de faire un procès au terme duquel la responsabilité de l'Etat néerlandais dans ce génocide a été établie. **b.Un pas important dans la mise en place d'une justice internationale** Force est pourtant de reconnaitre que le TPIY a transformé le paysage du droit international. - Il a permis de juger et de condamner des responsables de crimes de guerre qui n'auraient certainement pas été jugés par des tribunaux nationaux (encore aujourd'hui, beaucoup de Serbes voient Ratko Mladic comme un héros). - Suite au TPIY, la communauté internationale a décidé de renouveler l'expérience en mettant en place des tribunaux internationaux pour le Rwanda (1994), le Sierra Leone (2000), ou le Cambodge pour juger les crimes des Khmers rouges (2001). Depuis 2012 cependant, ces tribunaux spécifiques sont remplacés par le « Mécanisme international ». - Cette expérience a aussi poussé la Communauté internationale à créer la Cour pénale internationale (CPI) en 2002. Cette cour se distingue des autres tribunaux internationaux par **son caractère universel et permanent**. Constituée de 18 juges élus par l'Assemblée des Nations Unies pour 9 ans, elle est habilitée à juger quatre types de crimes : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression. La légitimité de cette cour est cependant remise en cause par des pays qui refusent de la reconnaitre, comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie ou l'Inde. Cette cour est également contestée parce qu'elle a prononcé une série d'acquittements très contestés comme celui de l'ancien président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, pourtant accusé de crime contre l'humanité. **Pour le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, « le TPIY a créé une architecture contemporaine de la justice internationale ».** **Cl :** La justice, qu'elle soit rendue à l'échelle locale ou internationale permet de construire une mémoire commune d'événements qui, par leur brutalité, sont impossibles à accepter. Ces procès parviennent à faire ressortir les responsabilités, à mettre en évidence le rôle de l'embrigadement. Les débats sont l'occasion de redonner une certaine dignité aux victimes, d'entendre leur douleur. Ils permettent aux mémoires de se construire et de s'apaiser, ce qui est le prélude indispensable à la pacification de ces sociétés. Mais la justice permet également de construire l'Histoire : ces procès sont des sources précieuses pour les Historiens sur le déroulement des faits et l'élaboration du processus de violence. Les historiens sont parfois conviés comme témoin pour replacer dans leur contexte des événements souvent complexes : c'est le cas par exemple d'Hélène Dumas, spécialiste du génocide des Tutsis, conviée aux procès de génocidaires réfugiés en France. Plusieurs historiens ont également été appelés à témoigner au TPIY.