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Perspective analytique : théories et applications PSY-1017 COURS 14 Janie St-Onge, Ph.D. Psychologue Chargée de cours Lecture Les psychologues cliniciens sont-ils encore nécessaires aujourd’hui ? -Roland Gori, 2016 professeur émérite de psychopathologie à l’université Aix-Marseille I, psychanalyste...

Perspective analytique : théories et applications PSY-1017 COURS 14 Janie St-Onge, Ph.D. Psychologue Chargée de cours Lecture Les psychologues cliniciens sont-ils encore nécessaires aujourd’hui ? -Roland Gori, 2016 professeur émérite de psychopathologie à l’université Aix-Marseille I, psychanalyste Vidéo Quelle place pour le soin psychique aujourd'hui ? - Roland Gori (1er mars 2024), entretien avec Cécile Guéret Face à la tyrannie de la norme qui abrase toujours davantage ses singularités et l’espace relationnel du social, le sujet contemporain développe une souffrance psychique qui nécessite d’être soignée, dans le cabinet du psychanalyste ou ailleurs. Depuis une vingtaine d’années, Roland Gori s’est engagé dans une résistance intellectuelle contre les pratiques néolibérales qui prônent, selon lui, la « fiction anthropologique d’un homme performant autoentrepreneur de lui-même ». https://www.cairn.info/rencontre-quelle-place-pour-le-soin-psychique.htm? fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR3BHAAjx1WOEi92G8nyNmDeigfRL10VDXqQh4kCaBlSWuJEYAYr4b3rTk_aem_AX MI1sOLy0xTyyT1ZzGHEvd1r76QHRxUWLn10dM6OJSvUpa56Gj77DDz8P L1wWmjPJgJJ0Uc5nvb0MWFs_7RIXVJ Facteurs favorisant ou empêchant l’émergence des concepts et pratiques thérapeutiques Les concepts et les pratiques thérapeutiques subissent les effets de facteurs, soit favorisant, soit au contraire empêchant leur émergence, leur développement et leur promotion  À la fin du XIXe siècle : psychanalyse est aidée dans son émergence par la reconnaissance, dans la culture, d’un échec des grandes valeurs libérales  Aujourd’hui : psychanalyse doit faire face à des facteurs d’inhibition, de censure et d’empêchements sociaux, au-delà bien sûr des limites et des lacunes qui sont les siennes Facteurs favorisant ou empêchant l’émergence des concepts et pratiques thérapeutiques La psychanalyse a « mauvais genre » : obéit au genre narratif, au genre du récit, au genre de la parole, dans une société qui est davantage centrée sur l’information, sur l’échange et l’interaction des signaux Nous sommes à l’ère numérique de l’homme et de la société S’il y a actuellement un recul de la reconnaissance sociale, de la visibilité culturelle, des méthodes qui se prévalent de la psychanalyse = effet de la censure sociale Facteurs favorisant ou empêchant l’émergence des concepts et pratiques thérapeutiques Censure sociale : pousse à ce que les pratiques soient centrées sur ce qui est quantifiable, procédurale, formel Davantage centré sur l’efficacité, sur la gestion, sur le court terme Ce qu’il faut quand même arriver à défendre, c’est l’idée que nous ne sommes pas évalués sur des critères qui sont les nôtres, des critères spécifiques à notre épistémologique, mais sur des critères qui sont davantage sociaux et culturels Facteurs favorisant ou empêchant l’émergence des concepts et pratiques thérapeutiques Ex. robots sociaux pourraient remplacer les psychologues et les psychiatres Si on permet de donner aux robots sociaux une apparence suffisamment humaine, les patients se confient plus facilement à ces robots sociaux qu’aux psys Les robots, c’est plus efficace (et moins cher, bien sûr) Ex. expérience pilote = porter un bracelet à la cheville « Plutôt que de les emprisonner, on peut les aider avec cet appareil » « Je crois que c’est moins cher et plus efficace » De l’émergence de la technique du quantifiable Il est intéressant de repérer comment, désormais, les formes admises dans les pratiques de soin, dans les pratiques pédagogiques, dans les pratiques d’accompagnement, sont finalement des formes techniques La technique devient le moyen par lequel on va soigner, aider ou enseigner La technique devient la solution aux problèmes humains De l’émergence de la technique du quantifiable Aujourd’hui, plus besoin de raison critique, de cs morale, une surveillance technique suffit On peut très bien, de manière illimitée, mettre en place une société gérée par des robots Ou du moins, faire réguler les rapports sociaux par des robots Donc, que les gens aillent mieux ou pas, l’important c’est que leur comportement soit, en quelque sorte, contrôlé et normalisé « C’est moins cher » De l’émergence de la technique du quantifiable Quels que soient les effets thérapeutiques ou pédagogiques, ce qui compte c’est une réduction des coûts Efficacité en tant que langage de machine Le moindre coût en tant que langage comptable Ex. Taux de récidive suite au retrait de l’appareil = résultat positif, mais qui ne dure pas La solution technique à un problème humain est installée à vie et que la surveillance technique devient pérenne De l’émergence de la technique du quantifiable On constate de plus en plus une régulation de nos relations et de notre manière d’être au monde, avec les autres et avec nous-même, par des machines, par des robots ayant bien sûr le plus possible l’apparence de l’humain (sinon ça ne marche pas) De l’émergence des signaux et communications numériques Ce n’est pas seulement un problème de robots ; de toute façon, demain, ils seront là On distingue bien comment en permanence nous allons être en connexion avec des signaux numériques et c’est par leur intermédiaire que les communications entre humains se feront Du coup, tout ce qui va procéder de notre langage et de nos pratiques de soin, de souci vis-à-vis de la parole, de la dignité de penser, etc., paraît terriblement vieilli De l’émergence des signaux et communications numériques Puisque aujourd’hui on a mieux que la psychologie pour rationaliser les conduites humaines, je pense que la normalisation des conduites va passer par l’outil numérique et les robots sociaux Généralement dans les services publics, les puissances financières, les gestionnaires préfèrent investir dans le matériel plutôt que dans les postes ou les humains Cela revient moins cher, le matériel remplace l’humain De l’émergence des signaux et communications numériques Il est essentiel de s’intéresser à la façon dont sont accomplis les services publics d’éducation, de soin, de culture, d’information, de justice et autres parce que le sujet humain ne fabrique pas seulement des objets et des services ; Il se fabrique en fabriquant ces objets et ces services et, en se fabriquant, il fabrique un type d’humanité On discerne bien comment nous sommes là en train de fabriquer un type d’humanité, une nouvelle humanité ! De l’émergence des signaux et communications numériques Il y a là quelque chose d’extrêmement grave et menaçant pour toute la psychologie, pour toute la psychopathologie, pour toute la psychiatrie et pas seulement pour la psychanalyse Quand nous entendons dire par les magistrats qu’ils ont quasiment le casque sur l’oreille pour pouvoir suivre l’ensemble des dossiers qu’on va leur donner avec des résultats numériques, des probabilités, des items, des questionnaires, des réponses, des pourcentages et autres, on perçoit que la justice perd de plus en plus de son humanité, tout comme le soin, l’éducation, le travail social ou l’information De l’émergence des signaux et communications numériques Expertise psychiatrique : émerge une psychiatrie actuarielle qui tend à remplacer la psychopathologie clinique traditionnelle Qu’est-ce que cette psychiatrie actuarielle ? Expertises médico-légales = 2 faux positifs ou faux négatifs/3 Solution trouvée pour pallier cette carence de la clinique = s’apparente à la manière de s’y prendre lorsqu’on détermine une prime d’assurance-vie, où l’on va calculer l’impact d’un certain nombre de données numériques, de facteurs, en fonction de l’âge, des antécédents, de la situation familiale, de la manière de vivre… Prime établie différente selon le « taux de risque » De l’émergence des signaux et communications numériques La psychiatrie actuarielle fonctionne de façon identique, sur toute une série d’items où le patient doit répondre : À quel âge a-t-il commencé à prendre des stupéfiants ? A-t-il fait l’école buissonnière ? Résultat comparable au résultat obtenu pour le calcul des primes d’assurance, lequel permet de probabiliser le degré de récidive d’un comportement antisocial Dorénavant, nous sommes passés de l’individu dangereux, du fou dangereux ou du détenu dangereux, à quelque chose qui ne vient plus qualifier la personne mais qui vient déterminer le risque de voir apparaître des comportements que l’on juge indésirables De l’émergence des signaux et communications numériques On est vraiment dans un monde de calcul où on se rend bien compte que l’expérience intime du sujet, ce qui peut l’améliorer en termes de soins ou de pédagogie, importe peu La seule chose qui compte, c’est la forme du comportement que l’on veut normaliser et réguler et que l’on détermine, encore une fois, par des statistiques En résumé, le sujet n’est plus qu’un exemplaire, un segment de population statistique Vers quoi nous orientons-nous désormais ? DSM 3 = objectif de remédier à la crise de l’autorité clinique face à l’opinion publique, aux tribunaux, aux compagnies d’assurance, à la presse et autres Psychiatres et psychologues n’arrivaient pas à s’entendre pour poser des diagnostics Cette dissonance dans les diagnostics avait discrédité la psychiatrie Solution technique à un problème d’autorité clinique = ils ont standardisé la manière de s’y prendre pour établir des procédures conduisant à un plus grand accord inter-juges Vers quoi nous orientons-nous désormais ? On mesure comment la vérité, la validité du diagnostic clinique a été remplacée par la fiabilité C’est-à-dire par le consensus entre les experts Vers quoi nous orientonsnous désormais ? C’est l’ordinateur, le monde ordinal et numérique, qui vient comme solution à un problème humain Les diagnostics se sont ensuite différenciés, mais la méthode demeure à l’identique : c’est le traitement de données statistiques par un ordinateur qui classera dans un tiroir les réponses d’un patient pour savoir à quelle population à risque il appartient Vers quoi nous orientonsnous désormais ?  Bien sûr, cela a permis d’homogénéiser les diagnostics et donc d’homogénéiser les populations sur lesquelles on peut essayer des molécules  Et également d’homogénéiser les populations pour accroître la fiabilité d’un diagnostic en matière d’assurance, en matière d’expertise judiciaire  Du coups, on repère bien toute l’utilité sociale que cette manière de fonctionner peut avoir pour la psychiatrie  Mais l’humain passe complétement à la trappe, ainsi que le souci du soin ! Vers quoi nous orientonsnous désormais ?  Ce « qu’est un individu » passe à la trappe  Quand on pense à la phrase de Winnicott, « ce qui compte ce n’est pas ce que fait l’individu, mais c’est ce qu’il est dans ce qu’il fait », force est de constater que cela est complétement effacé, et n’existe plus  Et le praticien, quel qu’il soit, psychiatre ou psychologue, le mieux qu’il ait à faire est de s’identifier à la machine Vers quoi nous orientonsnous désormais ?  C’est désastreux, car ce que la psychanalyse a quand même apporté de mieux, c’est de considérer que les symptômes ne sont traitables qu’en tant qu’ils sont des messages adressés à autrui  À un Autre  Ici le symptôme prend un sens  Dans le cas présent, on peut donner toutes les libertés que l’on veut aux populations, on voit bien comment leur liberté s’arrête à une liberté de consommateur  Ce n’est pas une liberté qui implique dans le rapport Vers quoi nous orientons-nous désormais ?  Tenter de gommer complétement la spécificité de nos actes psychologiques  En 1983, un article de Spitzer « Les cliniciens sontils encore nécessaires? », mais il me semble que la réponse est déjà dans la question : l’ordinateur fait déjà mieux  On voit au passage comment l’expérience intime ne compte pas, le rapport à l’Autre ne compte pas, les particularités concrètes, linguistiques du sujet ne comptent pas, la mémoire et l’histoire ne comptent pas… Vers quoi nous orientons-nous désormais ?  Nous sommes dans une espèce de psychiatrie au présent, une psychiatrie d’immédiateté, qui se contente de jauger les formes comportementales pour savoir s’il y a à les contrôler, à les réguler ou pas Vers quoi nous orientons-nous désormais ?  Ex. DSM : pour poser le diagnostic de dépression, il suffit qu’il y ait 5 des 9 critères de la dépression qui soient remplis pour être déprimé  Quels sont ces critères ?  Ce ne sont pas des choses très fines :  C’est « humeur dépressive présente toute la journée, presque tous les jours »  Déjà le « presque » n’est pas très scientifique, quand même…  Quelles approximations pour une prétendue « objectivité » scientifique ! Vers quoi nous orientons-nous désormais ?  Pensée qui est d’abord très simplifiée, qui est très technique, qui est décontextualisée des contingences particulières du patient, mais aussi des contingences sociales, historiques, culturelles  On a un ramassis d’informations approximatives qui sont traitées de manière procédurale, informatique, standardisée et qui aboutissent à un diagnostic Vers quoi nous orientonsnous désormais ?  Et finalement cette pensée très simpliste, qui va à l’opposé de la complexité produit du coup une psychiatrie très simpliste, une psychopathologie très simpliste qui procède par les médicaments, les coachings, les plans de réhabilitation sociale et autres  Ce n’est plus la peine de penser le sujet Résistance Questions?