Les Sources du Droit International PDF
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This document discusses the sources of international law, focusing on treaties and other non-written sources. It explains the historical development and characteristics of treaties, highlighting their role in international relations and their importance in forming the basis of international agreements.
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Les sources principales du droit international * Afin de préciser la typologie des sources formelles du droit international (entendues comme les procédés de création et de validation des normes juridiques), il faut s’appuyer, classiquement, sur l’article 38 du statut de la CIJ dont la formula...
Les sources principales du droit international * Afin de préciser la typologie des sources formelles du droit international (entendues comme les procédés de création et de validation des normes juridiques), il faut s’appuyer, classiquement, sur l’article 38 du statut de la CIJ dont la formulation remonte à 1920 au temps de son ancêtre, la Cour permanente de justice internationale (CPJI), annexée à la Charte des NU et qui dispose : « 1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique : a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige ; b) la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale, acceptée comme état le droit ; c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ; d) sous réserve de la disposition de l’article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. 2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d’accord, de statuer ex-aequo et bono ». Cette disposition est cependant doublement datée : - d’abord, dans la forme : les références aux « nations civilisées » (par rapport aux peuples sauvages, cf. période de la colonisation) ou à la « doctrine des publicistes les plus qualifiés » ont un côté incontestablement obsolète ; - ensuite sur le fond : l’énumération est incomplète au regard de la réalité actuelle du DI en ce qu’elle ne tient pas compte de l’essor des actes (« droit dérivé ») des OI qui se sont développées depuis la fin de la 2ème guerre mondiale, ni des actes unilatéraux des Etats qui peuvent avoir des effets en droit international. Par ailleurs, cette disposition ne lie que la CIJ elle-même (outil pour le juge, intérêt fonctionnel) ou les Etats qui se présentent devant elle et ne saurait avoir une valeur supérieure aux autres règles de DIP ; en d’autres termes, il ne s’agit pas là d’une disposition 1 « pseudo-constitutionnelle » qui couronnerait en quelque sorte l’ordre international. * Cette précision permet de faire la transition avec la seconde remarque introductive, se rapportant au principe d’équivalence des sources du DIP (« équivalence normative ») ; à la différence des systèmes internes dont le fonctionnement est régi par le fameux principe de hiérarchie des normes, le DIP est en effet composé de sources dont la valeur juridique est identique car on estime qu’elles procèdent toutes, selon des modalités diverses certes, de la manifestation de volonté des Etats souverains : ainsi, même les sources non-écrites (coutume et PGD), en dépit de la généralité et du flou juridique qui les entourent, n’ont ni plus, ni moins, de valeur que les actes écrits (notamment les traités). Cela ne signifie pas pour autant que les catégories de sources aient toutes la même fonction, notamment sur le terrain de l’interprétation effectuée par le juge (on y reviendra notamment à propos des PGD). CHAPITRE 1. LES SOURCES PRINCIPALES DU DIP La présentation des sources principales du DIP comportera des développements relatifs : aux sources conventionnelles (les traités) : section 1 ; aux sources non écrites : section 2 ; aux actes unilatéraux : section 3. SECTION 1. LES TRAITES INTERNATIONAUX Il est possible d’affirmer que les traités existent quasiment depuis que la société politique organisée existe : ainsi en 1975, on a retrouvé un traité, conclu entre 2 royaumes du Moyen-Orient datant de 2500 avant J.C ! Par ailleurs, pendant longtemps, jusqu’au début du 19ème siècle (Congrès de Vienne de 1815), les traités furent strictement bilatéraux ; aujourd’hui, vous savez que les traités multilatéraux sont nombreux comme la Charte de San Francisco créant l’ONU, les accords de Marrakech gérés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore le Protocole de Kyoto concernant les gaz à effet de serre (remplacé par l’Accord de Paris de décembre 2015). Les traités bilatéraux existent encore bien sûr 2 (relations de voisinage : tracé d’une frontière, partage d’un cours d’eau...) mais les traités multilatéraux se sont généralisés du fait de l’universalisation de la Société internationale et de la coopération croissante qui s’est développée entre Etats (notamment sous l’égide des organisations internationales). Enfin, en raison leur importance pratique, les règles relatives au droit des traités ont fait l’objet d’un important travail de codification au sein de la Commission du droit international (CDI, organe consultatif de l’ONU) ; longtemps coutumières, ces règles ont été formalisées et regroupées dans une Convention, la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (sorte de « traité des traités » donc : voir le texte de la convention à part) entrée en vigueur le 27 janvier 1980, largement ratifiée (106 pays), mais certains Etats ne l’ont toujours pas fait, notamment la France (opposition au « jus cogens » : voir infra). - Pour mieux cerner les caractéristiques et les enjeux juridiques que recouvrent les traités, nous examinerons successivement : les caractéristiques et les classifications des traités (§ 1), l’élaboration des traités (§ 2), les conditions de validité des traités (§ 3), la portée des traités (§ 4), et enfin la modification et la fin des traités (§ 5). § 1 : LES CARACTERISTIQUES ET CLASSIFICATIONS DES TRAITES Pour définir le traité, il faut faire référence à l’article 2 de la Convention de Vienne (sigle : CV) qui précise : « Est un traité international, un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international, qu’il soit consigné dans un instrument unique ou 2 ou plusieurs instruments connexes et quelle que soit sa dénomination ». A partir de cette définition, les principales caractéristiques du traité peuvent être dégagées (A) avant d’évoquer les différentes classifications des traités (B). A) – Les caractéristiques des traités : Il ressort de la formule générale précédente, 3 éléments décisifs à réunir pour qu’un traité existe : la rencontre de volontés concordantes (1) ; l’imputation à des 3 sujets de droit international dotés de la capacité requise (2) ; enfin, la production d’effets juridiques régis par le droit international (3). 1. La rencontre de volontés concordantes : Le traité est d’abord un contrat entre Etats ; il résulte de l’accord de 2 ou plusieurs volontés en vue de réaliser un but et un objet déterminés. On rencontre ici la théorie de l’autonomie de la volonté (cf. droit civil : philosophie contractualiste et individualiste du 18ème siècle), en vertu de laquelle un cocontractant est réputé s’engager librement. La jurisprudence internationale comporte de nombres manifestations de cette théorie de la liberté contractuelle : ainsi, dès son premier arrêt (CPJI, affaire du vapeur Wimbledon, 17 août 1923 : affaire du droit de passage d’un bateau britannique affrété par une compagnie française qui s’était vu opposer l’interdiction d’utiliser le canal de Kiel (reliant la Baltique à la mer du Nord), par les autorités allemandes, pourtant internationalisé par le traité de Versailles de 1919) la CPJI a pu dire : « un Etat ne peut, dans ses rapports conventionnels, être lié sans son consentement ». En même temps, le DIP exige un formalisme minimum pour des raisons évidentes de sécurité juridique ; c’est tout le problème du caractère écrit ou non du traité. Si l’on se fie à la formule de l’article 2 de la CV, un traité doit avoir une forme écrite ; en réalité, un accord purement verbal peut constituer un engagement conventionnel, (cf. l’article 3 de la Convention de Vienne qui reconnaît la valeur juridique d’accords qui n’ont pas été conclus par écrit lesquels ne peuvent cependant pas être soumis à la CV ; exemple de l’accord d’Alger entre les USA et l’Iran, dont l’existence a pu être constatée par un simple communiqué algérien). L’important, c’est la rencontre des volontés, quelle que soit sa traduction, même si les traités ont tous aujourd’hui un caractère écrit. Par ailleurs, la dénomination de l’accord est indifférente (cf. fin de la formule de l’article 2 de la CV) comme la CIJ l’a indiqué dès 1962 (avant la CV de 1969 donc, affaire opposant l’Ethiopie et le Libéria à l’Afrique du Sud) en affirmant : « la terminologie n’est pas un élément déterminant quant au caractère d’un accord ou d’un engagement international » et plus près de nous, en 1994, dans une affaire relative à une délimitation de frontière entre Quatar et Bahrein, elle a indiqué dans le même sens : « un accord international peut prendre des formes variées et se présenter 4 sous des dénominations diverses ». Le choix de la dénomination est en fait affaire de considérations d’opportunité : traité (de Rome instituant la CEE), Convention (de Vienne sur le droit des Traités, de Rome instituant la CPI..), Charte (de San Francisco créant l’ONU), Pacte (sur les droits civils et politiques ou sur les droits économiques et sociaux (1966)), Statut (de l’Organisation internationale du travail) ; les protocoles sont des textes plutôt techniques ou concernant un thème particulier et annexés à un traité plus large : les protocoles annexés à la Convention sur la biodiversité (protocole de Carthagène sur les OGM notamment), le Protocole de Kyoto (précédant l’Accord de Paris) annexé à la Convention-cadre sur les changements climatiques de juin 1992... 2. L’imputabilité de l’accord à des sujets de DIP ayant la capacité juridique requise : Il faut comprendre 2 choses. - D’abord, que seuls les sujets de droit international, c’est-à-dire les Etats et les organisations internationales, ont la capacité juridique de conclure un traité (quand une organisation internationale participe à un traité on parle normalement d’accord). De manière exceptionnelle, certaines entités peuvent être assimilées soit à des Etats (cas du Saint-Siège qui exerce son autorité exclusive sur la cité du Vatican et représente le gouvernement de l’église catholique de Rome), soit à des organisations internationales (cas du Comité international de la croix rouge et de l’Ordre de Malte qui sont pourtant juridiquement des ONG). A contrario, cela exclut les accords entre personnes privées (même d’importance internationale), les accords entre un Etat et une personne privée (arrêt de la CIJ du 22 juillet 1952, « Affaire de l’anglo Iranian Oil Company » : à la suite de la nationalisation d’une entreprise pétrolière anglaise par nouveau gouvernement iranien, la GB a contesté en affirmant qu’il s’agissait d’un traité ; réponse de la CIJ : simple contrat). Cette dernière question a longtemps été débattue en doctrine, et un tel contrat sera très souvent « internationalisé » pour être soumis à des règles particulières et non au droit du pays cocontractant (contrat de concession, minière, gazière, pétrolière… : c’est ce que l’on appelle les « contrats d’Etat »), les contrats passés entre princes à titre privé (mariages ; dans le passé, les contrats de mariage étaient considérés comme des 5 traités (encore en 1925, RU/Suède) : ce n’est plus le cas), et les accords entre entités d’un Etat fédéral (qui relèvent du droit interne de cet Etat fédéral). Se pose enfin la question des accords passés par des autorités infra-étatiques avec un Etat étranger : accord entre une province (Québec) d’un Etat fédéral (le Canada) avec la France en matière d’échanges culturels et professionnels est un traité international car il est autorisé par la Constitution fédérale (il s’agit d’une compétence propre ou alors la province représente l’Etat fédéral ; situation également en Suisse). La question étant sensible politiquement, on désigne cet accord sur la reconnaissance mutuelle de plus de 100 qualifications professionnelles « d’entente » mais sa nature conventionnelle est incontestable… - Ensuite, il faut que l’accord ait été exprimé au nom du sujet concerné par l’autorité compétente pour le faire. Cette désignation n’est pas accomplie par le DIP mais par le droit interne de l’Etat concerné ou le droit de l’organisation considérée ; la personne ayant conclu l’accord doit avoir eu les pleins pouvoirs pour cela (Chef de l’Etat, ministre, plus souvent représentant « plénipotentiaire » pour l’Etat ; Secrétaire général ou équivalent pour une organisation en fonction de la charte constitutive (« contrat de siège » par exemple)). Normalement, ce renvoi du DIP au droit interne ne permet pas à l’Etat d’invoquer un vice de consentement pour ne pas respecter le traité dans l’hypothèse où la personne ayant contracté n’avait pas la compétence pour le faire (sauf si la violation d’une disposition de droit interne est manifeste et constitue une règle d’importance fondamentale (art. 46 de la CV)). 3. La production d’effets juridiques régis par le DIP : Il faut comprendre plus précisément que l’accord entre Etats va emporter des conséquences juridiques qui vont se déployer dans l’ordre international. Par effets juridiques, il faut entendre des conséquences juridiques au sens large, c’est-à-dire modifiant l’ordonnancement juridique : création de droits et obligations à la charge de sujets de droits bien sûr mais également toute situation juridique (traité éteignant une dette entre Etats, ou traité transférant la souveraineté sur un territoire d’un Etat à un autre par exemple). Surtout, il va falloir distinguer entre les textes à portée juridique et les autres : seuls les textes à caractère obligatoire, contraignant, vont pouvoir constituer des traités : ainsi, les « gentlemen’s 6 agreements » liant les responsables politiques sur leur honneur sans engager les pays dont ils sont représentants ont une valeur simplement morale et non juridique. Mais la multiplication des actes internationaux crée des situations souvent délicates, rendant difficile la différenciation des textes à portée juridique des textes à portée strictement politique : communiqués conjoints à la fin d’une rencontre entre chefs d’Etats (G8...) ; déclaration adoptée à la fin de négociations (exemple : déclaration de Yalta du 11 février 1945 sur l’Europe libérée : fameuse photo sépia avec Churchill, Roosevelt et Staline s’entendant sur « le partage du monde » ; acte final de la Conférence de 1975 sur la coopération et la sécurité en Europe (CSCE) qui deviendra l’OSCE dans les années 1990)... Etant donné l’absence de formalisme du DIP, il reviendra souvent au juge ou à l’arbitre de démontrer la volonté des parties de donner ou non une portée juridique à leur accord, en utilisant un faisceau d’indices : nature de l’acte, termes utilisés dans celui- ci, circonstances dans lesquels il a été adopté... Terminons ces propos sur les caractéristiques des traités en indiquant que la Convention de Vienne consacre la distinction entre le negotium (correspondant à l’accord des parties sur l’objet du traité : achat de pétrole contre des armes par exemple (opération elle-même, le contenu du traité)) et l’instrumentum (document qui consigne l’accord des parties et permettra d’établir la preuve de celui-ci (l’enveloppe, le contenant du traité)) : cf. la formule de l’article 2 § 1 (a) de la CV « dans un instrument unique ou 2 ou plusieurs instruments connexes ». L’enjeu concerne la validité de l’engagement dans le premier cas (traité n’existe pas car pas de consentement entre parties, fond) et son opposabilité (preuve) dans l’autre (moyen permettant de démontrer l’existence de l’accord et donc du traité (forme) ; plusieurs instruments peuvent exister). Evoquons maintenant rapidement les classifications des traités. B) – Les classifications des traités Plusieurs classifications ont été suggérées par la doctrine au vu de la pratique : 7 * en utilisant le critère du nombre d’Etats participants à la convention : c’est la distinction connue entre les traités bilatéraux (2 Etats signataires : par exemple, les accords France/Tunisie ou France/Maroc en 1956 lors de l’indépendance de ces 2 pays) et les traités pluri/multilatéraux (plusieurs Etats signataires) comme la Convention de Vienne de 1969, la Convention de Rome (créant la CPI), les accords de Marrakech (OMC), le Protocole de Kyoto, l’accord mondial contre le mercure de début 2013, les traités européens… * en faisant référence à leur contenu : avec la distinction entre les « traités- lois » qui formulent des règles générales et plutôt abstraites (amélioration des échanges culturels entre pays) et les « traités-contrats » qui comportent des dispositions précises, particulières, spécifiques à la question objet du traité ; en réalité, les traités comportent la plupart du temps les 2 aspects ; * en s’appuyant sur leur objet : ceux qui fixent des règles de comportement pour les pays signataires (traités normatifs : limitation des armes nucléaires, réduction des gaz à effet de serre par exemple) et ceux qui instituent une organisation (traités constitutifs d’une organisation : accord instituant l’OMC) ; plus théorique que pratique car en réalité, là encore, les 2 aspects se combinent (Charte de San Francisco (ONU) par exemple) ; * enfin, en s’appuyant sur la forme juridique des traités : il en découle la distinction classique et importante entre les accords en forme simplifiée et les accords en forme solennelle. Les premiers ne nécessitent pas de ratification pour entrer en vigueur, la signature étant suffisante. Ces accords en forme simplifiée découlent de la pratique américaine des executive agreements, avalisée par la Cour suprême et permettant à l’exécutif américain de signer des accords ne nécessitant pas de ratification (dans la mesure où celle-ci s’avère parfois problématique puisque soumise à l’accord du Sénat à la majorité des 2/3). De tels accords entrent en vigueur dès après leur signature (dans un délai de quelques semaines à quelques mois) : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, ancêtre de l’OMC) du 30 octobre 1947 entré 8 en vigueur en 1948, accords entre la France et le Maroc et la France et la Tunisie (cités), convention de Paris de 1973 mettant fin à la guerre au Vietnam, accords de « Camp David » de 1978 entre les USA, Israël et l’Egypte… Les seconds, les accords en forme solennelle, eux, doivent être ratifiés pour entrer en vigueur et lier les Etats signataires : traité de 1919 créant la SDN (avec la non-ratification américaine), Charte de La Havane de 1947/1948 prévoyant l’OIC et qui ne sera jamais ratifiée (« remplacée » par le GATT), Convention de Vienne sur le droit des traités, Convention de Rome, traités européens (constitutifs et modificatifs)… § 2 : L’ELABORATION DES TRAITES Elaborer un traité est une opération complexe, présentant diverses étapes : la négociation du traité, l’adoption du texte, son authentification, son entrée en vigueur... La CV a précisé le régime juridique de ces diverses étapes, mettant ainsi fin à certaines incertitudes qui s’étaient développées dans la pratique. Avant d’aller plus loin, rappelons ici 3 choses importantes : d’abord, la conclusion d’un traité est à la fois un attribut de la souveraineté et un aspect de son exercice ; conséquence : si l’élaboration des traités est, par nature, une matière régie par le DIP, elle relève également du droit interne (modalités de négociation et de ratification notamment) ; ensuite, en créant des obligations à la charge de l’Etat signataire, le traité est une source de limitation de ses propres compétences ; enfin, l’élaboration des traités a connu d’importantes évolutions au cours du 20ème siècle avec l’intensification des échanges entre Etats et la multiplication des organisations internationales. Il faut distinguer différentes étapes sur le plan chronologique : la négociation et la signature d’une part (A), la ratification et l’entrée en vigueur d’autre part (B). A) - La négociation et la signature des traités L’élaboration d’un traité international commence par une phase de négociation (1), à laquelle succède la signature (2). 1. La négociation Envisageons successivement le déroulement de la négociation et la présentation formelle du texte obtenu à l’issue de celle-ci. 9 * Le déroulement de la négociation : la négociation est une phase essentiellement diplomatique ; elle est en effet menée la plupart du temps par des diplomates (ambassadeurs plénipotentiaires) assistés par des experts nationaux qui apportent leur connaissance technique du dossier. Les négociations ne seront menées que de manière tout à fait exceptionnelle par le chef de l’Etat (même si l’article 52 de la Constitution française précise que « Le chef de l’Etat négocie les traités internationaux » : en fait, il faut comprendre par là qu’il dirige l’ensemble de l’action qui s’y rattache et désigne les plénipotentiaires), ou les ministres. La plupart du temps, les négociations se déroulent sous les auspices d’une organisation internationale (Uruguay Round dans le cadre du GATT, Cycle du développement dans le cadre de l’OMC entre 2002 à 2013…) ; parfois, elles se dérouleront dans le cadre d’une Conférence internationale (provisoire, le temps des négociations) comme la Convention sur le droit de la Mer de Montego Bay adoptée en 1982 (discussions de 1970 à 1982). Enfin, précisons que cette phase de négociation peut être plus ou moins longue, selon les difficultés rencontrées dans le cadre des discussions : 2 ans pour la convention de Rome créant la CPI, 7 ans ½ pour les accords du Cycle d’Uruguay, 12 ans pour la Convention de Montego Bay… * Les éléments formels du traité : ce sont d’une part le préambule et d’autre part le dispositif. - Le préambule : il contient l’énumération des parties (appelées « Hautes Parties Contractantes ») soit les Etats eux-mêmes, soit les autorités ayant participé à la négociation : « Sa Majesté le Roi des Belges », « Le Président de la République Française ».... Pour respecter l’égalité des parties, on procède à l’énumération alphabétique ; de manière tout à fait originale, la Charte de l’ONU commence par : « Nous, peuples des Nations Unies... » (« We, people of the United Nations… ») : portée politique (après les atrocités de la guerre) et non juridique (les parties ne sont pas pour autant les peuples des Etats). Le préambule contient également l’exposé des motifs, sous la forme de déclarations générales relatives à l’objet et au but du traité et exprimant parfois un 10 véritable programme politique. Quelle est la valeur juridique du préambule ? En DIP, le préambule d’un traité n’a pas de valeur obligatoire (de par sa formulation forcément générale) mais il constitue toutefois un élément d’interprétation du traité : le juge pourra s’y référer pour préciser le sens d’une disposition par exemple. - Le dispositif : correspond au corps du traité c’est-à-dire à l’ensemble de ses articles ayant un caractère juridiquement obligatoire. Il y a d’abord les articles : 111 dans la Charte des NU ; 320 dans la Convention de Montego Bay, 440 dans le traité de Versailles de 1919, respectivement 55 et 358 dans les 2 traités européens (TUE et TFUE) et 448 dans la défunte Constitution européenne ! Il y a ensuite les clauses finales ; elles concernent certains mécanismes de l’acte en tant que tel : procédure de révision, modalités d’entrée en vigueur, les langues faisant foi... Enfin, le dispositif peut comprendre des annexes au traité, contenant des dispositions techniques ou complémentaires concernant certains articles du traité ou son ensemble : les traités européens comportent des annexes (sur le statut de la Cour de justice, la BCE notamment) ; la Convention de Montego Bay compte 9 annexes... Juridiquement, les annexes (plus d’une dizaine pour la CEDH) font partie intégrante du traité et ont donc la même valeur à moins que celui-ci n’en dispose autrement. Ne pas confondre les annexes avec les déclarations également souvent jointes à un traité (valeur politique seulement pour ces dernières). Ainsi, pas moins de 37 protocoles, 65 déclarations et 2 annexes accompagnent le traité de Lisbonne… 2. La signature : * La signature met fin à la phase diplomatique et technique de la négociation. Elle permet d’arrêter le texte (la négociation est terminée, sauf réouverture des discussions) et d’authentifier celui-ci (le texte rédigé est considéré comme correspondant à l’intention des négociateurs qui le tiennent pour définitif). Pour les traités bilatéraux, la signature procède à la fois à l’arrêt du texte et à son authentification ; pour les traités multilatéraux, le texte est d’abord adopté par consensus (ou vote) par la Conférence des parties (ou l’organe de l’organisation internationale) puis il est signé par les chefs de délégation. 11 L’article 10 de la CV mentionne également le paraphe (initiales des négociateurs) et la signature ad referendum (signature qui doit être confirmée ultérieurement par les autorités étatiques compétentes) : solution provisoire sous réserve de confirmation. Solution qui permet de réserver la signature définitive à une autorité plus haut placée que celle qui a négocié, ou dans l’hypothèse où le négociateur n’est pas habilité à signer (plutôt rare). * Normalement, la signature ne suffit pas à engager juridiquement son auteur, sauf -rappelons-le- s’il s’agit d’un accord en forme simplifiée qui ne nécessite donc pas de ratification. Dans les autres cas, la signature entraîne tout de même certaines conséquences juridiques : l’Etat s’engage (au moins théoriquement) à ratifier ultérieurement la convention en question et il a l’obligation de « (...) s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet ou de son but » (article 18 CV). Cette disposition dérive du principe de la bonne foi dans les relations internationales ; de ce point de vue, les multiples déclarations des autorités américaines de ne pas ratifier la Convention créant la CPI et surtout d’amoindrir celle- ci par la négociation et la conclusion d’accords bilatéraux avec d’autres pays signataires afin de préserver leurs ressortissants d’éventuelles poursuites devant la CPI constituent des manquements à cette obligation morale. Mais la formulation vague de l’article 18 CV prête à discussions... Par ailleurs, l’Etat est destinataire de tous les documents (communications) relatives à la vie du traité ; il peut également s’opposer à des réserves formulées par d’autres Etats signataires. Enfin, par leur nature et leur objet, les clauses finales du traité ont vocation à s’appliquer immédiatement (modalités d’entrée en vigueur, modalités d’authentification du texte...) (cf. art. 24 § 4 CV). En définitive, il existe un statut provisoire pour l’Etat signataire qui n’est pas sans conséquences en DIP ; en droit interne, la signature a également des conséquences : en droit français par exemple, après signature et avant ratification, un traité international peut être soumis à l’examen du CC (art. 54 Constitution de 1958). 12 B) - La ratification et l’entrée en vigueur des traités Il y a un délai entre la signature et la ratification car l’enjeu est important pour l’Etat : il s’agit de confirmer (ou non) son engagement à être lié par le traité. Après la signature, interviennent la ratification d’abord (1) et l’entrée en vigueur ensuite (2). 1. La ratification : Evoquons successivement, les règles générales de la ratification (a) puis le dispositif français applicable en la matière (b). (a) Les règles générales de ratification 3 remarques seront formulées ici. * La ratification correspond à l’expression du consentement de l’Etat à être lié par le traité ; en d’autres termes, c’est l’approbation définitive de la convention par l’Etat, par l’intermédiaire de l’autorité politique ayant la compétence en la matière ; cette autorité est en général le chef de l’Etat, mais il est souvent prévu une autorisation préalable. Ce n’est pas forcément une simple formalité : cf. la non ratification de la part du Sénat américain du traité de Versailles, empêchant la participation des USA à la SDN ; plus récemment (en 1999), le Sénat américain a refusé la ratification du traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires ; s’agissant de la France, on peut citer le refus de l’Assemblée nationale française de ratifier le traité instituant une Communauté européenne de défense (CED) dont la France était pourtant à l’origine (1952/1954) ou la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires (1999) signée dans le cadre du Conseil de l’Europe (problème de conciliation avec le principe d’indivisibilité de la République : la perspective de ratification de cette convention a été relancée en 2015 mais finalement bloquée par le Sénat…). Elle se matérialise par une lettre de ratification ; les lettres de ratification des Etats sont échangées entre les parties et cet échange est constaté par un procès-verbal daté et signé qui permet d’éviter toute contestation ultérieure sur la réalité de la ratification. 13 * En outre, la ratification étant une compétence discrétionnaire de l’Etat, celui-ci a la liberté de décider quand il ratifiera et une absence de ratification ne peut engager sa responsabilité internationale : ainsi, la France a signé la CEDH en 1950 et ne l’a ratifiée qu’en 1974 (lors de l’intérim de la Présidence de la République assuré par Alain Poher !) ; les Etats-Unis d’Amérique ont signé le protocole de Genève sur les armes bactériologiques et chimiques en 1925 et ne l’ont ratifié qu’en 1975 ; plus récemment, ils ont signé la convention de Rome sur la CPI et le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre mais sans avoir l’intention de les ratifier. Quels que soient les motifs de son abstention, un Etat qui n’exprime pas son consentement à être lié n’est pas tenu de respecter les obligations prévues par le traité et ne peut s’en prévaloir. * Enfin, sur un plan procédural, les modalités d’autorisation de ratification sont variables d’un Etat à l’autre ; 2 voies sont possibles. - soit l’autorisation émane du législatif (ratification parlementaire) : système allemand, système américain (avec le Sénat à la majorité des 2/3 donc), système français pour les accords de paix et de commerce par exemple (article 53 de la Constitution de 1958) ; le Parlement donne son autorisation par une loi (habilitation) qui n’oblige pas l’autorité compétente à ratifier, mais qui conditionne la validité de cette ratification ; - soit par le peuple (ratification populaire) : le référendum de ratification est prévu à l’article 11 de la Constitution française (référendums de 1992 (Maastricht) et de 2005 relatif à la Constitution européenne) ou dans d’autres pays européens (Danemark : référendums de 1992 et 1993 sur le traité de Maastricht ; Irlande : référendums de 2001 et 2002 sur le traité de Nice, puis 2008 et 2009 sur Lisbonne). La loi d’autorisation référendaire se substitue dès lors à la loi d’autorisation parlementaire. En tout état de cause, l’autorité qui souhaite ratifier est tenue d’obtenir cette autorisation ; la loi d’autorisation ne constitue pas un ordre de ratifier, ni l’expression de l’engagement définitif de l’Etat ; c’est ce que l’on appelle un acte-condition. 14 Examinons maintenant le dispositif français en la matière. (b) Le dispositif français : * Le système français attribue au chef de l’Etat la compétence pour ratifier ; il comporte les 2 voies possibles (parlementaire et référendaire) : pour certains accords, il n’y pas de choix de la part du Président (cf. accords de paix et de commerce de l’article 53 précédemment évoqués : ratification par l’intermédiaire d’une loi (voie parlementaire donc)), pour d’autres le choix lui appartient (voie parlementaire pour les traités d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne (1997, 2001, 2008), voie référendaire pour le traité de Maastricht (1992) et la Constitution européenne (2005) en vertu de l’article 11). Pour tous les autres engagements internationaux que les traités soumis à ratification, l’article 52 de la Constitution prévoit implicitement qu’ils sont conclus et approuvés par le ministre des affaires étrangères, le Chef de l’Etat étant simplement tenu informé de la négociation. A noter que l’article 88.5 de la Constitution, datant de 2005 et modifié en 2008, impose le référendum pour accepter un nouvel Etat dans l’Union, sauf si chaque chambre décide à la majorité des 3/5èmes de le ratifier lors d’un Congrès (se prononçant à la majorité des 3/5èmes) ; ce mécanisme ne s’applique cependant qu’aux adhésions faisant suite à une Conférence intergouvernementale décidée à partir du 1er juillet 2004 (ce qui n’était pas le cas de la Croatie dont l’adhésion avait été décidée en juin 2004 : donc application de l’ancien système, c’est- à-dire l’acceptation par chaque assemblée à la majorité simple ; puis promulgation de la loi 2013-99 du 28 janvier 2013 (JORF du 29 janvier), signée par le Président de la République, contresigné par le Premier ministre et le Ministre des Affaires étrangères, et contenant l’article unique suivant « Est autorisée la ratification du traité relatif à l’adhésion de la Croatie »). En outre, l’article 54 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel puisse être saisi pour se prononcer sur la compatibilité d’un accord international que la France envisage de ratifier avec la Constitution. Dans l’hypothèse où l’engagement international comporterait une clause contraire à la Constitution, il faudra réviser la Constitution préalablement à la ratification envisagée : il s’agit d’une recherche de cohérence plutôt que d’une recherche de 15 hiérarchie (entre le traité international et la Constitution) : cf. 1992 (Maastricht) ; Amsterdam (1997) ; 1999 (Convention de Rome et débat sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat) ; 1999 (Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ; ratification pour l’instant abandonnée) ; 2004 (Constitution européenne) ; 2007 (Lisbonne). Si cette voie du contrôle au titre de l’article 54 n’est pas utilisée, celle de l’article 61 (contrôle constitutionnalité des lois) peut toujours l’être par rapport à la loi autorisant la ratification (sauf loi référendaire, le Conseil constitutionnel s’estimant incompétent depuis 1962 à l’égard des lois « qui sont l’expression directe de la souveraineté nationale »). Une fois le traité ratifié (si accord en forme solennelle), dans un délai de quelques semaines, il entrera en vigueur. 2. L’entrée en vigueur : * Il s’agit de la dernière étape sur le plan chronologique : pour les accords en forme simplifiée, cette entrée en vigueur se réalise dès après la signature ; pour les accords en forme solennelle, il faut distinguer les accords bilatéraux des accords multilatéraux : - les accords bilatéraux entrent en vigueur après l’échange des instruments de ratification (transmission aux autorités de l’autre Etat du document attestant de la ratification du traité) ; - les accords multilatéraux entrent en vigueur lorsqu’un nombre déterminé (variable d’une convention à l’autre) de ratifications a été obtenu : 10 pour la CEDH (conclue en 1950, entrée en vigueur en 1953), 35 pour la convention de Vienne (1969/1980), 60 pour la Convention de Montego Bay (1982/2000), 60 aussi pour la Convention de Rome (1998/2002), 50 pour la Convention de 2013 contre le mercure, ou enfin la ratification de tous les Etats membres de l’Organisation (dispositif dans l’Union européenne, problèmes en 1992 pour le traité de Maastricht (Danemark), le traité de Nice (Irlande), la Constitution européenne (referendums négatifs en France et aux Pays-Bas) et le traité de Lisbonne (Irlande à nouveau)). Sans être une formalité obligatoire, le dépôt des instruments de ratification est fréquent : le dépositaire peut être soit le principal fonctionnaire d’une organisation internationale (notamment Secrétaire général de l’ONU), soit un organe d’une organisation internationale, soit enfin un ou plusieurs Etats. Par 16 exemple : la France est dépositaire du Protocole de Genève de 1925 sur l’interdiction d’armes chimiques ou bactériologiques déjà évoqué ; l’Italie des ratifications du traité de Lisbonne (art. 357 alinéa 1 TFUE) ; l’Union soviétique (maintenant la Russie), le Royaume-Uni et les USA sont dépositaires du traité de 1963 sur l’interdiction partielle des essais nucléaires (cette formule a facilité la participation au traité d’Etats non reconnus par l’un des dépositaires). * La date d’entrée en vigueur est fixée par la Convention elle-même, à condition que le nombre minimum de ratifications soit atteint : ainsi la Convention de Vienne sur le droit des traités prévoyait qu’elle rentrerait en vigueur « le 30ème jour qui suivra la date du 35ème instrument de ratification » (article 84 § 1) ; ou encore, le traité de Lisbonne qui entra en vigueur le 1er jour du mois suivant le dépôt du dernier instrument de la ratification (art. 358 TFUE : République tchèque a ratifié en novembre 2009, entrée en vigueur du traité le 1er décembre 2009) A la date prévue, le traité devient alors obligatoire pour les Etats qui l’ont ratifié. * Enfin, l’enregistrement et la publication des traités est obligatoire (le but étant de décourager les traités secrets) : article 102 charte de San Francisco : « Tout traité ou accord international par un Membre des nations unies après l’entrée en vigueur de la présente charte sera, le plus tôt possible, enregistré au secrétariat et publié par lui » ; le Secrétariat général de l’ONU publie un Recueil des accords enregistrés qui comporte plusieurs dizaines de milliers de conventions. Un traité non enregistré n’affecte pas sa validité mais fait obstacle à ce qu’il puisse être invoqué devant un organe de l’ONU, y compris devant la CIJ. Par ailleurs, la plupart des systèmes nationaux prévoient une publication des traités dans leur propre JO : le droit français (article 55 de la Constitution) prévoit que la publication est l’une des conditions d’applicabilité du traité : le juge administratif ou le juge judiciaire s’opposent ainsi à l’application d’une convention non publiée. Celle- ci l’est formellement par un décret du Président de la République. Interrogeons-nous maintenant sur les conditions de validité des traités. 17 § 3 : LES CONDITIONS DE VALIDITE TRAITES Pour être valide, le traité doit avoir un objet licite (A) ; la CV prévoit par ailleurs des hypothèses dans lesquelles les traités peuvent être partiellement ou totalement invalides car la régularité du consentement est contestable (B). A) - La licéité de l’objet du traité S’agissant des contrats entre individus, vous savez qu’ils ne doivent pas être contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, sous peine de nullité ; la même logique s’applique aux contrats entre Etats que sont les Etats. Dans l’ordre international, on ne parle pas d’ordre public (notion nationale) mais de normes impératives (jus cogens =droit impératif). Plus précisément, à son article 53, la CV dispose : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion est en conflit avec une norme impérative du droit international général » et l’article 64 étend cette nullité au traité qui serait en contradiction avec une norme impérative apparaissant postérieurement à sa conclusion. Mais qu’entend-t-on par « norme impérative » ? L’article 53 alinéa 2 précise : « une norme impérative est une norme acceptée et reconnue par la Communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». En d’autres termes, il existerait en DIP des normes intangibles (de nature coutumière et acceptée par tous les Etats), protégeant les intérêts essentiels de la Communauté internationale et auxquelles, de ce fait, les Etats, ne pourraient pas déroger par traité. Ce concept n’est pas véritablement nouveau : ainsi, aux 19ème et 20ème siècles, l’interdiction de la piraterie, de l’esclavage, de l’agression et le développement du droit humanitaire témoignent de l’existence de principes orientés non pas vers la satisfaction des intérêts particuliers des Etats mais dans le sens de l’intérêt général de la Société internationale. Mais c’est la CV qui a formellement introduit le jus cogens dans le droit positif. Il n’en demeure pas moins que ce concept de jus cogens est discuté en doctrine au point que si la France n’a pas ratifié la CV c’est à cause des dispositions relatives au jus cogens. 18 Certains estiment qu’il est logique de considérer qu’il existe une sorte de « morale internationale », un ensemble de principes supérieurs, empêchant l’Etat d’avoir un comportement remettant en cause les fondements même de la Société internationale (résurgence du droit naturel) ; d’autres (les positivistes) considèrent à l’inverse que les Etats ne peuvent se voir appliquer des principes auxquels ils n’ont pas librement consentis. En outre, comme l’a noté la CIJ dans l’affaire du Sud-ouest africain (Ethiopie et Libéria c/ l’Afrique du Sud), les principes moraux ne sont pertinents que dans la mesure où on leur donne « (...) une expression suffisante sous forme juridique » ; or, personne n’a jamais été capable de fournir une liste de normes considérées comme impératives, ni la CV, ni la CDI qui a reconnu « il n’existe pas encore de critère généralement admis selon lequel identifier une règles générale du DI comme ayant le caractère de jus cogens ». Ceci étant, le fait que l’on ne puisse pas identifier ces normes ne signifie pas qu’il faille rejeter en bloc le jus cogens. Malgré cette querelle théorique, plusieurs juridictions internationales ont reconnu l’existence du jus cogens : la CIJ dans l’affaire Barcelona Traction (arrêt du 5 février 1970), implicitement, en affirmant qu’il existait à la charge des Etats des obligations absolues « (…) qui découlent dans le droit international contemporain de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide, mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la pratique de l’esclavage et de la discrimination raciale », puis explicitement cette fois, en 2006, à propos de l’interdiction du génocide (arrêt du3 février 2006, Activités armées sur le territoire du Congo (Congo c/ Rwanda). Mais ce sont surtout les tribunaux pénaux et les juridictions en matière de droits de l’homme qui font référence au jus cogens (logique, car le domaine de prédilection du jus cogens c’est le droit humanitaire) comme la CrEDH pour interdire la torture notamment (24 juillet 2001, Al-Adsani c/ Royaume-Uni). Le juge communautaire quant à lui a affirmé (TPICE, arrêt du 21 septembre 2005, Yussuf : le Conseil de sécurité de l’ONU a pris des sanctions individuelles contre des personnes suspectées d’activités terroristes ; l’UE les a transposées par voie de règlements et les personnes visées ont contesté ces règlements devant le TPICE au regard des droits fondamentaux (compromis à trouver entre l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et la protection des droits fondamentaux) 19 qu’il ne pourrait approuver une action du Conseil de sécurité de l’ONU qui enfreindrait une norme impérative, sans pour autant être capable de montrer le caractère impératif de ces normes, se contentant de le supposer (« les normes de jus cogens peuvent être définies comme constitutives d’un « ordre public international » qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU et auquel il est impossible de déroger » ; le TPICE insiste sur la barrière infranchissable que constitue le jus cogens, véritable limite à l’action du Conseil de sécurité. Les résolutions du Conseil « doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les Etats de la CE, ni dès lors la CE »). Le raisonnement du Tribunal a toutefois été remis en cause par la Cour de justice sur pourvoi dans son arrêt Kadi du 3 septembre 2008, dans lequel elle raisonne par rapport aux PGD et ne mentionne pas (volontairement ?) le jus cogens... B) - La régularité du consentement En vertu du principe de l’autonomie de la volonté, l’Etat ne peut valablement s’engager que si son consentement est libre ; cette volonté libre et éclairée est celle qui est exempte d’irrégularités formelles (1) et substantielles (2). 1. L’absence d’irrégularités formelles : L’expression du consentement de l’Etat doit se dérouler dans le respect de son droit constitutionnel interne ; sinon on estimera que le consentement est imparfait, d’où l’expression classique de « ratification imparfaite » envisagée aux articles 46 et 47 de la CV. En pratique c’est à la suite de changements politiques que des gouvernements ont parfois tenté de se libérer des liens contractuels établis par le régime précédent. Dans quelle mesure le non-respect des contraintes constitutionnelles affecteront-elles la validité de l’engagement de l’Etat au plan international ? En vertu des dispositions de la CV, la violation des règles internes ne pourra être invoquée pour justifier la nullité du traité que de manière exceptionnelle (objectif : garantir la sécurité juridique internationale car l’Etat pourrait avoir la tentation d’invoquer ce motif pour se libérer de son engagement), c’est-à-dire dès lors que cette violation est « manifeste » et « d’importance fondamentale » (en ce qu’elle 20 touche à la répartition constitutionnelle des compétences) : donc suffisamment grave et incontestable. Parmi les quelques affaires en la matière, on peut citer un différend frontalier entre la Guinée et le Sénégal réglé par un arbitre à la fin des années 1980 et à l’occasion duquel le Sénégal invoquait une ratification imparfaite, finalement écartée par l’arbitre en se fondant sur la pratique des organes de cet Etat, notamment judiciaires et administratifs. 2. L’absence d’irrégularités substantielles : C’est ce que l’on appelle ici plus concrètement les « vices du consentement » : il faut que la volonté de l’Etat ne soit pas entachée d’un vice de consentement. Plus précisément, la CV envisage l’erreur, le dol, la corruption et la contrainte ; mais ces hypothèses sont largement théoriques ou en tout cas difficiles à prouver. - L’erreur (art. 48 CV) : la partie n’a pas eu pleinement conscience de ce à quoi elle s’engageait. Toute erreur ne saurait vicier le consentement (sinon instabilité juridique) celle-ci ne sera constitutive d’un vice du consentement que si elle est déterminante (essentielle) et a porté sur des qualités substantielles. En pratique l’erreur est très rarement retenue et doit, en tout état de cause, se rapporter à un fait ou à une situation : erreur de fait donc, l’erreur de droit n’étant pas acceptée par la CIJ (car il y a une faute de l’Etat invoquant l’erreur : caractère inexcusable). * Ainsi, dans l’affaire du temple de Préah Vihéar (CIJ, arrêt du 26 mai 1961 ; affaire réglée de manière définitive seulement fin 2013, par un autre arrêt de la CIJ), la Thaïlande et le Cambodge revendiquaient la souveraineté sur ce temple datant du 9ème siècle. La Thaïlande a tenté de faire valoir qu’elle avait commis une erreur, dans le tracé de la ligne frontière établie sur une carte, pour remettre en cause la validité du traité signé avec son voisin sur le territoire duquel se trouvait le temple. La CIJ n’a pas retenu l’argument en estimant que la Thaïlande avait contribué à l’erreur par son comportement : celle-ci était donc inexcusable. * Par ailleurs dans un différend territorial entre la Lybie et le Tchad, la CIJ a dit qu’un Etat ne pouvait arguer de son « inexpérience diplomatique » pour justifier son erreur (arrêt du 3 février 1994). 21 - Le dol (art. 49 CV) : difficile à distinguer de l’erreur mais cela consiste pour une partie à utiliser des machinations mensongères pour introduire la confusion chez l’autre partie (alors que l’erreur provient de la victime elle-même). Pour être retenu, il faut 3 conditions : il faut que la tromperie provoquée ait été déterminante ; il faut que le mensonge ait été grave ; il faut que le comportement dolosif provienne d’un cocontractant (et non d’un tiers). Pas d’exemples en la matière. - La corruption (art. 50 CV) : définie comme correspondant à des actes ayant pour effet de « peser lourdement » sur la volonté du représentant d’un Etat. En fait, elle est rattachable au dol et bien que certainement fréquente, difficile à prouver. C’est une création de la Convention de Vienne. - Enfin, la contrainte (art. 51 et 52 de la CV) : 2 hypothèses ici. Il y a d’abord la contrainte exercée sur le représentant d’un Etat : ainsi en est-il des pressions exercées pour extorquer une signature à un représentant plénipotentiaire ; il s’agit d’un acte illicite dénaturant le consentement et impliquant l’inexistence ab initio du consentement étatique ainsi obtenu. Exemple du traité du 15 mars 1939 établissant le protectorat allemand sur la Bohème-Moravie à la suite de pressions physiques exercées par les autorités allemandes du Reich sur le Président de la République Tchécoslovaque de l’époque ; exemple également du traité du 23 mai 1951 conclu entre la Chine et les autorités tibétaines (qui signent sous la menace) prévoyant la « libération pacifique du Tibet » (après l’invasion d’octobre 1950 par l’armée chinoise) : on sait ce qu’il advînt… La contrainte peut aussi s’exercer « sur un Etat par la menace ou l’emploi de la force » : elle correspond à un autre cas de nullité absolue. Faut-il comprendre ici « force armée » (interdite par l’article 2 § 1 de la Charte de l’ONU) ou comme le soutenaient les PVD la menace de contraintes de toutes natures, notamment économiques ? Finalement l’article 52 CV fait référence à la « menace ou l’emploi de la force en violation des principes du DI incorporés dans la Charte des Nations unies ». En toute hypothèse, cette formule s’avère difficilement 22 applicable dans la mesure où la Société internationale est le lieu de rapports de force où certains consentements sont obtenus « contraints et forcés ». La place de la contrainte pose ainsi le problème des traités inégaux, c’est-à-dire des traités consacrant une inégalité de droit ou de fait entre les cocontractants : les traités de paix sont par nature des traités inégaux où les vainqueurs imposent des concessions aux vaincus sans autre contrepartie (les autorités allemandes n’ont pas participé aux négociations du traité de Versailles et se sont contentées d’apposer leur signature : ceci étant, la signature n’a pas été forcée…) ; se pose également la question des traités passés entre des puissances coloniales et les territoires soumis à leur emprise... forcément déséquilibrés. En conclusion sur les vices du consentement, il convient de préciser qu’en cas d’erreur ou de ratification imparfaite, les actes accomplis de bonne foi avant que la nullité ait été déclarée sont normalement valables ; en revanche, s’agissant des autres vices du consentement, la nullité est absolue, le traité étant censé n’avoir jamais existé... mais il faudra que les parties s’entendent pour saisir un tiers (juge ou arbitre) susceptible de prononcer la nullité sinon le traité continuera à s’appliquer au moins pour les parties qui estiment qu’il n’y pas de motif de remise en cause. Etudions maintenant la portée des traités. § 4 : LA PORTEE DES TRAITES L’une des caractéristiques du traité, rappelons-le, c’est qu’il crée des effets de droit ; la question est alors de savoir quels sont ces effets, par rapport aux parties contractantes d’abord (A), par rapport aux Etats tiers (B) et enfin par rapport aux autres sources internationales (C). A) – Les effets par rapport aux parties contractantes : Nous formulerons ici 2 séries de développements : la 1ère relative à l’effet obligatoire des traités (1) ; la 2nde se rapportant à la technique des réserves (2). 23 1. L’effet obligatoire des traités : * Signification du principe : le traité conclu s’impose logiquement à ses signataires : c’est l’effet obligatoire du traité (comme un contrat pour des personnes privées) correspondant à la formule traditionnelle « Pacta sunt servanda » de nature coutumière reprise à l’article 26 de la Convention de Vienne en ces termes : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Cette exigence est par ailleurs soulignée dès le préambule de la Charte de San Francisco, dans laquelle il est indiqué que les Etats sont déterminés à créer « les conditions nécessaires au respect des obligations nées des traités et autres sources de droit international ». L’exécution de bonne foi des traités constitue un principe fondamental du DIP comme la CIJ l’a rappelé à maintes reprises : dans l’affaire des Pêcheries entre le Royaume-Uni et l’Irlande (arrêt du 2 février 1973) le juge international a souligné le caractère fondamentalement inadmissible du comportement d’une partie qui s’autorisait à mettre fin unilatéralement à des obligations qu’elle avait acceptées en vertu du traité alors même que l’autre partie les respectait ; dans l’affaire des essais nucléaires (20 décembre 1974, Australie et Nouvelle-Zélande c/ France), elle a souligné le rôle central du principe de la bonne foi dans le fonctionnement organisé des relations internationales : « La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indispensable ». La bonne foi n’est d’ailleurs pas limitée à l’application des conventions internationales ; on la retrouve à chacun des stades de la genèse, de la vie et même de la suspension ou de l’extinction des traités : « elle innerve (imprègne) tout le droit des traités » (formule des Professeurs P.-M Dupuy et Y. Kerbrat dans leur manuel de DIP). * Portée du principe : cette puissance (ce caractère obligatoire) du traité peut être envisagée de façon négative et de façon positive : - de manière négative, elle implique qu’une partie ne peut unilatéralement et discrétionnairement rejeter les obligations qu’elle a acceptées ; en revanche, elle peut décider librement de renoncer à l’exercice des 24 droits qu’elle tire d’un traité, sans pour autant être déliée du traité lui-même. Elle ne peut pas non plus, comme le rappelle l’article 27 de la Convention de Vienne, invoquer « des dispositions de droit interne comme justifiant la non-exécution du traité » (quelles que soient les circonstances, notamment dans les Etats organisées de manière fédérale). - de manière positive, cette puissance entraîne l’obligation de respecter le traité signé, sous peine pour l’Etat en question d’engager sa responsabilité internationale. Cela signifie plus précisément que l’Etat ne doit prendre aucun acte susceptible de remettre en cause le traité (obligation de ne pas faire) mais également doit mettre en place les institutions et procédures nécessaires (obligation de faire ou « obligation positive » : droit à un recours effectif notamment dans le cadre de la CEDH) comme la CJUE ou la CrEDH ont pu l’affirmer. Accepté par tous, ce principe fait encore l’objet de discussions doctrinales quant à sa nature : provient-il de la volonté des Etats eux-mêmes (courant volontariste et théorie de l’autolimitation de l’Etat : Jellineck (fin 19ème) ou Carré de Malberg (début 20ème)) ou préexiste-t-il à la volonté des Etats traduisant une exigence sociale inhérente à la vie internationale (pour Basdevant ; pour Kelsen, une norme aussi fondamentale qu’indémontrable) ? (cf. débat sur le jus cogens). 2. La technique des réserves : Les Etats signataires peuvent parfois moduler les effets du traité à leur égard en formulant des réserves. Aux termes de l’article 2 § 1 (d) de la CV : « L’expression « réserve » s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat (quand il exprime son engagement), par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité à son égard ». Evoquons la notion de réserve puis les conditions d’opposabilité des réserves. * la notion de réserve : cette technique permet de restreindre l’engagement d’un Etat partie à un traité, à son initiative et suivant les termes qu’il a choisis (acte unilatéral). Par ce moyen, au moment de s’engager, un 25 Etat (en France, traditionnellement l’émission de réserves relève de la compétence de l’Exécutif) entreprend de réécrire partiellement à son profit un traité afin de restreindre son engagement. En théorie, les réserves placent le traité devant un dilemme : si on les refuse, on risque de limiter le nombre des parties à la convention, car elles seront peu nombreuses à accepter l’ensemble des dispositions ; si, à l’inverse, on admet les réserves de manière trop libérale, on assure une extension facile du traité, mais une extension plutôt artificielle dans la mesure où chaque Etat aura tendance à réécrire le traité pour son propre compte, remettant en cause sa cohérence juridique. En pratique, l’absence d’homogénéité de la société internationale, les profondes divergences, économiques, idéologiques ou politiques entre Etats, conduisent à être peu rigoureux vis-à-vis des réserves, afin d’aboutir à des conventions largement acceptées. En outre, comme la plupart des conventions ne résultent pas d’une unanimité formelle, la technique des réserves permet d’offrir une « compensation » aux Etats appartenant à la minorité qui pourront ainsi s’engager tout en protégeant, dans une certaine mesure, leurs intérêts. Pendant longtemps (jusqu’à la seconde guerre mondiale), les réserves ont été écartées ou soumises à l’approbation unanime des autres parties. Puis, il y a une acceptation progressive des réserves : cela a d’abord résulté d’un avis consultatif du 28 mai 1951 de la CIJ (Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948) : plusieurs questions avaient été posées par l’Assemblée générale de l’ONU à propos des réserves. La CIJ a d’abord clairement indiqué que les réserves avaient un caractère nécessaire dans la société internationale, afin de concilier l’impératif d’adoption des conventions et celui de la défense des intérêts des Etats par rapport au texte communément adopté. La CIJ a ensuite posé les 3 conditions de validité des réserves : les réserves sont possibles dès lors que le traité en cause lui-même n’a pas expressément exclu le droit de formuler des réserves ; les réserves ne peuvent concerner que certaines dispositions conventionnelles (objectif : garantir le « noyau dur » du traité) ; enfin, les réserves doivent être compatibles avec l’objet et le but du traité ; La Convention de Vienne sur le droit des traités a ensuite repris et précisé le régime des réserves ; quelles sont donc aujourd’hui les conditions d’opposabilité des réserves ? 26 * les conditions d’opposabilité des réserves : certaines sont relatives au contenu du traité alors que d’autres se rapportent à l’attitude des parties. - S’agissant du contenu du traité, la Convention de Vienne retient pour l’essentiel une condition générale (posée dans l’avis de 1951) : la réserve doit être compatible avec l’objet et le but de la convention. En d’autres termes, une réserve ne pourra pas porter sur une clause essentielle du traité dont l’absence d’application remettrait en cause l’intérêt même de ce traité. Mais la difficulté réside dans la question de savoir ce qu’est une clause essentielle et ce qui ne l’est pas, avec toute la subjectivité qui s’attache à cette appréciation… Par ailleurs, certains traités peuvent interdire les réserves : Convention de Montego Bay (art. 90), certaines conventions de l’OIT, Convention créant la CPI, traités européens … mais la technique de la dérogation (ou « opting out », type Schengen ou zone Euro en droit de l’Ue) permet d’obtenir à peu près le même résultat (suspension temporaire des obligations) avec une suspension d’obligations voire des obligations « sur mesure ». - En ce qui concerne l’attitude des parties, il convient de préciser que les réserves ne produisent d’effet qu’à l’égard des parties qui les ont acceptées, acceptation qui peut être expresse mais qui est le plus souvent tacite (le silence de l’Etat pendant les 12 mois après la formulation de la réserve valant acceptation ; en revanche, l’objection à la réserve devra être formulée par écrit) : le principe est qu’aucun Etat ne peut être lié par une réserve à laquelle il n’a pas consenti. Enfin, les réserves pourront être retirées à tout moment, en totalité ou en partie, par l’Etat qui en est l’auteur (de même pour les objections aux réserves). Pour conclure, il faut comprendre que si la technique des réserves est intéressante en ce qu’elle permet aux Etats d’accepter des conventions qu’ils ne souhaitent pas appliquer dans leur intégralité et favoriser ainsi l’effectivité de la convention, elle conduit parallèlement à une « application à la carte » de ladite convention, puisque les obligations de pays varieront selon les réserves qu’ils ont formulées et l’acceptation ou non de ces réserves par leurs partenaires. En pratique, le 27 recours anarchique aux réserves a parfois conduit à des situations inextricables comme dans l’affaire opposant la France et la Grande-Bretagne à propos de la Convention de 1958 relative au plateau continental (sentence arbitrale du 30 juin 1977). C’est pourquoi, on constate que certains organes institués par des conventions (tout spécialement relatives à la protection des droits de l’homme), qui ont eu à connaître de ces réserves, se sont reconnus compétents pour examiner eux-mêmes la validité des réserves (indépendamment de l’appréciation des Etats parties eux-mêmes donc) au regard du DIP général ou de la convention de référence : Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Loizidu du 23 mars 1995 dans lequel la CEDH invalide des réserves formulées par la Turquie concernant une disposition de la Convention « au nom de l’ordre public européen » dont elle s’estime la gardienne) ; plus récemment, la Cour interaméricaine des droits de l’homme ou encore le Comité des droits de l’homme dans le cadre du Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques se sont inscrits dans cette logique. B) – Les effets par rapport aux tiers : En principe, l’Etat tiers -qui n’est donc pas partie au traité- n’est pas tenu par une convention qu’il n’a pas signée : c’est le principe de l’effet relatif des traités (comme les contrats d’ailleurs, cf. article 1165 du code civil français). Normalement, le traité ne crée donc ni droits, ni obligations, pour l’Etat tiers (article 34 de la CV). Cependant, il existe diverses situations permettant à des traités d’avoir des effets à l’égard de ces pays tiers avec le consentement de ceux-ci, soit qu’il s’agisse de droits, soit qu’il s’agisse d’obligations. * Il y a d’abord la technique de l’accord collatéral qui permet à des Etats tiers qui ne souhaitent pas participer à un traité de consentir à être liés juridiquement par certaines de ses dispositions (créant des droits et/ou des obligations) par un tel accord dit collatéral qui vient reprendre certaine de ses dispositions seulement. * Il existe ensuite la technique de la stipulation pour autrui par laquelle les Etats signataires d’un traité peuvent s’engager à créer des droits au bénéfice d’un Etat tiers (article 36 § 1 de la CV reprenant un principe dégagé par la CPJI dans 28 un arrêt de 1932 (France contre Suisse : l’affaire concernait des facilités de ravitaillement des zones franches de Haute-Savoie et du pays de Gex objet d’une stipulation pour autrui (en l’occurrence en faveur de la Suisse) par le Congrès de Vienne de 1815 ; la France prétendait que l’article 435 du traité de Versailles avait supprimé cette stipulation, alors que la Suisse affirmait qu’elle ne s’était jamais exprimée là-dessus et que la stipulation demeurait donc valable : la CPJI donnera raison à cette dernière en rappelant que toute modification d’une stipulation implique l’accord du tiers bénéficiaire) : « On ne saurait facilement présumer que des stipulations avantageuses à un Etat tiers aient été adoptées dans le but de créer en sa faveur un véritable droit. Rien, cependant, n’empêche que la volonté d’Etats souverains puisse avoir cet objet et cet effet. L’existence d’un droit acquis en vertu d’un acte passé par d’autres Etats est donc une question d’espèce : il s’agit de constater si les Etats qui ont stipulé en faveur d’un autre Etat ont entendu créer pour lui un véritable droit que ce dernier a accepté comme tel »). En conséquence : la stipulation pour autrui est possible ; elle suppose l’accord du tiers bénéficiaire ; toute modification implique l’accord du tiers bénéficiaire. Dans ces deux premiers cas, on peut considérer que l’Etat tiers ayant accepté telle ou telle disposition d’un traité est en réalité dans une situation comparable à celle des Etats signataires dans la limite des dispositions concernées. * Enfin, il convient de mentionner les traités « créateurs de situations objectives » lesquels créent des obligations à la charge de tous les Etats : leur opposabilité erga omnes (valable pour tous) résulte de leur nature spécifique. Ils sont à l’opposé de la contrainte, poursuivent un intérêt commun international ou protègent, par un statut territorial ou politique international, une collectivité humaine ou un domaine public international. Comme a pu l’expliquer un auteur « (…) certaines solutions arrêtées à un moment donné par un ensemble d’Etats suffisamment représentatifs des intérêts en cause ou reconnues par la suite par un tel ensemble, valent pour la Communauté internationale ». Il en est notamment ainsi des traités relatifs à la délimitation des frontières ou à la cession de territoires (traité de Versailles de 1919 amputant 29 l’Allemagne de divers territoires (1/7ème de sa superficie) par exemple) ou de ceux qui instituent un statut particulier pour une zone déterminée : le traité prévoyant une démilitarisation de l’Antarctique élaboré par 12 Etats en 1959, déroge au principe de l’effet relatif des traités et s’impose à tous les Etats de la Communauté internationale. C) – Les rapports entre les traités et les autres sources internationales : * Le traité et la coutume ont la même valeur juridique (pas de hiérarchie entre ces 2 normes) : cette égalité juridique est logique dans la mesure où la coutume et le traité ont la même origine, la même base, l’engagement international de l’Etat. Nous y reviendrons plus précisément quand nous présenterons la coutume (voir section 2). * Par ailleurs, quelles sont les relations entre les traités internationaux eux-mêmes ? Elles sont définies par chaque traité particulier mais des règles supplétives s’appliquent s’ils ne comportent aucune précision. Les dispositions propres à chaque traité sont variables : un traité peut affirmer sa supériorité par rapport aux autres traités : article 103 de la Charte des Nations Unies dans l’hypothèse d’un conflit avec une autre convention, la Charte de San Francisco l’emporte ; à l’inverse, d’autres traités précisent que leurs dispositions ne s’appliquent qu’en l’absence de dispositions contraires (infériorité) ; enfin, des traités peuvent organiser leur complémentarité avec d’autres : ils précisent alors dans quelles conditions ils s’appliquent afin de respecter les autres conventions intéressant la même question (compatibilité). En l’absence de dispositions explicites, la Convention de Vienne comporte des règles supplétives qui consacrent plusieurs principes généraux dont l’application varie selon les situations. - Dans le cas de traités successifs avec les mêmes Etats signataires, le traité antérieur (le 1er dans le temps) ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur (article 30 § 3 de la Convention de 30 Vienne) : est ici consacré le principe « lex posterior derogat priori » (le traité postérieur déroge au traité antérieur, seulement s’il s’agit des mêmes Etats, de la même matière et du même degré de généralité des 2 traités). Si l’un des 2 traités a un caractère spécialisé, il importe peu qu’il soit antérieur ou postérieur : en application du principe « lex specialis derogat generali » (la loi spéciale déroge à la loi générale), il l’emporte sur le traité général : concrètement, un traité sur un aspect précis du commerce international (droits de propriété intellectuelle par exemple) l’emportera sur un traité commercial général. - Dans le cas de traités successifs avec des Etats signataires différents, les solutions sont plus complexes et peuvent être schématisées ainsi : * entre les Etats parties aux 2 traités, il y a priorité d’application du traité postérieur (même s’il est plus général que le premier). En effet, le principe « lex specialis derogat generali » est écarté au profit du principe « lex posterior derogat priori » : on estime en réalité que le fait pour ces Etats d’avoir conclu un traité initial entre eux (ou avec d’autres partie) et de se lier ensuite par un traité différent avec des partenaires autres que les premiers doit être interprété comme une volonté d’amender le traité antérieur dans leurs rapports mutuels. Le premier traité n’est donc modifié par le second que dans les relations entre les Etats parties aux 2 traités. * dans les relations entre un Etat partie aux 2 traités et un Etat partie au premier seulement, seul le premier traité (traité commun) s’applique, sans aucune influence sur le second ; de la même manière, s’agissant des relations entre un Etat partie aux 2 traités et un Etat partie au second seulement, seul le second régit leurs droits et obligations réciproques (article 30 § 4 de la CV). Pour conclure sur la portée des traités internationaux, il convient d’insister sur la réalité selon laquelle les effets des conventions dépendent largement de leur interprétation. Le juge (national ou international) ou l’arbitre en charge d’un différend devra se livrer à un exercice difficile qui consiste à déterminer le sens et la portée des termes utilisés dans les dispositions du traité applicable à l’espèce. L’interprétation consiste à déterminer le sens et la portée des règles en vigueur ; en droit international, on distingue l’interprétation authentique directement fournie par les parties (de manière unilatérale par l’Etat partie au traité au 31 titre de sa souveraineté ou de manière concertée par un accord entre tous les Etats parties au traité (dans des annexes : à la Convention de Montego Bay ou aux accords OMC par exemple)) de l’interprétation non authentique qui est donnée par un tiers (juge ou arbitre international plus précisément). Pour éviter les difficultés que peut susciter l’interprétation par les parties, la compétence d’interprétation sera souvent réservée au juge par une clause du traité (ex-article 220 TCE remplacé en substance par l’article 19 TUE conférant un monopole au Tribunal et à la Cour en cas de litiges entre Etats impliquant le droit de l’UE). Mais quelles sont les méthodes qu’il est susceptible d’utiliser ? L’article 31 de la convention de Vienne fait obligation à l’interprète de se guider à partir d’un faisceau d’éléments fondamentaux que sont la bonne foi, le sens ordinaire des termes employés et la lecture du traité à la lumière de son contexte, de son objet et de son but (moyens d’interprétation). La bonne foi : cela signifie pour l’essentiel que le traité doit être interprété de manière raisonnable, par rapport à la règle de droit et à l’intention des parties ; en réalité, les autres moyens d’interprétation se rattachent tous à cette idée de bonne foi ; Le sens ordinaire des termes doit se comprendre comme le sens habituel des mots (cf. CIJ, affaire du Temple de Préah Vihear du 15 juin 1962 (Cambodge contre Thaïlande) déjà citée : « La Cour doit appliquer ses règles normales d’interprétation dont la première est, selon sa jurisprudence bien établie, qu’il faut interpréter les mots dans leur sens naturel et ordinaire dans le contexte où ils figurent ») ; L’interprétation en fonction du contexte (complété le cas échéant par la pratique ultérieure des parties, le recours aux travaux préparatoires et aux circonstances des négociations et de l’adoption du texte) est dite méthode systémique alors que la référence à l’objet et au but du traité correspond à l’interprétation téléologique laquelle permet d’avoir une lecture dynamique (certains disent même « activiste ») de la Convention en cause en se fondant sur l’efficacité voulue par les signataires. Quelques exemples d’attitudes de juridictions européennes et internationales : 32 - cf. la lecture des traités européens par le Tribunal et la Cour dans le cadre de l’Union européenne : méthode systémique : « l’article 12 TCE doit être interprété eu égard à l’économie du traité en matière de droits de douane et de taxes d’effet équivalent » (CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos) ; pour reconnaître ou non un effet direct à la directive, « il convient de s’attacher à sa fonction dans le système du traité » (CJCE, 17 décembre 1970, SACE de Bergame) ; méthode téléologique : la question de l’effet direct de l’article 119 TCE (égalité professionnelle homme/femme) doit être appréciée « au regard de la nature du principe d’égalité des rémunérations, de l’objectif poursuivi par cette disposition et de sa place dans le système du traité » (CJCE, 8 avril 1976, Defrenne) ; - cf. la CEDH par la Cour EDH au nom de l’effectivité des droits garantis lorsque celle-ci affirme que la Convention en question est un « instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles » (arrêt Marckx, 13 juin 1979) : la Cour adapte ainsi constamment la Convention aux changements sociaux (droits des enfants naturels, interdiction de la répression pénale de l’homosexualité, famille, environnement...) et à l’évolution des mœurs et des mentalités afin de la préserver de tout anachronisme ; - cf. la CIJ, globalement plus prudente mais adoptant : * l’avis du 11 avril 1949, affaire du Comte Bernadotte, à propos de la capacité d’action de l’ONU (lien entre les objectifs assignés et les capacités reconnues) fondant la reconnaissance de sa personnalité internationale ; * l’avis du 28 mai 1951 sur la Convention sur la prévention et la répression des crimes de génocide à propos des réserves aux traités (conditions formalisées et précisées ultérieurement par la Convention de Vienne de 1969 (art. 19 à 23)). § 4 : LA MODIFICATION ET LA FIN DES TRAITES Comme n’importe quel instrument juridique, le traité n’est pas éternel, immuable ; il peut être modifié, révisé (A) afin de s’adapter à l’évolution de la société internationale et/ou aux circonstances. Il peut également cesser de s’appliquer dans diverses hypothèses (B). 33 A) – La modification des traités : Selon l’article 39 de la CV, la révision d’un traité international (on parle d’amendement) doit être expresse et non tacite : plus précisément, cela signifie qu’un accord formel est normalement indispensable d’une part et qu’aucune modification unilatérale ne saurait être admise d’autre part. En pratique, chaque traité déterminera les modalités de l’initiative, de l’élaboration et de l’entrée en vigueur des amendements au traité considéré. L’initiative pourra appartenir à un seul signataire (conventions conclues depuis 1948 dans le cadre de l’ONU) ou à un nombre déterminé d’Etats ou enfin à un organe international (cas des conventions internationales du travail). L’élaboration s’effectuera par une conférence diplomatique réunissant les Etats parties. Enfin, l’adoption définitive de l’amendement devra recueillir le « commun accord » des Etats parties selon des modalités variables : * majorité des 2/3 dont les 5 « grands », pour la Charte de l’ONU (exemple : en 1965, modification de l’article 23 § 1 de la Charte (le Conseil de sécurité de l’ONU passe de 11 à 15 membres)). * l’unanimité dans certaines organisations internationales régionales comme l’Union européenne (cf. les marchandages entre Etats jusqu’au dernier moment lors du traité de Nice en décembre 2000) doublée d’une ratification ultérieure par chacun des Etats membres. Pour autant, là encore, comme pour une constitution nationale par exemple, une pratique acceptée par tous, sans modifier formellement le traité, pourra conduire à une application particulière de celui-ci : exemple du principe, communément admis, selon lequel une abstention d’un membre permanent n’empêche pas l’adoption d’une décision par le Conseil de sécurité de l’ONU (9 voix sur 15 dont les « 5 grands » selon la Charte : art. 27 alinéa 3 de la Charte). Nous y reviendrons plus loin en envisageant la coutume. B) – La fin des traités : Un traité peut prendre fin dans différentes hypothèses : - le traité peut prévoir lui-même sa « durée de vie » (rare) : cas du traité de Paris instituant la CECA prévu pour 50 ans à partir de son entrée en vigueur (1952- 2002) ; plus fréquemment, des conventions seront signées pour une durée déterminée mais tacitement reconductible par les parties : traité de l’OTAN de 34 1949 (valable 20 ans au départ) ; notez que la désuétude (non-application du traité) n’est pas une cause d’extinction du traité en DIP ; - la volonté des Etats parties d’y mettre fin : cas de l’UEO fin 2004 car développement d’une défense strictement européenne dans le cadre du 2 ème pilier de l’Union européenne (reprise en fait de l’UEO créée au départ par 10 Etats dans le cadre de la PESC ; décision de dissolution de l’UEO du 31 mars 2010, effective en juin 2011). Cette hypothèse est surtout fréquente pour les traités bilatéraux (car il est relativement facile de se mettre d’accord). Enfin, rare existence d’une clause résolutoire : Pacte de Varsovie de 1955 (Alliance militaire de l’Europe de l’Est) prévoyant que le Pacte cesserait dès lors qu’un traité général européen de défense collective entrerait en vigueur ; - la conclusion d’un traité postérieur ayant le même objet et les mêmes parties signataires (art. 59 de la CV ; voir le passage supra sur les traités successifs) ; - la violation du traité par l’autre partie (pour les traités bilatéraux seulement) : constatant que l’autre partie ne respecte pas ses obligations, l’Etat décide de ne plus appliquer le traité (« exception d’inexécution », sorte de légitime défense conventionnelle) ; il doit cependant s’agir d’une « violation substantielle » ; - la réalisation de l’objectif poursuivi par le traité en cause : il en est ainsi par exemple d’un traité relatif à une cession territoriale ou prévoyant une aide financière, matérielle ou la réalisation d’un projet déterminé (une fois celle-ci ou celui-ci réalisé, le traité s’éteint) ; - les circonstances de guerre conduisent logiquement à la suspension des traités multilatéraux (sauf traités créateurs de situations objectives (frontières) et traités prévus pour les temps de guerre : c’est le cas des conventions de Genève (conditions de détention des prisonniers de guerre) et Conventions humanitaires (de 1951 sur les réfugiés par exemple)) et à la cessation des traités bilatéraux éventuellement conclus entre belligérants ; 35 - enfin, un traité peut théoriquement prendre fin en raison d’un « changement fondamental de circonstances » (principe « rebus sic stantibus », « les choses restant en l’état ») : l’article 62 de la CV encadre l’éventuelle mise en jeu de ce principe afin de ne pas affaiblir la portée des traités (éviter une utilisation abusive des Etats pour se délier de leurs obligations conventionnelles). D’une manière générale, cette clause signifie qu’un Etat pourrait être fondé à se délier d’une convention dès lors qu’il estimerait que les circonstances ayant présidé à la conclusion de ladite convention ont radicalement changé et modifient substantiellement les considérations qui l’ont déterminé à contracter. Parfois invoquée devant le juge international, cette clause n’a pour l’heure jamais été retenue pour justifier la caducité d’un traité : ainsi dans un arrêt du 2 février 1973, (affaire des pêcheries entre l’Islande d’une part et le Royaume-Uni et l’Allemagne d’autre part), la CIJ a repoussé l’argumentation de l’Islande en affirmant : « Les changements de circonstances qui doivent être considérés comme fondamentaux et vitaux sont ceux qui mettent en péril l’existence ou de le développement vital de l’une des parties », puis en ajoutant : « le changement doit avoir entraîné une transformation radicale de la portée des obligations qui restent a exécuter. Il doit avoir rendu plus lourdes ces obligations, de sorte que leur exécution devienne essentiellement différente de celles qui restent à exécuter ». Dans l’affaire en question, la CIJ a considéré que changement des circonstances ne pouvait permettre que d’ouvrir des négociations (à l’initiative de l’Islande) et non de procéder à une dénonciation unilatérale. Dans une affaire du 25 septembre 1997 (arrêt Gabcikovo- Nagymaros, Slovaquie contre Hongrie à propos d’un barrage sur le Danube), la CIJ a insisté en ces termes : « Un changement fondamental de circonstances doit être imprévu ; les circonstances existant à l’époque où le traité a été conclu doivent avoir constitué une base essentielle du consentement des Parties à être liées par le traité. Le fait que l’article 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités soit libellé en termes négatifs et conditionnels indique d’ailleurs clairement que la stabilité des relations conventionnelles exige que le moyen tiré d’un changement fondamental de circonstances ne trouve à s’appliquer que dans des cas exceptionnels ». 36 Ajoutons à ces hypothèses d’extinction d’un traité, le cas où un Etat signataire décide de se retirer d’un traité ; ici le traité ne prend pas fin mais il ne sera plus applicable à l’Etat qui l’aura dénoncé. Si le droit de renoncer ou de se retirer d’un traité existe bel et bien, il devra être exercé en conformité avec les exigences inscrites dans la « clause de retrait » de la convention en cause , laquelle prévoira une information des partenaires, un délai à respecter avant de sortir effectivement, des modalités de négociation sur les conditions de sortie. On pense bien entendu ici à l’article 50 TUE appliqué au fameux Brexit qui a donné lieu à une véritable saga de plus de 3 ans (référendum le 23 juin 2016, notification en mars 2017, début des négociations dans la foulée avec une sortie prévue initialement fin mars 2019 et repoussée plusieurs fois jusqu’au 31 janvier 2020, prolongée par une période de transition ayant expiré le 31 décembre 2020). Il ne s’agit pas cependant d’un cas isolé, puisque la Chine s’est retirée du GATT en 1949, le Canada du Protocole de Kyoto en 2012, les Etats-Unis d’Amérique du Traité Trans-Pacifique et de l’Accord sur le Climat en 2016 ou le Burundi du statut de la CPI en 2017. Ces 20 dernières années, il y a eu une véritable inflation des traités : ainsi, dans son rapport général pour 2006 (il y a plus de 15 ans donc…), le Conseil d’Etat précisait que la France était liée par 7 400 traités (1700 multilatéraux et 5700 bilatéraux signés et ratifiés), qu’elle négociait en moyenne 200 accords bilatéraux par an (notamment avec ses voisins européens) et que les traités touchaient de plus en plus le « cœur » de l’Etat (domaines régaliens : droits des étrangers, matière pénale... mais également environnement). Ce foisonnement contribue à une complexité croissante du droit international, tant sur un plan vertical (dans les relations droit international/droit interne) que sur un plan horizontal (dans les relations entre les normes internationales elles-mêmes). 37 SECTION 2. LES SOURCES NON ECRITES Outre les traités, il existe d’autres instruments juridiques participant à la formation du droit international : il s’agit notamment de 2 catégories de sources -mentionnées à l’article 38 du statut de la CIJ- qui présentent la particularité d’avoir un caractère non écrit, en l’occurrence la coutume (§ 1) et les principes généraux de droit (§ 2). § 1 : LA COUTUME * La coutume se retrouve à l’origine de toute organisation sociale ; elle précède le droit écrit. Cette réalité générale vaut également pour la Société internationale, puisque pendant longtemps -des origines au 19ème/20ème siècle-, le droit coutumier et les usages (qui désignent une conduite que l’on s’accorde à suivre sans pour autant lui attribuer le caractère de règle de droit (usage de la langue française dans les traités par exemple)) régissaient les rapports entre Etats avant que la technique conventionnelle (traités) ne se développe. Avec la multiplication des traités à partir du 19ème siècle, puis celle des actes unilatéraux des Etats et des organisations internationales au 20ème, son importance a diminué mais la coutume conserve encore aujourd’hui une place particulière en droit international comme en droit de la responsabilité internationale, en matière de relations maritimes ou diplomatiques notamment. * Sur le plan théorique, la coutume fait débat : pour les volontaristes (Jellinek notamment), la volonté des Etats joue un rôle de tout premier plan dans la formation de la coutume ; la coutume est alors ramenée à une sorte d’accord tacite entre Etats. En revanche, pour les objectivistes (Léon Duguit, Georges Scelle), la coutume s’impose aux Etats en raison d’une nécessité sociale. En réalité, la vérité est à rechercher dans la synthèse des 2 théories : la volonté des Etats joue bien entendu un rôle très déterminant, notamment pour consolider l’élément matériel de la coutume (la pratique) ; mais d’un autre côté, cette volonté peut se trouver influencée, voire prisonnière, d’une tendance sociale lourde de l’évolution de la Société internationale, par exemple, au moment de la décolonisation (affirmation du principe de la libre détermination des peuples à cette époque). 38 Pour cerner l’enjeu juridique que représente la coutume internationale, nous allons examiner successivement les éléments constitutifs de la coutume (A) puis la portée de la coutume (B). A) – Les éléments constitutifs de la coutume : L’article 38 du statut de la CIJ précise que la coutume est « la preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit » ; dans la mesure où elle est une norme non-écrite, cette définition met l’accent sur la preuve, l’attestation qu’il convient de rapporter de l’existence de la coutume en tant que résultat d’un processus de formation plus ou moins long. Cette définition a le mérite de faire apparaître les 2 éléments constitutifs de la coutume : d’une part, un élément matériel, objectif (1) et d’autre part un élément psychologique ou subjectif (2). 1. L’élément objectif : la pratique L’élément objectif de la coutume est constitué par une pratique constante et uniforme de la part des acteurs internationaux (surtout des Etats mais également des organisations internationales) sur une certaine durée : ces « précédents » vont représenter autant de preuves objectives de la coutume, en l’absence d’écrit. 2 remarques s’imposent ici. * D’abord, quelles sont les conduites, les comportements qui constituent un précédent ? Il s’agit de l’accumulation et la répétition de certains actes, faits, déclarations et comportements ayant des conséquences sur les relations internationales : pratiques unilatérales d’Etats (règle des 12 milles marins pour la mer territoriale), résolution et décisions d’organisations, attitude passive des Membres de l’ONU lorsqu’il y a abstention d’un des 5 « grands » lors d’un vote au Conseil de sécurité... émanant non pas de tous les Etats de la Communauté internationale, mais au moins de certains d’entre eux les plus représentatifs (coutume générale), de quelques Etats d’une même région (coutume régionale) voire de 2 Etats seulement (coutume locale ou bilatérale)... Il n’est pas nécessaire que ces actes 39 répétés soient absolument identiques, mais il faut qu’ils aillent dans le même sens (nécessaire cohérence). * Ensuite, il est exigé que cette pratique répétée se déroule sur une certaine durée. Ce facteur « temps » est très important dans la mesure où la coutume se caractérise par une apparition progressive, au fil du temps : cf. affaire du droit de passage en territoire indien (arrêt de la CIJ du 12 avril 1960) : en l’espèce, le Portugal prétendait bénéficier d’un droit de passage sur le territoire indien pour permettre l’accès à 2 de ses territoires qui y étaient enclavés (essentiellement côte Ouest, notamment Goa) ; or, à la suite de son indépendance (1954), l’Inde s’opposait à ce passage. Le Portugal a donc saisi la CIJ pour qu’elle reconnaisse l’existence de ce droit de passage sur une base coutumière ; la CIJ a posé les conditions classiques de formation de la coutume internationale en cherchant à savoir s’il y avait eu une pratique constante et uniforme qui, en se répétant de manière continue dans le temps, avait engendré la conviction de son caractère obligatoire. En ce qui concerne l’élément objectif, la Cour a affirmé : « en ce qui concerne les personnes privées (…), il a existé au cours des périodes britannique et post- britannique, une pratique constante et uniforme de libre passage. Cette pratique s’étant maintenue sur plus d’un siècle un quart, la Cour considère, eu égard à toutes les circonstances de l’espèce, que cette pratique a été acceptée par les Parties comme étant le droit et a donné naissance à un droit et une obligation correspondants ». En conséquence de quoi, l’Inde devait accepter le libre passage des personnels civils sur son territoire. Pour autant, la CIJ (dans l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord, 20 février 1969) a indiqué que l’écoulement d’un « bref laps de temps » n’était pas rédhibitoire pour l’identification d’une coutume. Certains auteurs en ont déduit qu’il pourrait dès lors exister des « coutumes spontanées » (opinion controversée car laissant à penser qu’une pratique isolée suffit). En réalité, il faut comprendre par là qu’une durée brève (2 ou 3 dizaine d’années) peut suffire, dès lors que la pratique des Etats a été fréquente et uniforme pendant celle-ci (émergence de la règle de la Zone économique exclusive (ZEE) par exemple, dans les années 1960 - 40 telle que défendue par les pays en développement pour protéger leur pêche- et codifiée par la Convention de Montego Bay à partir de 1982). En tout état de cause, la répétition d’actes ou de comportements ne suffit pas à créer une coutume ; encore faut-il que l’attitude des Etats ou des organisations apparaisse comme dictée par la soumission à une règle juridique informelle. Georges Scelle écrivait ainsi : « (…) l’élément subjectif constitue, du point de vue de la valeur de la règle, l’élément indispensable sans lequel l’autre élément, la répétition, ne créerait pas le droit ». 2. L’élément subjectif : l’opinio juris (sive necessatis) : La coutume correspond à une