Institutions Internationales - Licence 1 Droit - Cours PDF
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Arnaud Le Gonidec
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Ce document présente une introduction au droit international public, focalisée sur les acteurs du système international. Il explore la place des États et des organisations internationales dans la régulation des relations entre les nations. L'accent est mis sur les principes fondamentaux et les concepts clés.
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INSTITUTIONS INTERNATIONALES Licence 1_Droit_Semestre 1 Groupe 3 M. Arnaud Le Gonidec « LA REPUBLIQUE FRANÇAISE, FIDELE...
INSTITUTIONS INTERNATIONALES Licence 1_Droit_Semestre 1 Groupe 3 M. Arnaud Le Gonidec « LA REPUBLIQUE FRANÇAISE, FIDELE A SES TRADITIONS, SE CONFORME AUX REGLES DU DROIT PUBLIC INTERNATIONAL. » PREAMBULE DE LA CONSTITUTION DE 1946, ALINEA 14 Première partie – Acteurs et sujets du droit international Si pdt lgtps : État = seul acteur de la sté internationale, certains acteurs sont aujourd’hui en mesure de le concurrencer ; notamment les OI gouvernementales : premiers sujets dérivés du droit international public (DIP). D’autres acteurs non-étatiques jouent également un rôle croissant : les organisations non gouvernementales (ONG) et les individus. = Nous passerons sous silence les firmes multinationales, à l’exemple des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft : la capitalisation boursière de chacune de ces entreprises est de plus de 1000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB des Pays-Bas qui est à la 17e place du classement des pays les plus riches du monde). De même, nous ne parlerons pas des acteurs dits « subversifs », à savoir les organisations du narcotrafic, les mafias ou encore des organisations terroristes qui, elles aussi, dans une perspective réaliste, sont des acteurs de la scène internationale. 1 TITRE 1. Les acteurs normatifs = Ces acteurs sont en mesure d’édicter, de fixer ou de prescrire des règles de comportement dans les relations internationales (RI). Pt commun : ils sont rattachés à un pouvoir politique et émanent directement ou indirectement d’une volonté souveraine. Acteurs normatifs = États + OI. État = acteur principal, sujet originaire des RI ; son existence ne dépend pas d’un acte mais de la réunion de certains faits, de l’observation empirique et de l’expérience. C’est la seule entité véritablement souveraine capable de soumettre juridiquement et politiquement des espaces et des populations. Sa puissance extérieure peut être considérable, certains ont même approché le stade de l’empire universel (Ex. : Rome dans les premiers siècles de notre ère, avec un territoire allant du Maroc jusqu’à la Mésopotamie, des Îles britanniques jusqu’à l’Egypte). Par ailleurs, la capacité juridique de l’État est théoriquement sans autre limite que celle que lui impose celle de ses pairs. Il peut consentir avec d’autres à établir des institutions qui viendront formaliser la coopération interétatique dans un domaine particulier comme la paix, la sécurité, le commerce, la santé ou l’environnement et bien d’autres encore. Aujourd’hui les OI sont plus nombreuses que les États (plus de 250 contre un peu moins de 200 États) ; contrairement aux États, l’existence des OI est non pas fondée sur des faits mais sur des actes juridiques, des traités constitutifs. Leur spécialité, la nature et les pvs de leurs organes sont fixés dans un « instrument international » (cf. les contrats notariés sont également qualifiés d’instrument). En d’autres termes, les OI sont des sujets dérivés du DIP, des créatures interétatiques instituées pour servir les intérêts de leurs créateurs et de leurs membres. Chapitre 1. L’État, acteur principal de la scène internationale Quelques considérations générales sur l’État : équilibre et stabilité des ordres juridiques internes : en quelque sorte : « Pourquoi l’État ? » Pourquoi consentons-nous à faire des sacrifices et à nous limiter dans la satisfaction de nos désirs qui, par nature, sont potentiellement insatiables ? Les 2 réponses à ces questions apportent des grilles d’analyses pour comprendre le dvpmt, mais aussi la fragilité, du DIP. - La gestation des ordres juridiques internes répond à une dynamique psycho-sociale d’ordre anthropologique = dialectique du sacrifice et de la jouissance ; ou, autrement dit, de la liberté et de l’interdit ; la liberté est une qualité naturelle alors que l’interdit est un impératif social = processus de pacification des relations sociales = la « civilisation » des conflits inhérents à tte vie sociale (le terme même de civilisation se rapporte directement, dans ses origines, au règlement pacifique des différends institué par le droit civil des Romains) = l’État joue la fonction d’un interdit structurel (inter-dit) ; médiatisation du tiers terme (Fr. Ost : « À quoi sert le droit ? à compter jusqu’à trois ! ») : interdit = interposition dans une contradiction (interdictum uti possidetis). Institution du principe de limite : l’État se porte garant d’un droit qui régule et purge les conflits (partage de la propriété de chacun, du mien et du tien, par exemple, à travers la confection de cadastre ; distribution des profits et des peines sous formes de condamnations, de rétributions, d’indemnisations et de compensations….). L’institution juridique du principe limite consiste, d’après une célèbre formule du jurisconsulte Ulpien rapportée au Corps du droit romain, à « attribuer à chacun le sien » (suum cuique tribuere) ; en somme, personne n’est libre de se servir soi-même de la part qu’il se croit due, car, s’il en était ainsi, la vie en société serait autrement plus violente. Cette idée a diversement été formulé par les plus fins observateurs du politique. - Jean BODIN (1529-1596) : « Si touts les citoyens estoient Roys, il n’y auroit point de Roy » ; « Tout ainsi que l’esclave ne demande qu’estre delié : estant deslié il desire liberté : afranchi qu’il est, il demande droit de bourgeoisie : de bourgeois il veut qu’on le fasse magistrat : quand il est au plus haut lieu des magistrats, il veut estre Roy : estant roy, il veut estre seul monarque : en fin il veut estre Dieu. » Les six livres de la République, éd. 1583, p. 15 et 755-756. Thomas HOBBES (1588-1679) : « Un royaume divisé en lui-même ne peut subsister […]. Cela a tellement instruit les gens sur cette question des droits de souveraineté qu’ils sont peu aujourd’hui à ne pas voir que ces droits sont inséparables […] et qu’ils continueront de l’être jusqu’à ce que leurs misères soient oubliées, mais pas plus longtemps. » Leviathan, éd. 1651, p. 93. Jacques-Bénigne BOSSUET (1627-1704) : « Voilà quelle est l’unité d’un peuple, lorsque chacun renonçant à sa volonté la transporte et la réunit à celle du prince et du magistrat. […] Toute la force est transportée au magistrat souverain, chacun l’affermit au préjudice 3 de la sienne. […] Où tout le monde veut faire ce qu’il veut, nul ne fait ce qu’il veut : où il n’y a point de maître, tout le monde est maître ; où tout le monde est maître, tout le monde est esclave. » Politique tirée de l’Écriture sainte, Paris, Beaucé, 1818, p. 13-16. Antoine LAVOISIER (1743-1794) : « Lorsque des hommes nés libres ont voulu se rassembler sous les lois et vivre sous une constitution politique, ils ont fait le sacrifice d’une portion de leur volonté, d’une portion de leur force, enfin d’une portion des fruits destinés à leur subsistance pour pouvoir jouir avec tranquillité de la portion qu’ils se réservaient ». Œuvres, éd. 1893, t. 6, p. 110 ; « C’est une loy de toutes les sociétés qu’il faut que chaque particulier sacrifie une partie de son aisance pour jouir tranquillement de l’autre ! » Mémoire sur le projet de convertir la gabelle en un impôt sur le sel perceptible aux salines, AN 129AP/3, fo 1r Jacques NECKER (1732-1804) : « Les moyens qui constituent la puissance de la Société contrarient souvent le bonheur de ses membres : l’une demande des sacrifices, l’autre ne veut que des jouissances. » Éloge de Jean-Baptiste Colbert, Discours qui a remporté le prix de l’Académie Françoise en 1773, Paris, Chez J.-B. Brunet, 1773, p. 20 Sigmund FREUD (1856-1939) : « L’élément culturel est donné avec la première tentative pour régler les relations sociales. Si une telle tentative n’avait pas lieu, ces relations seraient soumises à l’arbitraire de l’individu, c’est-à-dire que le plus fort physiquement en déciderait dans le sens de ses intérêts et motions pulsionnelles. Il n’y aurait rien de changé à cela si ce plus fort trouvait à son tour un individu encore plus fort. La vie en commun des hommes n’est rendue possible que si se trouve réunie une majorité qui est plus forte que chaque individu et qui garde sa cohésion face à chaque individu. La puissance de cette communauté s’oppose maintenant en tant que "droit" à la puissance de l’individu qui est condamnée en tant que "violence brute". Ce remplacement de la puissance de l’individu par celle de la communauté est le pas culturel décisif. Son essence consiste en ce que les membres de la communauté se limitent dans leurs possibilités de satisfaction, alors que l’individu isolé ne connaissait pas de limite de ce genre. L’exigence culturelle suivante est alors celle de la justice, c’est-à-dire l’assurance que l’ordre de droit, une fois donné, ne sera pas de nouveau battu en brèche en faveur d’un individu. En cela rien n’est décidé sur la valeur éthique d’un tel droit. […] Le résultat final est censé être un droit auquel tous – ou du moins tous ceux qui sont aptes à être en communauté – ont contribué par leurs sacrifices pulsionnels, et qui ne laisse aucun d’eux – là encore avec la même exception – devenir victime de la violence brute. La liberté individuelle n’est pas un bien de culture. 4 C’est avant toute culture qu’elle était grande, mais alors le plus souvent sans valeur, parce que l’individu était à peine en état de la défendre. Du fait du développement de la culture, elle connaît des restrictions et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne. […] Une bonne part de la lutte de l’humanité se concentre sur une seule tâche, trouver un équilibre approprié, c’est-à-dire porteur de bonheur, entre ces revendications individuelles et les revendications culturelles de la masse ». Le malaise dans la culture, trad. P. Cotet, PUF, 1998, p. 38-39. Steven PINKER (1954-….) : « Un État qui recourt au monopole de la violence pour protéger ses citoyens les uns des autres est peut-être le réducteur de violence le plus fiable que nous ayons rencontré. Quand les bandes, les tribus et les chefferies furent placées sous le contrôle des premiers États, la répression des raids et des expéditions punitives divisa par cinq leur taux de mort violente. Et quand, en Europe, les fiefs se fondirent en royaumes et États souverains, la consolidation de l’application de la loi finit par réduire encore davantage le taux d’homicides, cette fois-ci en le divisant par trente. » La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin, Les Arènes, 2017, P. 874. Maurice HAURIOU : « Le gouvernement des plus faibles par les plus forts est un fait brutal, une des manifestations de la loi de nature de la lutte pour la vie ; le droit a toujours essayé de réagir contre ce fait et de créer des contrepoids. Sa plus belle création à ce point de vue est la notion de l’État. » Précis de droit administratif, éd. 1893. Dionisio ANZILOTTI (1867-1950) : « Le développement naturel des agrégats humains a pour résultat la formation de groupes sociaux établis à demeure sur un territoire donné et soumis à l’autorité d’un pouvoir unitaire ; ces groupes se posent les uns à l’égard des autres comme complétement indépendants entre eux et comme n’étant pas soumis à une 5 puissance commune. C’est à ces groupes que nous donnons le nom d’États. » Cours de droit international, Sirey, 1929, p. 42. Double intérêt de l’État : 1) l’existence d’un État témoigne qu’une collectivité a pu se déployer sur un territoire donné pour qu’un ordre interne existe et régule les tensions et conflits inhérents à la vie en société ; 2) l’existence de plusieurs États œuvre à une certaine stabilité des RI en formant une sorte de sté identifiée et gouvernée par des principes inhérents au statut même de souverain (par ex. le principe de non-ingérence, ou encore celui de l’égalité entre État…). = L’existence de l’État est donc, a minima, une garantie contre le chaos global. État = acteur privilégié des RI : leur nombre a quadruplé depuis la 2WW (décolonisation, démantèlement de l’URSS, la partition de la Tchécoslovaquie, implosion de la Yougoslavie…). Au XXIe s. encore : indépendance du Monténégro illustre ce phénomène de prolifération étatique qui mène parfois à l’avènement d’États artificiels non viables. Autre ex. : référendum du 9 au 15 janvier 2011 : les Sud-Soudanais ont voté à 98,83% pour l’indépendance = naissance en juillet 2011 du 54e État d’Afrique. Gde diversité du phénomène : depuis les micro-États comme l’île de Nauru dans le Pacifique (21 km2) à la superpuissance dont les États-Unis sont le modèle-type avec 9 300 000 km2. Nous envisagerons donc, dans une première section, l’État de manière statique et théorique avant d’aborder ce phénomène de manière dynamique et historique. SECTION 1. THEORIE GENERALE DE L’ÉTAT EN DROIT INTERNATIONAL (DIMENSION STATIQUE) I. Les éléments constitutifs de l’État Pour définir l’État, il convient de recenser très classiquement ses différents critères d’identification qui ont été établis par la convention de Montevideo sur les droits et devoirs des États adoptée en 1933 à l’occasion de la 7e Conférence internationale des États américains : art. 1er : « L’État comme personne de droit international doit réunir les conditions suivantes : 1) Population permanente ; 2) Territoire déterminé ; 3) Gouvernement ; 4) Capacité d’entrer en relations avec les autres États. » 6 Cette définition canonique est régulièrement rappelée, par ex. l’Avis du 29 novembre 1991 de la Commission d’arbitrage pour la Yougoslavie : « L’État est communément défini comme une collectivité qui se compose d’un territoire et d’une population soumis à un pouvoir politique organisé. » = Définition issue de l’observation empirique = phénomène qui relève de l’expérience. D’où problème de l’interprétation subjective de ces conditions : les conclusions peuvent diverger (si État ou non) suivant les intérêts de chacun : ex. l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud sont-elles des entités souveraines ou des provinces de la Géorgie ? Néanmoins, ce n’est pas la reconnaissance d’un État qui conditionne son existence juridique, tout au plus conditionne-t-elle son existence politique. A. Le territoire et ses frontières Pdt lgtps, le monde était divisé entre d’une part les espaces « vierges », les terra nullius comme les qualifiaient les Romains, càd les terres susceptibles d’appropriation, et d’autre par les espaces soumis à la juridiction d’un maître. Aujourd’hui, à l’exception de la haute mer, la totalité de la surface du globe est soit sous l’emprise d’un État soit sous administration collective (ex. Condominium : l’Île des Faisans au Pays Basque, sur la rivière de la Bidassoa près d’Hendaye, est administrée alternativement par la France et l’Espagne, six mois chacun depuis le Traité des Pyrénées de 1659 ; autre exemple protectorat, tutelle internationale…). Il existe aujourd’hui 250 000 km de frontières internationales terrestres ; le monde est divisé par 700 frontières interétatiques. L’ère des conflits territoriaux est loin d’être close et il arrive encore fréquemment que des portions territoriales soient réclamées par plusieurs États ; en témoigne la cinquantaine de conflits frontaliers qui perdurent aujourd’hui. La volonté de l’État de s’assurer un territoire le plus important et le plus stable possible s’explique par le fait que le territoire est l’assise spatiale des compétences de l’État ; il délimite sa zone de souveraineté exclusive. Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 relève ainsi qu’une frontière internationale « est la ligne formée par la succession de points extrêmes du domaine de validité spatial des normes de l’ordre juridique d’un État. La délimitation du domaine de validité spatial de 1’Etat peut concerner la surface terrestre, les eaux fluviales ou lacustres, la mer, le sous-sol ou l’atmosphère. Dans tous les cas, le but des traités est le même : déterminer d’une manière stable et permanente le domaine de validité spatial des normes juridiques de l’Etat. D’un point de vue juridique il n’existe aucune raison d’établir des régimes différents selon l’élément matériel où la limite est fixée. » (Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, Délimitation de la frontière maritime entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, RSA, Vol. XX, p. 144). Cela explique le comportement très revendicatif des États que G. Scelle appelait « l’obsession territoriale » de l’État, 7 qui conduit les États à rechercher toujours davantage de territoire et à le délimiter le plus précisément possible. a. Le territoire Maurice HAURIOU : l’État est un « phénomène essentiellement spatial ». Il ne peut y avoir d’État sans territoire. Composé de 3 éléments : - Territoire terrestre : comprend le sol et le sous-sol ; - L’espace maritime : eaux intérieures (embouchures des fleuves, baies, ports et rades) + mer territoriale (= zone maritime adjacente aux eaux intérieures sur laquelle s’exerce sans partage la souveraineté de l’État. Art. 2 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 : « cette souveraineté s’étend à l’espace aérien au-dessus de la mer territoriale, ainsi qu’au fond de cette mer et à son sous-sol ». Toutefois, la souveraineté de l’État riverain est limitée par un droit de passage inoffensif des navires étrangers (cf. art. 19 Convention sur le droit de la mer dite de Montego Bay du 10 décembre 1982), qu’il s’agisse de navires de commerce ou de navires de guerre. Largeur de la mer territoriale = 12 milles nautiques (soit 22, 2 km) à partir des lignes de base établies conformément à la CMB (art. 3). Plusieurs espaces maritimes échappent à la souveraineté de l’État côtier : le plateau continental, la zone contigüe et la zone économique exclusive (ZEE). Plateau continental : « comprend les fonds marins et leur sous-sol, au-delà de sa mer territoriale, sur tte l’étendue du prolongement de la marge continentale » (Art. 76) ; Art. 77 : reconnait les dts souverains de l’État côtier pour procéder à l’exploitation des ressources du plateau continental. Zone contigüe à la mer territoriale : peut aller jusqu’à 24 milles nautiques à partir de la ligne de base. Art. 33 : autorise les États à y exercer le contrôle nécessaire afin de prévenir ou de réprimer les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d’immigrations sur son territoire ou dans sa mer territoriale. La ZEE : peut s’étendre jusqu’à 200 milles nautiques (370, 4 km) de la ligne de base : l’’Etat va exploiter à titre exclusif les ressources économiques. Mais le régime juridique de cette zone (cf. 5e partie de la CMB), n’est pas celui d’une zone de pleine souveraineté car tout État bénéficie sur cet espace de liberté étendue. Art. 58 : il s’agit « des libertés de navigation et de survol et de la liberté de poser des câbles et pipeline sous-marins ». Art. 56 : reconnaît aux États une juridiction (« compétences ») concernant l’installation d’ouvrage, la recherche scientifique maritime, la protection et la préservation du milieu marin. 8 CIJ : arrêt du 24 février 1982 : la ZEE « fait partie du droit international moderne ». Cette zone, dont l’existence est consacrée par CMB, était une revendication essentielle des pays du tiers-monde. - L’espace aérien : espace atmosphérique qui couvre le territoire terrestre et maritime ; soumis à la souveraineté absolue de l’État (Convention de Chicago du 7 décembre 1944 : art. 1er : « Les États contractants reconnaissent que chaque État a la souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien au-dessus de son territoire. ») : il est libre d’autoriser, interdire, réglementer le survol de son territoire. Seules limitations à la souveraineté : conventions et compétences de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Espace extra-atmosphérique : échappe, comme la haute mer, à toute souveraineté étatique. Art. 2 du traité du 27 janvier 1967 sur l’espace extra-atmosphérique stipule que « l’espace extra-atmosphérique y compris la lune et les autres corps célestes ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté ni par voie d’utilisation, ni d’occupation, ni par aucun autre moyen. » b. La notion de frontière Territoire : délimité par des frontières naturelles ou artificielles. Frontière = lieu de ruptures et d’exclusions tout autant qu’un lieu de rencontres et d’échanges ; incarne la différence entre le dedans et le dehors. Frontières = produit du passé (« du temps inscrit dans l’espace » selon la formule du géographe et diplomate Michel Foucher). Les États nouveaux, nés de la décolonisation, ont maintenu les limites territoriales tracées arbitrairement par les anciens colons. Principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation a été consacré par la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dès sa première session au Caire en 1964. L’AG de l’ONU l’a également posée dans sa résolution 2625. CIJ : soutient ce principe encore appelé de l’uti possidetis iuris (voir droit romain : Gaius, Institutes, IV, 148 : interdit pour mettre fin à un conflit en deux parties à propos de la possession d’un immeuble) : arrêt du 22 décembre 1986 dans l’affaire du différend frontalier entre le Burkina Faso et la République du Mali : la CIJ souligne que l’intangibilité des frontières est un principe destiné à « éviter que l’indépendance et la stabilité des nouveaux États ne soient mises en danger par des luttes fratricides nées de la contestation des frontières à la suite du retrait de la puissance administrative. » Ce principe a aussi été appliqué lors de la dissolution de l’URSS. À défaut de règlement juridictionnel, certains conflits frontaliers dégénèrent en conflit armés à l’exemple de celui qui opposa la Libye et le Tchad à propos de la bande d’Aouzuou. La CIJ confirma cpd la souveraineté du Tchad sur ce territoire en 1993. De la même manière, le continent sud-américains 9 a connu de nombreux conflits frontaliers depuis le XIXe s. À la suite de ces conflits la majorité des frontières ont été redessinées ; à chaque fois l’accès à la mer et les richesses du sous-sol ont été les principaux enjeux. Par ex. : conflit entre Pérou et Equateur à propos de la Cordillère du Condor, un territoire de 340 km2 situé dans la forêt amazonienne. Un accord de paix a été signé le 28 octobre 1998 après trois années de négociation grâce à la médiation des États-Unis, du Chili, de l’Argentine et du Brésil. Cet accord est entériné par un accord historique en mai 1999 qui met fin à un conflit qui a duré plus d’un siècle et demi. De même, le 15 mars 2021, un accord diplomatique met un terme à un différend de plus d’un siècle entre la France et le Suriname à propos du tracé de la frontière de la Guyane française. Notons encore : conflit entre l’Éthiopie et son ancienne province l’Érythrée, indépendante depuis 1993, qui a commencé en 1998. Conflit très meurtrier (800 000 morts). 18 juin 2000 à Alger : les 2 États signent un accord de cessez-le-feu, ouvrant la voie à un déploiement de casques bleus de l’ONU. Le 13 avril 2002, la CIJ rend un arrêt au sujet du tracé de la frontière et retient une ligne de partage qui constitue un compromis entre les prétentions territoriale des 2 États. De même, après 6 ans de procédure, la CIJ met fin, le 27 janvier 2014, à un litige frontalier entre le Chili et le Pérou avec l’attribution à ce dernier d’une zone maritime riche en ressources halieutiques. Comme l’OUA, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe a cherché à faire prévaloir le principe de l’intangibilité des frontières. Le processus d’Helsinki lancé en 1973, à l’époque de la Guerre froide, s’était efforcé d’organiser la paix en Europe sur la base des principes de l’inviolabilité des frontières et de l’intégrité territoriale des États. La « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » adoptée le 21 novembre 1990, qui jette les bases de l’après guerres froide en Europe, est venue confirmer les deux gds principes. Ces principes essentiels ont été mis en cause avec l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 puis par son invasion en février 2022. B. La population a. Généralité État : il faut une population que l’histoire peut transformer en peuple par le partage d’une langue, de valeurs, d’une culture… État = être en nom collectif, il ne peut exister sans sujets soumis à son autorité, sans un groupe qu’il administre librement sous réserve des obligations internationales qu’il aurait consenti. Cette population peut ne pas être homogène ni même composée d’un nombre min. d’individus. Il suffit qu’un groupe soit sédentarisé sur un espace donné. Sur le plan quantitatif : la Terre compte près de 8 milliards d’individus (contre 1 milliard il y a deux siècles) et peut-être près de 10 milliards 10 d’ici une cinquantaine d’années. Diversité des situations : Chine et Inde ont respectivement 1, 4 milliards d’individus alors que le Vatican en compte moins d’un millier. Plan qualitatif : il existe des États multinationaux (ex. Belgique ou Inde) qui sont souvent organisés de manière fédérale afin que chaque nation puisse être impliquée dans l’organisation des pouvoirs. Le tps des grands empires, comme l’Empire austro-hongrois ou les empires coloniaux, qui rassemblaient par la force différentes nations semble révolu. Le cas des États sans nation est également plus rare (à l’origine, l’État français s’est constitué sans que ne lui corresponde une nation particulière). En revanche il demeure quelques nations sans État (Kurdes fragmentés sur plusieurs espaces (Iran, Turquie, Irak, Syrie) et qui peine à former le sien au regard du chaos qui règne aujourd’hui dans la région). b. La nationalité Composition de la population = tous les ressortissants + tous les étrangers se trouvant sur son territoire et quels que soit leurs statuts. Chaque État est libre de déterminer les conditions suivant les principes du droit du sol (ius soli) ou du droit du sang (ius sanguinis) ou, le plus souvent, dans un mixte des deux principes. La nationalité peut aussi s’acquérir suivant d’autres principes (mariage, résidence régulière sur le territoire…). Lien national constitue un titre de compétence personnelle pour l’État dont l’exercice varie selon que l’individu se trouve ou non sous sa juridiction. Même à l’étranger, le ressortissant d’un État peut se voir imposer des obligations par celui-ci sur le plan fiscal, militaire ou autres. Un État peut également accorder sa protection diplomatique et engager la responsabilité internationale d’un autre État auquel il imputerait des actes préjudiciables pour son ressortissant et contraires à des engagements internationaux. Dans tous les cas, la nationalité doit reposer sur un rattachement réel entre l’individu qui en bénéficie et l’État qui l’octroie (cf. CIJ, Affaire Nottebohm, arrêt du 6 avril 1955). Cas d’apatridie : situations dans lesquelles aucun État ne souhaite reconnaître un individu comme son ressortissant. Il a fallu attendre 1954 pour qu’un instrument protège ceux qui se trouvent sans rattachement étatique = convention relative au statut des apatrides (96 États parties en 2023). Il n’en demeure pas moins que les apatrides qui se trouvent sur le territoire d’un État font aussi partie de sa population. Et, en vertu du DIP, l’État d’accueil doit aux étrangers présents sur son territoire, sinon placés sous sa juridiction, une protection, un standard minimum de traitement juste et équitable ainsi que l’a souligné la Commission mixte États-Unis-Mexique dans une sentence de 1926 (Neer, cf. recueil des sentences arbitrales, vol. IV, p. 60). 11 C. Le gouvernement politique Pas d’État sans un gvmt entendu au sens de l’organisation politique qui englobe l’ensemble des pouvoirs publics. Par gvmt : il faut entendre l’ensemble de l’appareil administratif qui assure les fonctions traditionnelles d’autorité dans la direction d’un groupe (fixation des normes de comportement, règlement des différends, représentation auprès d’autrui…). La désignation du gouvernement politique comme élément constitutif de l’État a été clairement rappelée par la CIJ en 1975 à propos du Sahara occidental, annexé par le Maroc et dont l’indépendance est revendiquée par le Front Polisario, mouvement de libération nationale. La Cour insiste sur la nécessité des pouvoirs publics pour constituer un État, sur le contrôle que le pouvoir politique doit exercer tant sur le territoire que sur la population. En l’occurrence, l’Assemblée générale des Nations Unies avait demandé à la CIJ si le peuple sahraoui pouvait revendiquer l’utilisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui lui permettrait de choisir entre rejoindre le Maroc et l’indépendance ; il s’agissait pour l’AG de demander un avis consultatif utile pour pouvoir exercer ses fonctions relatives à la décolonisation du territoire. Derrière cette question, un litige oppose plusieurs États : le Maroc qui a annexé le Sahara occidental et l’Algérie qui soutient l’indépendance du Sahara occidental pour laquelle se bat le Front Polisario. Selon la Cour, ne constatant aucun lien de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental et le Maroc (ou l’ensemble mauritanien), l’usage du droit à l’auto-détermination est tout à fait légal ; la Cour rappelle en effet la nécessité des pouvoirs publics pour constituer un État, et l’exercice d’une activité étatique effective et exclusive, que ne peut revendiquer le Maroc en l’espèce (CIJ, avis consultatif, 16 octobre 1975, Sahara occidental, p. 12). La forme de gouvernement n’est quant à elle nullement imposée. Le DIP ne s’intéresse ni à la forme du gvmt ni à son appellation (le nom gvmt désigne ici un genre et non une espèce). Résolution 2131 (XX, 1965) de même que la Résolution 2625 (XXVe session, 1970) de l’assemblée générale des NU a rappelé que « tout État a la dt inaliénable de choisir son système politique […] sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État ». En somme, peu importe que le régime soit fédéral ou unitaire, monarchique ou républicain, libéral ou autoritaire bien que plusieurs résolutions de l’ONU encouragent les régimes libéraux et le principe des « élections périodiques et honnêtes » ; de même que Boutros Boutros-Ghali (ancien secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996), dans son discours d’ouverture de la Conférence mondiale des 12 droits de l’homme de Vienne en 1993 ; cpdt, la qualité d’État ne peut être refusée au motif que cet État serait autoritaire. Le gouvernement suppose néanmoins d’être exclusif et effectif. On retrouve parfois ces exigences écrites lorsqu’il s’agit pour un État d’en reconnaître un autre ou bien son gouvernement nouvellement installé : ce fut le cas lors de la reconnaissance du gouvernement chinois de Mao Tsé-toung par le Royaume-Uni le 6 janvier 1950 par le biais d’une note diplomatique : « j’ai l’honneur d’informer votre excellence que le gouvernement de Sa Majesté, ayant noté que le gouvernement chinois détient actuellement le contrôle effectif de la très grande partie du territoire de la Chine, a aujourd’hui reconnu ce gouvernement comme le gouvernement de droit de la Chine ». La Chine d’avant Mao Tsé-toung était dirigée par Tchang Kaï-chek alors très contesté : alliés durant la guerre contre le Japon, les deux hommes se séparent après la victoire en 1945 ; la guerre civile éclate alors entre les communistes et les nationalistes. Mao Tsé-toung, dirigeant les premiers, reconquiert la Chine continentale et devient président de la République populaire de Chine en 1954, tandis que Tchang Kaï-chek, à la tête des seconds, se replie à Taïwan en 1949. Le 27 janvier 1964, la France et la Chine annoncent dans un communiqué qu’elles établissent des relations diplomatiques, et échangeront des ambassadeurs sous trois mois. Dans une conférence de presse du 31 janvier, de Gaulle déclare : « Du fait que depuis quinze ans, la Chine presque toute entière est rassemblée sous un gouvernement qui lui applique sa loi et, qu’au dehors, elle se manifeste comme une puissance souveraine et indépendante, […] le poids de l’évidence et celui de la raison grandissant jour après jour, la République française a jugé, pour sa part, le moment venu de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique. » La portée internationale de cet acte est importante. Si la France n’est pas le premier pays occidental à reconnaître la République Populaire de Chine, la reconnaissance britannique de 1950 n’avait donné lieu qu’à l’échange de chargés d’affaires et la Suisse, les Pays-Bas et les pays nordiques, sauf l’Islande n’avaient pas le même poids sur la scène internationale. La décision française provoque le mécontentement des Etats-Unis, qui considèrent cette décision comme une provocation de plus de la part de de Gaulle Le critère d’effectivité suppose que l’État doit être en capacité d’assurer un minimum d’ordre et de sécurité. Il désigne la réalité du pv de contrôle dont l’État doit disposer à l’égard des personnes et des biens qui se trouvent dans l’espace sur lequel il exerce sa compétence (compétence territoriale en l’espèce). 13 Dans certaine situation (guerres civiles, luttes indépendantistes…), l’État peut en effet perdre le contrôle effectif sur des portions de son territoire, à telle enseigne que l’on peine à désigner leur « gouvernement ». C’est le cas des États faillis ou défaillants, on trouve également dans la littérature doctrinale les noms de « quasi-État » et « d’État effondré », à l’exemple de la Libye où coexistent actuellement deux centres de pouvoirs, à Tripoli et à Tobrouk. Notons que depuis 2005, l’association « Fund for Peace » et le magazine Foreign Policy publient chaque année un classement des États faillis. En 2022, c’est le Yémen et la Somalie qui arrivaient en tête de ce classement. II. L’égalité souveraine des États : principe fondamental du DIP L’État n’est pas la seule collectivité humaine qui peut se targuer de disposer d’une population, d’un territoire et d’un pouvoir politique. À côté de lui ou même dans son sein d’autres collectivités autonomes peuvent revendiquer les mêmes caractéristiques. Or il n’est pas douteux que celles-ci n’ont pas la même place que lui en tant que sujets du droit international. Ne mériteront la qualification d’État que les collectivités présentant le caractère unique d’être souveraines. Le mot souveraineté est un terme purement français qui n’a pas d’équivalent dans les autres langues. Il est né de la lutte entreprise au MA par la royauté française pour établir son indépendance externe vis- à-vis du Saint-Empire romain germanique et de la Papauté comme aussi sa supériorité interne vis- à-vis des puissances féodales : par exemple, Établissements de saint Louis (XIIIe s.) : « li rois qui est souverains es choses temporiex » (éd. Viollet, t. 2, p. 370). Déf° et trad° du concept de « souveraineté » : - D., 1, 3, 31 Ulpien : Princeps legibus solutus [libre] est = « le Prince est délié des lois » ; ab solutus : délié = libre ; Bodin s’en réfère à la plenitudine potestatis des Papes ; - Bodin, Les six livres de la République, éd. 1583, p. 122 « La souveraineté est la puissance absolue & perpétuelle d’une République. Il est ici besoin de former la définition de souveraineté parce qu’il n’y a ni jurisconsulte, ni philosophe politique qui l’ait définie » ; 124 « La souveraineté n’est limitée ni en puissance, ni en charge, ni à certain temps » ; « est absolument souverain celui qui ne reconnait rien plus grand que soi après Dieu » ; 125 la souveraineté est perpétuelle parce que le peuple ne meurt pas ; version latine : souveraineté = summa potestas ; - Loyseau, Des seigneuries, 1608, Œuvres, p. 8 : il rapporte l’expression latine de « suprema potestas » ; « La souveraineté est du tout inséparable de l’État, duquel si elle estoit ostée ce ne seroit plus un Estat. La souveraineté est la forme qui donne l’estre à l’Estat, mesme l’Estat & la Souveraineté prise in concreto sont synonymes. Elle consiste en puissance 14 absolue, c’est-à-dire parfaite et entière en tout point & par conséquent elle est sans degré de supériorité » ; - Le Bret, De la souveraineté du roi, p. 1 : Souveraineté = « suprême et perpétuelle puissance qui donne le droit de commander absolument » ; 3 : « On ne doit attribuer le nom & la qualité d’une souveraineté parfaite & accomplie qu’à celles qui ne dépendent que de Dieu seul & qui ne sont sujettes qu’à ses loix. » ; 4 : « Nos rois ne tenans leur Sceptre que de Dieu seul, n’étans obligés de rendre aucune soumission à pas une puissance de la terre, & jouissans de tous les droits que l’on attribue à la Souveraineté parfaite & absolue, qu’ils sont pleinement Souverains dans leur Roïaume » ; - Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, 1920, t. 1, p. 70 : « La souveraineté, c’est le caractère suprême d’un pouvoir : suprême, en ce que ce pouvoir n’en admet aucun autre ni au-dessus de lui, ni en concurrence avec lui. » Définition interne et externe : externe : « indépendance vis-à-vis des États étrangers » ; « puissance suprême, en ce sens que sa puissance est dégagée de toute sujétion ou limitation envers une puissance extérieure » ; csqces = les États « sont respectivement égaux les uns aux autres, sans qu’aucun d’eux puisse prétendre juridiquement à une supériorité ou autorité quelconque sur aucun autre État » ; « Le mot souveraineté est donc au fond synonyme d’indépendance » = portée tte négative ; « Notion unique d’un pouvoir qui n’en connait aucun autre au-dessus de lui. » ; « La souveraineté c’est la négation de toute entrave ou subordination. » ; - Juge Dionisio Anzilotti, Opinion personnelle sous un avis de la Cour permanente de Justice internationale rendu en 1931 dans l’affaire du Régime douanier entre l’Allemagne et l’Autriche : « l’indépendance de l’Autriche n’est autre chose que l’existence de l’Autriche, dans les frontières fixées par le Traité de Saint-Germain, comme État séparé et non soumis à l’autorité d’aucun autre État ou groupe d’États. L’indépendance ainsi comprise n’est, au fond, que la condition normale des États d’après le droit international : elle peut être aussi bien qualifiée comme souveraineté (suprema postestas) ou souveraineté extérieure, si l’on entend par cela que l’État n’a au-dessus de soi aucune autre autorité, si ce n’est celle du droit international ». ; - Julien Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, Doma-Montchrétien, 1947 : « Cette souveraineté en quoi consiste la puissance de l’État […] a un double aspect : la souveraineté externe, c’est-à-dire l’absence de toute subordination vis-à-vis des gouvernements étrangers […] et la souveraineté interne, consistant en ce que par rapport aux groupements 15 ou aux individus établis sur son territoire, l’État possède une autorité libre qu’aucune autre puissance ne restreint ou conditionne. » ; - Dictionnaire de droit international public, dir. J. Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.1045 : Notion qui, dans l’ordre interne, exprime la puissance suprême (suprema potestas) de gouverner, de commander et de décider et qui, liée à l’apparition de l’État moderne, est inséparable de celui-ci. Dans l’ordre international, caractère de l’État signifiant qu’il n’est soumis à aucun autre pouvoir de même nature ». L’État = personne souveraine = singularité absolue par rapport aux autres sujets du DIP. Souveraineté = le plus niveau de degré de la puissance et de libertés légales (càd reconnues par l’ordre juridique qui les consacre). Cette définition prend un sens différent en droit interne et en droit international. Ordre interne : définition relative aux autres puissances : la souveraineté est le plus degré de puissance. Les êtres sur qui s’exerce la puissance étatique sont des « sujets » au sens non pas de personnalité juridique mais en ce qu’ils sont soumis à la puissance de l’État, « assujettis » à son imperium. La puissance suprême de l’État, dans l’ordre interne, se définit ainsi par son contenu positif de plénitude, comme le plus gd degré possible de supériorité de son titulaire sur ceux qui lui sont soumis. Ordre externe : État souverain signifie qu’on ne trouve au-dessus de lui aucune autorité dotée à son égard d’une puissance légale : souveraineté internationale de l’État, càd sa liberté, se définit négativement comme la non-soumission à une autorité supérieure, le fait de n’être sujet (au sens d’assujetti) à aucun sujet (au sens de personne juridique). La souveraineté internationale ne comporte donc en elle-même aucun pouvoir. Souveraineté = indépendance qui est une des conditions d’apparition de l’État sur la scène internationale ; cpd : indépendance relève du fait alors que la souveraineté relève du droit ; souveraineté = formalisation légale d’une indépendance de fait A. La plénitude de puissance légale 1. Le principe de l’égalité souveraine des États Corollaire immédiat de la souveraineté internationale = l’égalité des États : si tous sont souverains, aucun ne peut être le sujet (assujetti) d’un autre ; souverainement égaux, ou également souverains, les États sont mutuellement dans une situation de parité légale. Bien entendu cette parité n’exclut pas des inégalités de fait, de situation ou de puissance, et signifie seulement qu’elles sont sans pertinence légale, comme elles le sont en droit interne entre les sujets égaux de l’État = parité formelle et non substantielle. 16 Le principe de l’égalité souveraine des États est présenté comme le fondement de la coopération internationale des États dans l’article 2, §1, de la Charte des Nations unies : « L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses Membres. » ; CIJ, arrêt du 3 février 2012 sur les Immunités juridictionnelles de l’État affirme, dans son § 57, que le principe de « l’égalité souveraine » est « l’un des principes fondamentaux de l’ordre juridique international ». Principe développé dans la déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États (résolution 2625 (XXV) de l’AGNU) : « L’égalité souveraine comprend les éléments suivants : a) Les États sont juridiquement égaux ; b) Chaque État jouit des droits inhérents à la pleine souveraineté ; c) Chaque État a le devoir de respecter la personnalité des autres États ; d) L’intégrité territoriale et l’indépendance de l’État politique de l’État sont inviolables ; e) Chaque État a le droit de choisir et de développer librement son système politique, social, économique et culturel ; f) Chaque État a le devoir de s’acquitter pleinement et de bonne foi de ses obligations internationales et de vivre en paix avec les autres États. » Le principe de l’égalité souveraine des États est repris dans toutes les chartes des org° régionales, qu’elles soient de coopération ou d’intégration. Par ex. art. 4, § 2, du Traité de l’Union européenne (TUE) : « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. » Acte final de la Conférence d’Helsinki (conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, CSCE, 1er août 1975) : Premier pt : « Les Etats participants respectent mutuellement leur égalité souveraine et leur individualité ainsi que tous les droits inhérents à leur souveraineté et englobés dans celle-ci, y compris, en particulier, le droit de chaque Etat à l’égalité juridique, à l’intégrité territoriale, à la liberté et à l’indépendance politique. Ils respectent aussi le droit de chacun d’entre eux de choisir et de développer librement son système politique, social, économique et culturel ainsi que celui de déterminer ses lois et ses règlements. Dans le cadre du droit international, tous les Etats participants ont des droits et devoirs égaux. Ils respectent le droit de chacun d’entre eux de définir et de conduire à son gré ses relations avec les autres Etats conformément au droit international et dans l’esprit de la présente Déclaration. Ils considèrent que leurs frontières peuvent être modifiées, conformément au droit international, par des moyens pacifiques et par voie d’accord. Ils ont aussi le droit d’appartenir ou de ne pas appartenir à des organisations internationales, d’être partie ou non à des traités bilatéraux ou multilatéraux, y compris le droit d’être partie ou non à des traités d’alliance ; ils ont également le droit à la neutralité. » 17 2. Égalité des droits et des devoirs DIP : réducteur et négateur des différences réelles entre les États : obstacle à tte tentative pour faire consacrer juridiquement une typologie inégalitaire du statut des États (notamment au regard des micro-états qui ne peuvent avoir les mêmes devoirs que les grands) En DIP, la principale implication du principe d’égalité est la réciprocité des dts et avantages : il est universellement admis que l’on peut en déduire le principe de non-discrimination. Réciprocité et non-discrimination sont trop protectrices de la souveraineté pour qu’il soit réaliste d’envisager leur affaiblissement. Plus controversés sont certaines csqces touchant à la participation des États aux institutions politiques internationales sous prétexte de « démocratisation ». Il n’existe pas un dt à participer à tous les traités multilatéraux : modulation du principe de réciprocité des avantages. À défaut de statut différencié, il existe des régimes différenciés d’exercice des droits et obligations internationaux des États Égalité souveraine peut conduire à négliger les inégalités concrètes entre États. Sous la pression des pays, du tiers monde, désormais qualifiés de Sud global, principales victimes du statu quo, le DIP tend à suivre la même évolution que celle observée dans les ordres juridiques internes développée aux XIXe et XXe s. : il y est introduit, non sans difficultés, des éléments de correction des handicaps naturels ou historiques, pour permettre à tous les États de tirer un profit réel de l’égalité juridique. Cf. Charte des droits et devoirs économiques des États adoptée par la résolution 3281 (XXIX) de l’ONU en décembre 1974. Pour certains États cpd, il s’agit là d’une négation de l’idée d’un rapport direct et nécessaire entre l’égalité et la réciprocité. Par ex. : difficultés de consécration du principe de responsabilité communes mais différenciées, notamment, en droit de l’environnement : les considérations d’éthiques ne devraient pas influer sur la portée des règles juridiques communes. Cpd, l’abandon de la réciprocité stricte n’est pas une atteinte au principe d’égalité qui n’a jms eu pour corolaire l’uniformité des obligations : la théorie de l’inégalité compensatrice peut être considérée comme une application plus réaliste et plus exacte de l’égalité entre sujets de droit dans des situations différentes. 3. Autolimitation des États Souveraineté = exclut la soumission de l’État à l’ordre juridique d’un de ses pairs mais est compatible avec la soumission à l’ordre juridique international produit par leur action commune. Autolimitation = concilie souveraineté et obéissance au droit. Autolimitation (ou auto-nomie, au sens littéral) = le fait de n’obéir qu’à des normes qu’on s’est soi- même données ; État autonome = seules sont légalement efficaces (contraignantes) les règles et les 18 situations de droit à l’opposabilité desquelles il a consenti. Cette opposabilité est fondée sur le principe volontariste (pacta sunt servanda) : les règles et situations légales ne lient les États que dans la mesure où ils y consentent, par un acte exprès ou du fait d’un acquiescement tacite. Paradoxe du souverain obéissant : si l’État consent à obéir à une règle ou à une norme particulière qui affecte l’ordre international, comment peut-on à la fois soutenir qu’il est souverain et admettre que, lorsqu’il lie ses futures actions, il renonce vraiment à sa liberté d’agir à sa convenance le moment venu ? Un règlement des conduites ne passe-t-elle pas nécessairement par des règles hétéronomes, càd non produites par leurs destinataires et s’imposant à eux de l’extérieur ? Cf. Ordre juridique interne. En d’autres termes : une autolimitation de l’État souverain peut-elle être sérieusement tenue pour une limitation ? Autonomie contre anomie. Cette interrogation confond deux conceptions de la liberté : la liberté légale au sein d’une sté de droit et la liberté de fait dont jouissent les êtres dans l’état de nature. Anomie : Les membres d’une sté non légalement organisée font ce qu’ils veulent, absolument, dans la limite de leur capacité physique ; leur comportement n’est pas réglé : La tradition civiliste définit en effet la liberté comme la faculté pour chacun de faire ce qui lui plaît jusqu’à ce qu’il en soit empêché par la force ou par le droit (Florentin, D. 1, 5, 4 ; Inst. 1, 3, 1). Dans cet état de nature, les individus ne peuvent pas s’engager pour l’avenir puisqu’un engagement n’a que la valeur que lui confère une règle antérieure et supérieure du type pacta sunt servanda et aucune règle, celle-là pas plus qu’une autre, n’est même concevable au stade anomique où ils se trouvent. Autonomie : La souveraineté se situe à un autre niveau théorique que l’état de nature ou anomique ; notion juridique, elle ne peut apparaître que dans une sté sortie de l’État de nature qui reconnait l’org° juridique des relations entre individus dont les comportements sont désormais réglés ; càd légalement conditionnés a priori. La souveraineté est une institution légale et non donnée de fait. La souveraineté est alors la liberté que se reconnaissent réciproquement les États comme élément du statut qui fait d’eux des sujets de droit, distingués des personnes vivant dans un état de nature : liberté de décider (comme s’imposer des règles dans un domaine qui en était encore exempt) et liberté d’agir à leur convenance dans les limites qu’ils se sont eux-mêmes imposées. Du principe d’autolimitation, on peut inférer la définition même du droit international. Initialement, c’est-à-dire avant de se voir imposer une obligation au-delà de celles qui résultent de son statut, l’État tire de sa souveraineté une autorité suffisante pour agir sans règles ou, s’il le préfère, pour produire seul le droit = droit étatique unilatéral dans son mode d’établissement et discrétionnaire dans sa teneur. Il appartient à chaque État de limiter ultérieurement cette double 19 liberté et le droit international consiste ainsi pour chaque État dans l’ensemble des restrictions qu’il consent à sa liberté primitive. L’autolimitation n’est pas le produit de l’idéalisme mais parce que l’État trouve un intérêt à ce que les autres obéissent aux règles posées en commun et non à des règles étatiques sur lesquelles, à l’exception des siennes, il est sans pouvoir et que le seul moyen d’obtenir que les autres renoncent à leur pouvoir discrétionnaire est de renoncer réciproquement aux mêmes facultés (cf. mars 1970 : Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires : « Considérant les dévastations qu’une guerre nucléaire ferait subir à l’humanité entière et la nécessité qui en résulte de ne ménager aucun effort pour écarter le risque d’une telle guerre et de prendre des mesures en vue de sauvegarder la sécurité des peuples ». Le droit international n’est rien d’autre que la somme de ces renonciations. Distinction entre liberté originaire de l’État (résultant de son statut même et égale pour tous) et les libertés résiduelles. Les libertés résiduelles. Il n’existe aucun domaine qui soit essentiellement de la compétence de l’État ; il appartient à chaque État de décider s’il entend que telle question soit du ressort exclusif de son droit interne ou du dt international, ou qu’ils la règlent conjointement. Néanmoins, dans sa sphère de liberté résiduelle, l’intimité de chaque État est légalement protégée de l’immixtion des tiers par le principe de non-ingérence, qui leur impose une stricte obligation d’abstention. Principe énoncé à multiples reprises : 3e principe de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre États (Rés. 2625 (XXV) du 24 octobre 1970) : retient le « devoir de ne pas intervenir dans les affaires relevant de la compétence nationale d’un État » ; valeur coutumière du principe a été reconnue par CIJ (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, § 202) : « Le principe de non-intervention met en jeu le droit de tout Etat souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure ; bien que les exemples d’atteinte au principe ne soient pas rares, la Cour estime qu’il fait partie intégrante du droit international coutumier. » 4. Principes de non-ingérence et de non-intervention Points communs aux deux principes : - Une définition commune. Au sens large, non-intervention et non-ingérence peuvent se définir de la même manière comme l’interdiction faite à tout État comme corollaire au principe d’égalité souveraine de s’immiscer dans les affaires internes ou externes relevant de la compétence d’un autre État (J. Salmon, Dictionnaire de droit international public, précité). 20 La Cour internationale reprend cette même idée dans l’arrêt de principe sur l’affaire du Détroit de Corfou (Fond, 9 avril 1949, p. 35) quand elle évoque le droit de non-intervention comme étant « le droit de tout État souverain de conduire ses affaires sans ingérence extérieure ». - Le principe de non-intervention / non-ingérence « fait partie du droit international coutumier » (arrêt Détroit de Corfou, 1949, précité), car « il n’est pas difficile de trouver de nombreuses expressions d’une opinio juris sur le principe de non-intervention en droit international coutumier » (CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, fond , 27 juin 1986 , Rec. p. 106 § 202). - Fondement commun = « la règle de l’égalité souveraine des États ». (CIJ, arrêt Détroit de Corfou). Dans l’arrêt Détroit de Corfou, la souveraineté territoriale albanaise avait été violée par la Grande- Bretagne, dont les navires avaient déminé le Détroit « de force ». La Cour qui pourtant condamne l’attitude de l’Albanie fautive pour avoir laissé miner cette voie internationale, refuse de justifier l’attitude britannique au nom de l’égalité entre tous les États, qui serait rompue si on laissait « s’installer une politique de force », « réservée par nature aux États les plus forts », et donc contraire au principe d’égalité des États. Distinction entre les principes de non-intervention et de non-ingérence : - Le principe de non-intervention vise plutôt la souveraineté territoriale de l’État et condamne donc le franchissement des frontières par la voie des armes. La condamnation internationale ayant entouré l’Irak lors de l’invasion du Koweït démontre assez la force du principe. Cependant il correspond à une position « classique », car essentiellement territoriale, en matière de souveraineté. Dans ce sens plus étroit, le principe de non-intervention renvoie donc aussi au principe de non-recours à la force armée, posé par l’article 2 §4 de la Charte des Nations Unies. Ex. On le voit dans l’arrêt Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, §205 : « cet élément de contrainte (...) est particulièrement évident dans le cas d’une intervention utilisant la force ». - Le principe de non-ingérence traduit l’évolution qualitative de la notion de souveraineté. Il prend en compte les aspects économiques et politiques de cette dernière. L’arrêt de principe à cet égard est sans doute celui de la CIJ du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, qui condamne les États-Unis pour avoir soutenu financièrement et matériellement les rebelles au régime politique en place au Nicaragua. La Cour précise : « ce principe interdit à tout État ou groupe d’États d’intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre État 21 (...). L’intervention est illicite quand, (...) elle utilise des éléments de contrainte, particulièrement évidents dans l’emploi de la force soit directement soit indirectement, par le soutien à des activités armées subversives ou terroristes. » Il semble même que certains textes de droit international donnent une interprétation large en y plaçant le refus ou la menace de refus de l’aide au développement économique, employés dans le but d’infléchir la politique d’un État. Cependant, une telle interprétation est réfutée par la plupart des États occidentaux. Il semble donc que l’on doive s’en tenir à une définition plus restreinte. Non-intervention et non-ingérence sont à l’évidence des principes cardinaux du droit international. Ils permettent d’identifier des comportements contraires, dont l’illicéité est évidente. Si intervention et ingérence se distinguent par les moyens mis en œuvre, elles font toutes deux l’objet d’une condamnation ferme par droit international. L’intervention. Le Dictionnaire de droit international (J. Salmon, p. 609) définit l’intervention comme l’acte de force accompli par un État sur le territoire ou dans les espaces relevant de la juridiction d’un autre État. Il semble que la notion d’intervention suppose toujours un aspect matériel et physique contrairement à l’ingérence. L’intervention armée, qui postule plus explicitement encore le recours à la force, peut être directe (pénétration de troupes étrangères) ou indirecte (soutien à des rebelles). Ces différentes modalités d’interventions sont précisées dans la Résolution n° 2625 (XXV) de l’AG des Nations Unies du 24 octobre 1970, « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales entre États ». L’intervention peut aussi être le fait des Nations Unies, si elles tendent à pénétrer la sphère de compétence réservée des États, (Charte, article 2 §7). Cette résolution établit surtout des devoirs d’abstention à la charge des États. Par exemple, « chaque État a le devoir de s’abstenir d’organiser ou d’encourager l’organisation de forces irrégulières ou de bandes armées, notamment de bandes de mercenaires, en vue d’incursions sur le territoire d’un autre État ». Ce devoir est le même pour les Nations Unies : « Aucune disposition de la Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État ». On citera deux exemples d’intervention armée : directe : l’intervention britannique dans l’affaire détroit de Corfou ; 22 indirecte : l’intervention des USA au Nicaragua par le soutien apporté aux rebelles au gouvernement en place. L’ingérence = « immixtion sans titre d’un État ou d’une organisation inter gouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d’un État tiers », M. Bettati, Le droit d’ingérence, O. Jacob, Paris, 1996. Le mot a ici une fonction protectrice de la souveraineté des États. L’ingérence peut donc être d’ordre politique ou économique. On fait parfois appel à la notion d’intervention idéologique, pour qualifier « l’action coercitive tendant plus particulièrement à renverser le gouvernement d’un État qui aurait opté pour une idéologie ou un système politique donné » (Dictionnaire de droit international). Une telle intervention est, au sens strict, une ingérence. Champ d’application : l’ingérence peut être le fait des États comme des organisations internationales. Ex. Résolution de L’AG de Nations Unies n° 3395 (XXX), du 20 novembre 1975 : « L’Assemblée générale, demande à nouveau à tous les États de respecter l’indépendance, l’intégrité territoriale et le non-alignement de la République de Chypre et de s’abstenir des tous les actes et de toutes les interventions contre elle ». On voit ici que l’ingérence représente une notion plus large que l’intervention. Nouvelle problématique : Une question est actuellement posée : celle des comportements hostiles dans le cyberespace et la façon dont le droit international doit les appréhender. La France considère que des attaques conduites à son encontre ou depuis son territoire sont susceptibles de constituer des violations du droit international (F. D., « Pratique française récente en matière de paix et de sécurité internationale dans le cyberespace », RGDIP 2020/1, Chron. des faits internationaux, p. 115). Illicéité des comportements d’intervention ou d’ingérence L’intervention comme l’ingérence sont dans leur principe condamnables car incompatibles avec la Charte qui pose le principe de l’égalité des souverainetés pleines et exclusives. Elles sont relayées toutes deux par des Résolutions de l’AG des Nations Unies dont la n° 2131 XX du 21 décembre 1965 « Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté » reprise souvent (par exemple dans la Résolution du 24 octobre 1970, 2625 XXV, GTDIP n° 5), sans qu’aucune exception n’y soit prévue. Ex. L’arrêt de la CIJ du 27 juin 1986 : Affaire des activités militaires et paramilitaires des États-Unis au Nicaragua, fait explicitement référence à ces deux textes mais a en outre, reconnu aux deux principes valeur coutumière sans référence à la Charte des Nations Unies. 23 Cette attitude tend à donner aux principes une force particulière et un champ d’application le plus large possible. Ces règles sont tellement importantes qu’on leur accorde le statut de jus cogens (càd principes de droits réputés universels et supérieur et devant constituer les bases des normes impératives du DIP). Ainsi, la 1er mars 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a voté à une très large majorité la condamnation du l’intervention russe en Ukraine (voir ONU info, L’Assemblée générale adopte une résolution exigeant le retrait des forces russes de l’Ukraine). Cette intervention a même été qualifiée d’agression, c’est-à-dire comme un « emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies » selon les termes de la Résolution de l’AG de l’ONU (3314) du 14 décembre 1974. En guise de conclusion sur les deux principes de non-ingérence et de non-intervention, il faut signaler une évolution de la doctrine internationaliste depuis une trentaine d’années. Cette inflexion s’appuie sur le fait que les droits de l’homme sont exclus, et de manière indiscutable, du domaine réservé des États. C’est pourquoi certains auteurs et certains États ont proposé de consacrer un devoir ou un droit d’ingérence humanitaire en vertu duquel les États et les ONG seraient fondés à apporter une aide d’urgence aux populations en proie à des catastrophes naturelles ou à des conflits armés. Ce « droit d’ingérence humanitaire » a peiné à s’impose notamment à cause des imprécisions terminologiques, l’ambiguïté des objectifs, l’hésitation de nombreux États face des termes (ingérence ; intervention) qui n’ont pour eux qu’une connotation négative = il n’existe pas de droit pour un État d’imposer une « assistance » humanitaire sur le territoire d’un État étranger. Il n’en va autrement, traditionnellement, que dans deux hypothèses : en cas de conflit armé et dans les limites fixées à l’intervention de la Croix-Rouge par les Conventions de Genève de 1949, et si le Conseil de sécurité des NU, agissant dans le cadre du chapitre 7 de la Charte, constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Ce chapitre 7 est invoqué dans la résolution 819 adoptée à l’unanimité par le CSNU le 16 avril 1993 à propos des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perpétrés par des groupes paramilitaires serbes à l’encontre des bosniaques musulmans en ex-Yougoslavie. Les réactions des NU dans les affaires de Somalie et du Rwanda présentent des caractères semblables. Cpdt, les dispositions prises par les NU se sont avérées inefficaces et elles n’ont suffi à arrêter les massacres, comme celui de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine. Perpétré au mois de juillet 1995 par l’armée de la république serbe de Bosnie, ce massacre fit plus de 8000 victimes hommes et enfants alors que 24 Srebrenica avait été déclarée « zone de sécurité » par l’ONU qui y maintenait une force d’environ 400 Casques bleus néerlandais pdt le massacre. En 2017, les Pays-Bas ont été reconnu partiellement responsables car leurs forces n’ont pas protégé les civils et ont autorisé la séparation des hommes et des femmes, après quoi les hommes ont été exécutés et les femmes expulsées. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ainsi que la CIJ ont à plusieurs reprises qualifié ce massacre de génocide qui est incontestablement le pire massacre commis en Europe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le droit humanitaire s’est affirmé au début des années 2000. Par exemple, l’article 4.h) de l’Acte constitutif de l’Union africaine, adopté le 11 juillet 2000, énonce, parmi les principes de l’Organisation « le droit de l’Union d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité ». L’ONU est restée en retrait par rapport à cette évolution du droit humanitaire. La résolution 60/1 de l’AG prise à l’issue du Sommet mondial de 2005 contient bel et bien 3 articles (138-140) à la « Responsabilité de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ». Cpd, l’intervention de la communauté internationale n’est prévue qu’en cas de manquement manifeste d’un État à son obligation de protéger sa population de ces crimes, et les moyens d’action collective se limitent, au-delà de l’aspect préventif et de l’assistance, à un renvoi aux procédures des chapitres 6 et 7 de la Charte, avec leurs limites inhérentes. La multiplication ces dernières années des crises humanitaires, ajoutées aux interminables conflits internes ainsi qu’aux échec des NU ont jeté un doute sur la positivité du principe de la responsabilité de protéger ou du moins sur l’existence d’une obligation juridique de réagir, y compris par voie d’intervention armée multilatérale. Mais son discrédit tient toutefois, principalement, au dévoiement du principe dans le cadre de l’action du Conseil de sécurité. En effet, en 2011, le Conseil a autorisé à deux reprises l’usage de la force armée à des fins humanitaires : en Libye d’abord, pour « protéger les populations et les zones civiles menacées » (rés. 1973 (2011)) et en Côte d’Ivoire « pour protéger les civils menacés d’actes de violence physique imminente » (rés. 1975 (2011)). Dans les 2 cas, les interventions ont conduit à un chgmt de régime (la fuite puis le lynchage de Kadhafi, l’arrestation de Gbagbo et sa remise à la CPI qui l’a acquitté en 2019 des accusations de crimes contre l’humanité). = À partir de là, la rhétorique de la responsabilité de protéger a perdu de sa force aux NU. Le consensus des années 2000-2010 s’est avéré éphémère et, à nouveau, la réalité des politiques 25 d’alliance l’a emporté face à l’impératif de protection des populations. La paralysie du Conseil de sécurité dans les conflits syrien et yéménite, ses silences face aux crimes perpétrés contre la population rohingya au Myanmar et ouïghoure en Chine, montrent les limites du principe. En l’état actuel du DIP, il est donc difficile de soutenir que la responsabilité de protéger consacre un droit juridique pour les peuples opprimés, ou les populations victimes d’une catastrophe humanitaire, à être aidés de l’extérieur. Certes, il est désormais admis que l’exercice par la communauté internationale de son devoir de protection de la population, par des moyens licites, n’est pas une intervention illicite dans les affaires intérieures d’un État. Mais cette consécration ne s’accompagne pas de celle d’un droit subjectif à la protection de ces populations. B. Exemptions et immunités En principe, les rapports d’État à État sont régis par le droit international et non par le droit interne de l’un d’eux. Les États étant égaux, ils ne sauraient être soumis aux règles d’un ordre juridique étatique étranger ; c’est ce qu’énonce le principe de droit international coutumier par in parem non habet imperium : un État ne peut pas être soumis à la juridiction d’un autre. Mais les États entretiennent aussi de nombreuses relations avec des particuliers (pour l’exploitation de gisements, la construction d’infrastructures collectives, l’entretien de locaux diplomatiques ou consulaires, etc.), lesquelles sont appréhendées, pour partie au moins, par les ordres juridiques internes. En ce cas, le droit national va devoir s’adapter au statut particulier de l’État afin que soit respectée sa souveraineté. Ces adaptations prennent la forme, soit d’exemptions, soit d’immunités. - Les exemptions Le pouvoir normatif que l’État détient en vertu de ses compétences territoriales implique que les normes de l’ordre juridique interne soient en principe réputées s’appliquer sur le territoire national de l’État qui les a édictées. Quoiqu’il ait été jadis défendu en doctrine sous une forme absolue, ce principe dit de la « territorialité de la loi nationale » paraît aujourd’hui d’application relative. Les causes de ces exemptions. Elles sont de deux ordres. La première, bénéficiant aux États étrangers, résulte de l’application du principe de l’égalité souveraine des États : entre sujets égaux s’applique un droit non produit par la volonté unilatérale de l’un d’entre eux. Une deuxième raison explique qu’à côté des États étrangers, les organisations internationales bénéficient également de telles exemptions. Il s’agit de la nécessité d’assurer l’indépendance fonctionnelle de ces personnes publiques internationales dont la liberté d’action serait entravée si elle demeurait subordonnée à l’exercice des compétences territoriales de l’État de siège. Exemptions bénéficiant aux États et aux organisations, ainsi qu’à leurs agents. 26 a) De manière générale, les lois d’un État sont inapplicables aux autres États et aux organisations internationales dans la mesure où elles impliquent de leur part une subordination à l’égard des autorités publiques du premier. Cette solution est également pertinente pour les agents diplomatiques et consulaires. Ceux-ci bénéficient d’exemptions qui varient en fonction du niveau de responsabilité et du type de fonctions exercées : les exemptions reconnues aux membres des missions consulaires sont moins étendues que celles dont peuvent se prévaloir ceux des missions diplomatiques. Les agents sont en général dispensés du paiement de l’impôt dans l’État d’accueil ; les règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers, au droit du travail et à la sécurité sociale ne leur sont, en principe, pas applicables. Ces exemptions sont fixées par un certain nombre de sources : les règles du droit coutumier codifiées dans les Conventions de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et du 24 avril 1963 sur les relations consulaires ; les accords bilatéraux passés entre l’État accréditant (qui envoie ses agents diplomatiques sur le territoire d’un autre État) et l’État accréditaire. Les forces militaires étrangères en stationnement sur le territoire national demeurent soumises à la compétence de l’État dont elles relèvent. En pratique, le stationnement pacifique de troupes alliées sur le territoire d’un État est très généralement précisé par voie d’accord entre les différentes parties concernées. Les organisations internationales, ne bénéficiant pas elles-mêmes de territoire, sont par la force des choses amenées à exercer leurs activités sur le territoire d’États qui ne sont d’ailleurs pas tous nécessairement membres de ces organisations. Elles bénéficient d’exemptions de la soumission à la loi territoriale. Elles résultent du jeu souvent combiné, d’une part, de conventions multilatérales conclues entre elles et leurs États membres relativement à leurs privilèges et immunités, et, d’autre part, des accords de siège passés avec les États sur le territoire desquels elles sont implantées. Les mêmes traités déterminent également les conditions de l’accès et du séjour comme des activités des agents de ces organisations sur le territoire de l’État concerné. b) Les États étrangers et les organisations internationales déployant leurs activités sur le territoire d’un État possèdent néanmoins la personnalité juridique interne de cet État, en vertu de laquelle ils jouissent de la capacité d’accomplir des actes juridiques ou plus largement de créer toute situation juridique dans les conditions prescrites par ce droit interne. Aussi l’exemption de la subordination à la compétence normative de l’État territorial joue-t‑elle à leur égard de façon sélective. Dans la mesure où les personnes publiques étrangères peuvent bénéficier de l’application du droit interne, elles pourront en faire libre usage. C’est ainsi par exemple que les ambassades étrangères et les organisations internationales passent régulièrement des contrats soumis au droit local pour l’achat ou la location de biens immeubles ou meubles, le recrutement de personnels de service, etc. 27 Exemptions dans les lieux occupés par les services des personnes publiques étrangères. Certains espaces, quoique placés sur le territoire relevant de la compétence d’un État, sont cependant soustraits à celle‑ci parce qu’utilisés pour le libre exercice des compétences souveraines d’un autre État. C’est le cas pour les locaux des missions diplomatiques et consulaires ainsi que pour ceux qui sont affectés à une organisation internationale. C’est également celui des navires de guerre d’un État étranger présent dans les eaux intérieures ou territoriales d’un autre État. C’est enfin celui des bases militaires étrangères, quoique dans une mesure variable suivant les dispositions des accords pertinents. On recourait jadis pour expliquer le statut juridique dérogatoire de tels espaces à la fiction de l’exterritorialité, car les autorités territoriales ne peuvent pénétrer dans ces espaces sans autorisation expresse de l’État dont ils relèvent. Ces exemptions concernent tant la compétence normative que la compétence opérationnelle. L’inviolabilité des locaux diplomatiques est, ainsi, l’une des règles les plus fermement établies du droit international coutumier, aujourd’hui codifiée dans la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Il s’agit d’un privilège important. C’est lui qui depuis des temps immémoriaux a en particulier permis l’exercice de « l’asile diplomatique » et de « l’asile maritime » en application desquels toute personne poursuivie par les autorités territoriales et réfugiée dans les locaux diplomatiques ou à bord d’un navire de guerre d’un État étranger ne pourra être poursuivie. Cette institution doit être distinguée de l’asile territorial qu’un État offre à des ressortissants étrangers poursuivis sur leur propre territoire. L’inviolabilité a, en particulier, permis à Julian Assange, lanceur d’alerte réfugié dans l’ambassade d’Equateur au Royaume-Uni pendant près de sept années (2012‑2019), d’échapper à son extradition vers les États-Unis où il est poursuivi pour avoir divulgué des informations militaires relatives aux opérations américaines en Irak et en Afghanistan. Exemptions de compétences territoriales bénéficiant aux véhicules relevant de la juridiction d’un État étranger. Les navires et aéronefs de guerre d’un État bénéficient d’une exemption quasi absolue et d’une inviolabilité totale en territoire étranger, comme en haute mer et dans les autres espaces maritimes. Le Tribunal international du droit de la mer l’a rappelé le 15 décembre 2012 dans l’affaire de l’Ara Libertad, du nom d’une frégate militaire appartenant à l’Argentine qui avait été immobilisée deux mois auparavant dans le port d’Accra en exécution d’une décision d’une juridiction ghanéenne. Telles exemptions, qui s’expliquent selon le Tribunal parce que « le navire de guerre est l’expression de la souveraineté de l’État dont il bat pavillon », interdisent, en particulier, l’immobilisation du navire et font obstacle à ce que les autorités de l’État du port pénètrent à son bord sans autorisation de l’État d’immatriculation aux fins, notamment, de procéder à son déplacement. Le TIDM l’a de nouveau affirmé dans son ordonnance du 25 mai 2019 sur la demande de mesures conservatoires formulée par l’Ukraine à la suite de l’immobilisation 28 par la Fédération de Russie de trois navires ukrainiens partis du port d’Odessa pour rejoindre la mer d’Azov par le détroit de Kertch : « toute mesure affectant l’immunité des navires de guerre est susceptible de gravement nuire à la dignité et à la souveraineté d’un État et a le potentiel de compromettre sa sécurité nationale ». Les autres navires et aéronefs rattachés à un État par le seul lien de nationalité ou d’immatriculation ne bénéficient en revanche que partiellement d’une exemption des compétences de l’État territorial sur lequel ils se trouvent par suite de leurs déplacements. Les lois territoriales visant la réglementation de la circulation ou le statut civil de ces véhicules ne peuvent en effet pas être écartées. L’exercice des compétences opérationnelles de l’État territorial, sans être interdit par le droit international, est cependant exceptionnel. On constate en particulier que si elle peut être utilisée dans les eaux intérieures à bord des navires étrangers non militaires, la contrainte est en pratique très rarement utilisée par les autorités de l’État riverain. Dans la mer territoriale, les nécessités de la navigation maritime et le respect dû à la règle du passage innocent aboutissent à l’interdiction de toute contrainte à l’égard du navire étranger en mouvement. - Les immunités Fondement des immunités. Parce qu’ils sont souverains et égaux, les États ne sauraient être généralement soumis, sans leur consentement, aux voies de droit d’un État étranger (« par in parem jurisdictio non habet » ) ; ils bénéficient pour cette raison d’immunités qui, comme l’a souligné la Cour internationale de Justice en 2012 (sur les immunités juridictionnelles de l’État), sont indispensables pour la pleine application du principe d’égalité souveraine, quoi qu’elles constituent dans le même temps une limitation de la souveraineté territoriale de l’État devant les juridictions desquels elles sont opposées. Ces immunités sont également nécessaires aux organisations internationales, comme garanties de leur indépendance. Elles sont reconnues à ces entités en tant que telles, ainsi qu’aux agents qui les représentent ou agissent pour leur compte. Nature des immunités. Les immunités sont de deux types : les immunités de juridiction, font obstacle à ce que ces entités soient attraites (traduite) devant des juridictions nationales ; les immunités d’exécution, empêchent que soient engagées sur leurs biens des procédures d’exécution forcée. Immunité de juridiction. Elle est une exception de procédure opposée à la compétence des tribunaux nationaux par un État étranger ou une organisation internationale. Par « État étranger », on comprend, outre la personne étatique elle-même, toute autorité devant être considérée comme un démembrement de l’État, délégataire ou dépositaire des fonctions qu’il entend exercer. 29 Cette immunité de juridiction est largement reconnue dans la pratique. Son champ d’application a toutefois tendu à se restreindre à l’époque contemporaine en ce qui concerne les États du fait de leur implication accrue dans la vie économique, pour la réalisation de laquelle ils agissent à l’instar d’une personne privée, notamment en matière commerciale. Les juridictions internes ont ainsi été amenées à poser une distinction entre les activités des États étrangers sur le territoire national suivant qu’elles s’exercent « de jure imperii » ou « de jure gestionis ». Aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada ou en Australie, cette distinction a été établie par la loi. Seules les activités du premier type bénéficient de l’immunité de juridiction et sont reconnaissables à ce qu’elles sont exercées en application directe des compétences de l’État en tant que souverain, ou, dirait-on en droit interne, dans l’exercice de prérogatives de « puissance publique ». C’est à ce titre en particulier que les activités de l’État lui-même, celles de ses services diplomatiques ou de ses démembrements personnalisés (collectivités territoriales ou établissements publics) peuvent bénéficier de l’immunité de juridiction. En revanche, lorsque l’État agit « de jure gestionis », c’est-à‑dire comme un industriel ou un commerçant et que son activité paraît ainsi relever de la gestion privée, il ne pourra pas se prévaloir de son immunité. Il convient de noter que l’État étranger n’a pas lui-même la maîtrise de la qualification de ses activités « jure gestionis » ou « jure imperii ». Qu’il se réclame lui-même de l’un ou de l’autre, c’est néanmoins au juge interne saisi (le « juge du for ») qu’il appartiendra de vérifier et, éventuellement, de rétablir comme relevant du « jus gestionis », à raison de sa nature ou de son but, une activité dont l’État étranger prétendait pourtant qu’elle entrait dans le cadre d’exercice de ses prérogatives de puissance publique, ceci afin d’écarter la compétence des juridictions internes. Cette règle a été appliquée en France de façon constante depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1984 rendu dans l’affaire République islamique d’Iran c/ Sté Eurodif. Elle a été plus récemment appliquée par la Cour de cassation à propos d’une question de droit à la sécurité sociale soulevée par une ressortissante saoudienne résidant en France à l’encontre de son employeur, qui était l’ambassade d’Arabie Saoudite. La Cour de cassation a retenu que seules les actes qui, par nature ou par finalité, participent « à l’exercice de la souveraineté » sont couverts par l’immunité, alors qu’il s’agissait en l’occurrence d’un simple « acte de gestion administrative ». De façon symétrique, cette liberté de qualification laissée au juge à l’égard de l’activité de l’État étranger existe également, mutatis mutandis, lorsque ce dernier se présente devant les tribunaux du for (qui a été saisi d’une affaire, ou plus généralement la compétence d’un tribunal de pouvoir se saisir d’une affaire) en qualité non plus de défendeur, mais de demandeur. 30 À sa session de Bâle, le 2 septembre 1991, l’Institut de droit international (IDI) a adopté une très intéressante résolution sur « les aspects récents de l’immunité de juridiction et d’exécution des États ». Elle synthétise de façon claire et efficace les tendances générales et les acquis de la pratique, concernant en particulier les critères indicatifs de la compétence des tribunaux de l’État du for à l’égard des États étrangers (art. 2). En revanche, le projet de convention de codification de la matière finalement mis au point par la Commission du droit international en juin 1991 a soulevé de vigoureuses critiques. Celui-ci a néanmoins été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies sous le titre de Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, le 2 décembre 2004. Ce traité n’a pas dissipé les inquiétudes suscitées par le projet initial. En retrait sur les acquis jurisprudentiels et législatifs actuels dans les États économiquement développés, il ne parvient pas à trouver le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité de préserver les prérogatives étatiques liées à la poursuite de l’intérêt général et, d’autre part, l’aspiration des personnes privées à une protection juridique suffisante lorsqu’elles sont engagées dans une transaction, notamment commerciale, avec un État étranger. La convention adopte certes la règle désormais classique de l’immunité restreinte aux activités de puissance publique (« jure imperii »). Mais elle multiplie en réalité les conditions et les critères ayant pour conséquence de redonner à l’immunité de juridiction un champ élargi dont l’extension pourrait de plus varier au gré de l’État défendeur. Trois séries de dispositions ont, en particulier, suscité des oppositions. En premier lieu, les critères d’identification des « transactions commerciales » engagées par l’État avec un partenaire privé et soustraites à l’immunité de juridiction. L’adjonction du critère du « but » poursuivi par l’État à celui de la « nature » du contrat comme éléments de détermination du caractère souverain ou commercial de la transaction en cause pourrait ainsi permettre à l’État poursuivi d’échapper aux poursuites judiciaires : il lui suffirait pour cela d’invoquer la caractéristique publique d’une transaction au motif qu’elle concernerait par exemple les transports, les télécommunications ou la santé. Ce critère du but poursuivi était admis par le législateur américain, mais il était rejeté dans plusieurs autres États, notamment par les tribunaux français. Aujourd’hui, les divergences sont toutefois moins marquées. Dans son arrêt du 20 juin 2003, Madame Naïra X, c/ École saoudienne de Paris et Royaume d’Arabie Saoudite, la Chambre mixte de la Cour de cassation a, en effet, retenu que « les États étrangers et les organismes qui en constituent l’émanation ne bénéficient de l’immunité de juridiction qu’autant que l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de ces États et n’est donc pas un acte de gestion ». En deuxième lieu, rien ne justifie, comme le fait pourtant l’article 10.2 de la Convention, d’exclure de tous procès devant un tribunal national l’ensemble des transactions passées entre États, alors que certaines 31 d’entre elles, comme par exemple la vente de matériel de forage ou de véhicules, peuvent parfaitement n’avoir qu’un caractère commercial. La complexité et les imperfections que comporte le texte adopté en 2004 expliquent que le seuil d’engagements nécessaires pour l’entrée en vigueur du traité de 2004 ne soit toujours pas atteint. Le dépôt de trente instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion est exigé, or en avril 2024 la Convention avait été signée par 28 États et ratifiée par seulement 23 d’entre eux. Une évolution semble poindre toutefois. L’attitude des États développés montre qu’ils ne sont plus si hostiles au texte. En témoigne celle de la France qui a ratifié la Convention le 12 août 2011. Ce changement est encouragé, en outre, par les juridictions internationales qui, à l’instar de la Cour internationale de Justice et de la Cour européenne des droits de l’homme, n’hésitent pas à se référer à la Convention de 2004 comme étant, partiellement au moins, l’expression du droit coutumier en la matière. Il faut néanmoins se garder d’affirmer que toutes les dispositions de ce traité seraient d’ores et déjà l’expression du droit coutumier existant. Ainsi si l’on peut considérer, avec la Cour européenne des droits de l’homme et les cours de cassation française et italienne, que l’article 11 de la Convention relatif aux procédures se rapportant à un contrat de travail reflète bien l’état du droit coutumier, on ne saurait considérer que les critères retenus dans la Convention pour identifier les actes accomplis de jure gestionis le seraient également, comme l’a souligné la Cour de justice fédérale allemande. Les États étrangers et les organisations internationales peuvent renoncer à leur immunité de juridiction. Ils peuvent ester eux-mêmes en justice, c’est-à‑dire recourir aux tribunaux internes, pour obtenir la réalisation des droits qu’ils possèdent en qualité de sujets bénéficiant de la personnalité juridique interne de l’État du for. Mais ils sont alors demandeurs devant les tribunaux internes. Ils peuvent aussi accepter d’être défendeurs devant ces mêmes tribunaux. La renonciation à leur immunité de juridiction ne saurait être présumée. Elle peut en revanche être tacite. Les juridictions internes, françaises notamment, considèrent ainsi que la conclusion d’une convention d’arbitrage emporte renonciation à l’immunité de juridiction. Immunité d’exécution. Il peut y avoir des cas dans lesquels un sujet international, faute d’avoir invoqué en temps utile son immunité de juridiction ou d’avoir pu utilement s’en prévaloir, se trouve exposé à l’application de mesures d’exécution forcée. L’État ou l’organisation internationale concernée auront alors la possibilité d’éviter l’application de ces mesures en excipant de leur immunité d’exécution. Celle-ci consiste dans le fait que les biens qu’ils possèdent ne pourront faire l’objet d’aucune mesure portant atteinte à leurs droits d’en disposer librement. Cette immunité présente à certains égards plus de garanties pour les États que l’immunité de juridiction 32 dans la mesure où, dans une majorité d’entre eux, on ne pratique pas à l’égard de ce type d’immunité la même distinction que celle évoquée ci-dessus entre l’État souverain et l’État commerçant. Elle n’est toutefois pas absolue. Les lois américaine et britannique sur les immunités, respectivement de 1976 et 1978, interdisent les mesures d’exécution forcée sur les biens et avoirs des États étrangers servant de support à leurs actes de puissance publique ; elles les autorisent, en revanche, pour ceux qui sont affectés à une activité commerciale. En France, en application de la jurisprudence Eurodif de 1984, l’immunité d’exécution était exclue lorsque le « bien concerné se rattache, non à l’exercice d’une activité de souveraineté, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ». Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016 « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », dite loi Sapin 2, l’exception à l’immunité d’exécution a été élargie. Il est désormais prévu que des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée peuvent être réalisées sur des biens « spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisé » par l’État étranger concerné « autrement qu’à des fins de service public non commerciales » si cet État « entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée ». Ce critère reprend celui retenu dans l’article 19 de la Convention des Nations Unies de 2004. La Cour de cassation, se fondant de manière contestable sur le droit coutumier international, a considéré qu’il est pertinent, y compris pour des mesures conservatoires pratiquées avant l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2. La Cour internationale de Justice estime, quant à elle, qu’il existe au minimum une condition pour que des mesures de contrainte puissent être prises à l’égard d’un bien appartenant à un État étranger : il convient que ce bien ne soit pas utilisé