Contentieux de l'UE - ENS DEM 2A 2022/2023 PDF

Document Details

ReasonableEpilogue236

Uploaded by ReasonableEpilogue236

ENS

2023

Aliénor de Tappie de Vinssac

Tags

contentieux UE droit européen système juridictionnel UE

Summary

Ce document traite du contentieux de l’UE, définissant les voies de droit et les règles de procédure devant les juridictions de l'Union. Il analyse l'évolution du système juridictionnel, des composantes de la Cour de justice de l’UE et du rôle des juridictions nationales. L'examen couvre des points comme les réglement, les directives et les décisions.

Full Transcript

Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Contentieux de l’UE Définition : le contentieux de l’UE désigne l’ensemble des voies de droit et des règles de procédure qui sont applicables d...

Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Contentieux de l’UE Définition : le contentieux de l’UE désigne l’ensemble des voies de droit et des règles de procédure qui sont applicables devant le juge de l’Union, la Cour de justice de l’Union dans toute ses composantes, aux litiges et situations assimilées où un examen juridictionnel est prévu (Bergeres). Remarques : le terme de voies de droit est utilisé à la place du terme de recours. De fait, toutes les voies de droit, les procédures ne se limitent pas à des recours : il n’y a pas forcément de litige devant le juge de l’Union. Exemples : - Renvoi préjudiciel. - Procédure d’avis (article 218 TFUE), qui permet à la CJUE de contrôler la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités. Deux points doivent donc être déterminés : - D’un point de vue organique : quelles sont les juridictions compétentes ? Qu’est-ce que la Cour de justice de l’Union dans toutes ses composantes ? - D’un point de vue matériel : article 19 TUE : « la Cour de justice assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités ». Le contentieux couvre l’ensemble des situations juridiques dans lesquelles les traités sont appliqués ou interprétés. L’expression « les traités » doit être entendu au sens large, soit non seulement le TUE et le TFUE mais aussi l’ensemble du droit dérivé de l’Union, article 288 TFUE : o Règlement : acte de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans les EM. o Directive : acte individuel (dans le sens où il a des destinataires) qui lie les États quant au résultat à atteindre mais les laisse libre quant aux moyens de mise en œuvre de la directive. o Décision : acte individuel, lorsqu’elle a des destinataires, ou de portée générale, lorsqu’elle n’en a pas. o Recommandations. o Avis. Introduction : Le système juridictionnel de l’UE Exégèse : système : terme très utilisé par la Cour, qui a toujours eu à cœur d’analyser l’UE comme un système, qu’elle a d’ailleurs contribué à créer. Il s’agit d’un ensemble organisé, structuré d’éléments qui lui donne une certaine cohérence. Cette cohérence se construit autour de principes et objectifs communs à ces éléments, inscrits en DUE à l’article 2 TUE. L’UE est ainsi fondée sur l’État de droit : - Soumission de l’État au droit. - Définition de Jean Rau : État dans lequel les normes sont démocratiquement adoptées, hiérarchiquement organisées et judiciairement sanctionnées. Progressivement, l’UE est de fait devenue une communauté de droit, CJCE 23 avril 1986, Les verts c/ PE. La CJCE a qualifié la communauté européenne de communauté de droit en ce que « ni les EM ni les institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes avec la charte constitutionnelle de base qu’est le traité ». La Cour affirme ainsi le principe de légalité. L’article 19 TUE rend tangible, concret, l’État de droit dans l’UE : « la CJ assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités ». La formule est large et donne une grande liberté à la Cour : - La Cour a l’obligation de faire respecter le DUE : elle est ainsi obligée de répondre aux questions préjudicielles. - La Cour doit assurer le respect du droit par tout le monde : les institutions de l’UE (recours en annulation et en carence, recours en responsabilité extracontractuelle, exception d’illégalité, RPAV), les États (RCM, RPAV, RPI) et les personnes physiques et morales (RPI). - La Cour doit assurer le respect du droit pour tout le monde, États comme ressortissants des EM. CJCE 1963, Van Gend en Loos (effet direct du droit communautaire), la Cour reconnaît la création d’un « ordre juridique propre dont les sujets sont non seulement les États mais également leurs ressortissants ». Remarques : les types de recours : - Le recours en annulation : faire annuler un acte adopté par les institutions de l’Union. - Le recours en carence : sanction de l’abstention illégale, en cas d’obligation d’adopter un acte par une institution. - Le recours en réparation : responsabilité extracontractuelle. - L’exception d’illégalité : contestation incidente d’un acte. - Le renvoi préjudiciel en appréciation de validité. - Le recours en constatation de manquement : il permet au juge de l’Union de constater qu’un EM a violé le DUE. - Le renvoi préjudiciel en interprétation. 1 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 SECTION I : La structure du système juridictionnel de l’UE I. L’évolution du système : du système juridictionnel communautaire au système juridictionnel de l’UE Dès 1950, la déclaration Schumann faisait référence expressément à l’existence d’un pouvoir juridictionnel, ce qui est assez cohérent avec l’ambition de départ des communautés, qui était de créer un système institutionnel doté d’un réel pouvoir de décision, autonome des États et qui s’impose à eux. Le pouvoir juridictionnel a alors pour rôle de contrôler le respect du droit, de l’ordre. Un choix de juridiction plus conforme à la pratique en DI aurait très bien pu être fait (système d’arbitrage). Pourtant, dès 1950, une institution spécifique, dotée de réelle pouvoirs, est mise en place : elle est ainsi un élément constitutif du projet d’intégration, dont elle est consubstantielle. A. La Cour et le cadre institutionnel unique prévu par le traité de Maastricht Les choses se complexifient à partir du traité de Maastricht (1992), qui est à la fois fondateur et réformateur. Il fonde ainsi l’UE, basée sur les communautés mais aussi sur les trois piliers. L’UE est alors caractérisée par l’hybridité méthodologique, elle est composite : - D’une part, elle repose sur des éléments d’intégration (les communautés, 1er pilier), à propos desquels la CJ exerce la plénitude de ses compétences. - D’autre part, elle repose sur des piliers fonctionnant davantage sur la coopération intergouvernementale (2ème et 3ème piliers), le juge européen étant alors incompétent. La Cour n’était ainsi compétente que pour les communautés, mais pas les piliers : la distinction des compétences était assez complexe par ce fait. B. Les apports des traités ultérieurs à l’édification d’un système juridictionnel de l’UE Le traité d’Amsterdam (1997) complexifie encore les choses : il communautarise partiellement le 3ème pilier. Ainsi, certains éléments du 3ème pilier sont intégrés au premier pilier fonctionnant sur la méthode communautaire, tandis que la compétence de la Cour est étendue pour les quelques éléments demeurant dans le 3ème pilier. Toutefois, la procédure mise en place pour les contentieux relatifs à ces éléments est spécifique et dérogatoire. Exemple : la procédure de recours en annulation des mandats d’arrêts européens (3ème pilier) est soumise à des conditions spécifiques, dérogatoires. Deux systèmes contentieux coexistent alors : le système communautaire et le système des éléments du 3ème pilier. La PESC (2ème pilier), elle, fonctionnait complètement de façon intergouvernementale et échappait totalement, par conséquent, à la compétence du juge européen. Le traité de Lisbonne (2007) fait disparaître les communautés européennes (sauf la communauté Euratom) et confère par-là même la personnalité juridique à l’UE, celle-ci remplaçant la CEE sur la scène internationale. Il communautarise ainsi l’intégralité du DUE d’un point de vue contentieux, à l’exception de la PESC. La Cour exerce ainsi désormais une compétence de droit commun, sauf pour la PESC (atténuation : elle contrôle tout de même la légalité des mesures restrictives, qui relèvent de la PESC). Enjeu : l’incompétence de la Cour vis-à-vis de la PESC est l’une des raisons pour laquelle la CJUE a refusé l’adhésion de l’UE à la CEDH (CJUE Ass 18 décembre 2014, avis 2/13). De fait, la Cour EDH aurait alors compétence pour les actes PESC – pour lesquels même la CJUE est incompétente – ce qui porterait atteinte à l’autonomie de l’Union. II. Les composantes du système A. La juridiction de l’Union : la Cour de justice de l’UE La Cour de Justice fait partie des institutions de l’UE au sens de l’article 13 TUE et est définie à l’article 19 TUE : « la CJUE comprend la CJ, le tribunal et des tribunaux spécialisés ». Le terme CJ désigne donc : - Au sens large, l’institution, le système en général. - Au sens strict, l’une des composantes de cette institution, la juridiction. 2 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 1. La Cour de justice Chiffres : en 2021 : - 838 affaires introduites devant la Cour et 1113 affaires pendantes (stock d’affaires). - La durée d’attente des procédures est raisonnable : 16 mois environ, ce qui est assez rapide. - Le plus gros de l’activité de la CJ est relatif aux questions préjudicielles (547/838), puis viennent les pourvois. La CJ en tant qu’institution est la manifestation dès le départ d’une communauté de droit. Le choix, dès l’origine était de créer une cour suprême. 2. Le Tribunal Contexte : dans les années 1980, l’extension des compétences de l’Union et l’élargissement des EM entraîne une augmentation du contentieux, ce qui milite en faveur d’une réforme du système. C’est la raison pour laquelle l’Acte unique européen prévoit la possibilité d’adjoindre une juridiction à la Cour : la décision de 1988 du Conseil créé à l’époque le Tribunal de 1ère instance des Communautés européennes (TPICE). Ce tribunal avait une compétence assez limitée : il n’est pas la juridiction de 1ère instance de droit commun et était compétent pour certains types de recours seulement, émanant uniquement de particuliers. Il n’était de plus pas une juridiction à part, en ce qu’il était techniquement adjoint à la Cour, qui restait l’institution principale seule mentionnée par les traités. Il faudra attendre le traité de Nice pour que le tribunal apparaisse dans les traités (article 19 TUE). Il est désormais la juridiction de droit commun de l’Union, dans le sens où il est compétent pour traiter de toutes les affaires en 1ère instance à l’exception de celles que le statut réserve à la Cour et de ce qui est réservé par décision du Conseil à des tribunaux spécialisés. 3. Les tribunaux spécialisés La possibilité de créer des tribunaux spécialisés a été prévue par le traité de Nice : l’idée était de créer des juridictions chargées de connaître de contentieux spécifiques. Article 257 TFUE : ces tribunaux spécialisés sont adjoints au tribunal (pas autonomes) et peuvent donc connaître en 1ère instance de certains recours dans des matières spécialisés. Une seule juridiction spécialisés a été créée, en 2004 : le tribunal spécialisé de la fonction publique européenne. Il a été dissous et supprimé en 2016 et ses fonctions ont été absorbées par le tribunal. B. Les juridictions nationales : « juges de droit commun » de l’application du DUE Les juridictions nationales ne sont pas visées expressément par les traités comme des composantes juridictionnelles de l’Union. C’est le juge qui a consacré ce rôle de juge du droit commun de l’UE des juridictions nationales : TPICE 10 juillet 1990, Tetra Pack c/ Commission puis CJUE 8 mars 2011, Juridiction européenne du brevet européen, Avis 1/09. En revanche figure à l’article 19§1,2 TUE une disposition importante : « Les EM établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le DUE ». Au départ, pour les pères fondateurs de l’UE, « le système de l’Union que l’on qualifie comme étant centralisé sur le plan législatif est dispersé sur le plan exécutif » (P. Pescatore). Le choix n’a pas été fait d’une administration communautaire au sein des EM, mais ces derniers se sont vus confier la mise en œuvre et l’exécution du DUE. L’UE repose ainsi sur le principe d’administration indirecte. Cette répartition se traduit par 2 principes juridiques : - Principe d’autonomie institutionnelle et procédurale : ce principe a été consacré par CJCE 7 juillet 1981, Rewe- Handelsgesellschaft Nord mbH / Hauptzollamt Kiel. Les États sont autonomes et ont la liberté de s’organiser pour la mise en œuvre du DUE. De fait, si les EM ont l’obligation d’exécuter le DUE, ils le font en toute autonomie. Cette mise en œuvre se fait avec les institutions qu’ils choisissent et selon les principes et procédures qu’ils déterminent. La conséquence est que le juge national devient juge de droit commun du DUE, sous respect des principes d’effectivité et d’équivalence qui encadrent l’autonomie procédurale. - Principe de coopération loyale : la liberté des EM issue du principe d’autonomie est tout de même encadrée : ceux-ci doivent prendre les mesures de façon à respecter leurs engagements. Institutionnellement, le juge national a donc compétence pour contrôler et sanctionner l’application du DUE, afin de le faire respecter. De nouvelles fonctions sont attribuées au juge national : les principes de primauté et d’effet direct permettent alors de dégager les formes d’invocabilité du DUE, dont l’invocabilité de substitution, CJCE 9 mars 1978, Simmenthal. Le juge national doit en effet, de sa propre autorité, assurer la bonne application du droit 3 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 communautaire dans les État : il le fait indépendamment de ce que lui autorise ou pas le droit national. Il a pour mission de garantir la bonne application du DUE dans les États. Enjeu : l’effectivité du DUE, dans les EM, dépend du bon vouloir du juge national. Or, la Cour de justice est une Cour suprême, dans le sens où il n’y a pas de rapport hiérarchique entre les juges. Les affaires qui sont rendus par les juges nationaux ne donc pas transmises au juge de l’Union : le rapport entre les juridiction est donc un rapport de collaboration juridictionnelle, c’est pourquoi le renvoi préjudiciel est essentiel. Il permet en effet au juge national d’exercer sa mission de juge de droit commun du DUE. Du point de vue européen, il permet de garantir l’uniformité d’application et d’interprétation du DUE dans tous les EM. Le renvoi préjudiciel vient de l’autonomie donnée au juge national pour contrôler le DUE. Dans CJUE Ass 18 décembre 2014, Avis 2/13, la Cour l’a qualifié de « clef de voûte du système juridictionnel ». En outre, la jurisprudence récente de la Cour s’est appliquée à étendre à la portée de l’article 19§1 alinéa 2 TFUE : « les EM établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le DUE », afin d’accroître les obligations incombant aux États pour garantir la bonne application, l’effectivité du DUE dans les États. La Cour a ainsi fait de cet article 19 un principe juridique opposable aux États : - CJUE 27 février 2018, Association syndicale des juges portugais : « L’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, confie la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union non seulement à la Cour, mais également aux juridictions nationales (…) Il incombe donc aux EM, notamment, en vertu du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4§3, premier alinéa, TUE, d’assurer, sur leur territoire, l’application et le respect du DUE. À ce titre, et ainsi que le prévoit l’article 19§1, second alinéa, TUE, les EM établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le DUE. Ainsi, il appartient aux EM de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle juridictionnel effectif dans lesdits domaines (…). Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du DUE, auquel se réfère l’article 19§1, second alinéa, TUE, constitue, en effet, un principe général du DUE ». L’article 19 TFUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit, confie la charge de conférer le contrôle juridictionnel non seulement à la Cour mais aussi aux juridictions nationales. La Cour conclut en ce sens en disant qu’il appartient aux États de garantir une protection juridictionnelle effective : l’article 19 crée une obligation substantielle supplémentaire pour les EM. NB : il n’allait pas de soi que l’article 19 puisse être opposé aux États, dans la mesure où l’article semble neutre, descriptif, initialement. - CJUE 5 novembre 2019, Commission c/ Pologne : « Quant au champ d’application matériel de l’article 19§1, second alinéa, TUE, il y a lieu de rappeler que cette disposition vise les « domaines couverts par le DUE », indépendamment de la situation dans laquelle les EM mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51§1, de la Charte. Par ailleurs, si, ainsi que le rappelle la République de Pologne, l’organisation de la justice dans les EM relève de la compétence de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les EM sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du DUE et, en particulier, de l’article 19§1,2 TUE. À cet égard, tout EM doit, en vertu de l’article 19§1, second alinéa, TUE, notamment assurer que les instances relevant, en tant que « juridictions », au sens défini par le DUE, de son système de voies de recours dans les domaines couverts par le DUE et qui sont, partant, susceptibles de statuer, en cette qualité, sur l’application ou l’interprétation du DUE, satisfont aux exigences d’une protection juridictionnelle effective. En l’occurrence, il n’est pas contesté que les juridictions de droit commun polonaises peuvent, en cette qualité, être appelées à statuer sur des questions liées à l’application ou à l’interprétation du DUE et qu’elles relèvent, en tant que « juridictions », au sens défini par ce droit, du système polonais de voies de recours dans les « domaines couverts par le DUE», au sens de l’article 19§1, second alinéa, TUE, de telle sorte que ces juridictions doivent satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective ». SECTION II : Le fonctionnement du système juridictionnel de l’UE Sources : - Articles 280 à 281 TFUE. - Statuts de la Cour de Justice : protocole n°3 annexé au traité. Les protocoles ont la même valeur que les traités. Ils devraient donc en principe être soumis à la même procédure de révision (article 48 TUE) : l’article 281 TFUE prévoit toutefois une procédure simplifiée de révision des statuts de la CJ via une PLO. La dernière révision des statuts de la Cour de Justice remonte à 2019. 4 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 - Règlements de procédure de chacune des juridictions soumis à l’accord de la Cour. - Une série d’instructions à destination des juridictions nationales pour les aider dans leur procédure préjudicielle (pas du droit positif, mais juste des indications, conseils) - Des PDG comme le droit au procès équitable relatif au droit processuel. I. L’organisation de la CJUE A. La composition des juridictions 1. La Cour de Justice Article 19§2 TUE : la CJUE est composée d’un juge par EM, depuis le traité de Nice. Il y a donc 27 juges : toutes les cultures juridiques et les langues sont de fait représentées ce qui vient asseoir la légitimité des jugements. L’article 19§2 TUE prévoit que la Cour est assistée d’avocats généraux qui ont le même statut que les juges. Depuis la dernière réforme il y a 11 avocats généraux : parmi ceux-ci, 5 EM ont toujours un avocat général permanent (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pologne), tandis que les autres sont partagés à tour de rôle par les 22 EM restants avec un turn- over tous les 6 ans. Rôle : l’avocat général doit présenter publiquement en toute indépendance et impartialité, des conclusions motivées sur l’affaire. Il assiste la Cour dans sa fonction de juger : son rôle est proche de celui du rapporteur public en France. Les conclusions interviennent en dernier : s’est posée la question de savoir si cela respectait la règle du contradictoire garantie par la CEDH. La Cour, dans un arrêt célèbre CJCE ordonnance 4 février 2000, Emesa Sugar, énonce que les avocats généraux ne constituaient ni un parquet ni un ministère public, et n’étaient pas chargés de la défense des intérêts de qui que ce soit. Ils viennent simplement assister la Cour de manière autonome, indépendante et impartiale dans leur jugement. Il s’agit de l’opinion individuelle et motivée d’un membre de la Cour. 2. Le Tribunal Depuis la réforme de 2016, l’article 19 TUE dispose qu’il y a au moins un juge par EM, ce qui laisse la possibilité théorique qu’il y ait plus de juges que d’EM. Désormais, l’article 48 du statut de la Cour prévoit que le tribunal sera composé de 2 juges par EM (donc 54 juges). B. Le statut des membres 1. La procédure de désignation des juges et des avocats généraux Principe : les juges sont nommés par accord unanime des États, parmi les juristes les plus éminents, article 253 TFUE. Dans la plupart des cas, ce sont des magistrats des juridictions suprêmes des EM ou des professeurs de droit. Nomination : auparavant, chaque pays déterminait lui-même son juge : cette procédure est cependant devenue problématique avec l’élargissement, notamment pour des problèmes de différentiel de démocratie entre les EM. Le traité de Lisbonne introduit donc une procédure à l’article 255 TFUE : « le comité 255 » a pour fonction de se prononcer, par le biais d’un avis, sur l’adéquation des candidats, à la fonction de juge et avocat général, avant la nomination. Il est composé de 7 membres (anciens présidents, juges). L’avis est public, il est difficile d’imposer une personnalité n’ayant pas eu d’assentiment. 2. La durée du mandat Le mandat dure 6 ans avec un renouvellement partiel tous les 3 ans. 3. Les conditions de nomination et d’exercice de la fonction Un certain nombre de dispositions, à la fois du statut de la Cour et du règlement de procédure permettent de garantir l’indépendance des juges : les juges bénéficient d’une immunité de juridiction absolue, et sont soumis à un régime assez strict d’incompatibilités, dans la mesure où ils ne peuvent exercer aucune autre fonction. 5 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 C. Les formations de jugement 1. La Cour de Justice Le traité de Nice a changé les choses : initialement, la Cour siégeait toujours en grande chambre, en assemblée plénière. Le traité introduit, à l’article 251 TFUE, des chambres. Formations : - L’assemblée plénière ne se réunit plus que de manière exceptionnelle, pour les grandes affaires. - Grande chambre : 15 juges (depuis 2012). Elle ne peut se réunir d’office et donc ne se réunit que si une institution ou une instance en fait la demande. - Les formations les plus courantes sont les chambres de 3 ou 5 juges. Il n’y a pas de spécialisation matérielle des chambres, mais il peut y avoir une spécialisation procédurale, par exemple pour les procédures d’urgence. 2. Le Tribunal Formations : - Grande chambre à 13 juges : elle ne siège que pour les affaires vraiment exceptionnelles. - Chambres de 3 juges et de 5 juges : la formation la plus fréquente est la chambre de 3 juges. Spécialisation : ici non plus, il n’y a pas de spécialisation des chambres, même si cela a été proposé de façon plus insistante pour le Tribunal (car il a un gros contentieux qui est souvent plus technique). À défaut de création de juridiction spécialisée, il avait été évoqué d’avoir des chambres de spécialisation au sein du Tribunal, mais cela n’a jamais abouti. Le tribunal peut également siéger en juge unique, mais en pratique, cela n’a pas vraiment fonctionné. D. Les collaborateurs de la CJUE : les greffes et services communs Les services communs aux 2 juridictions : - Le greffe : il est nommé pour 6 ans. Pendant des années, le greffe était confié à des Français parce que la langue de travail est le français. - La traduction : la juridiction de l’UE travaille toutes les langues officielles de l’UE. Le 1er texte officiel adopté par la CEE est celui sur le régime linguistique. II. Les compétences de la Cour A. L’étendue des compétences de la CJUE Principe : - D’un point de vue matériel, la Cour est soumise au principe d’attribution des compétences : elle n’exerce ses compétences que dans les limites fixées par les dispositions des traités, ce qui exclut toutes les hypothèses où le DUE n’est pas applicable, sachant que la Cour a une conception assez large de l’étendue de sa compétence et du DUE applicable. - D’un point de vue procédural, elle exerce ses compétences dans le cadre des procédures qui sont expressément prévues par les traités. Tout recours porté devant la Cour qui concernera l’annulation d’une disposition nationale par exemple, donnera lieu à non-lieu à statuer. Fonctions : 3 grandes catégories, en fonction de l’étendue des pouvoirs du juge : - Contentieux de l’annulation : pouvoirs relativement limités. Le juge ne peut prendre en compte que des éléments de droit, et ne peut qu’annuler ou pas l’acte. Cela désigne le contentieux de la carence et l’exception d’illégalité. - Contentieux de pleine juridiction : le juge possède un arbitrage complet, de fait et de droit sur le litige. Il a une plus grande latitude dans les éléments qu’il peut prendre en compte. Il peut annuler et réformer l’acte, voir indemniser (exemple : contentieux de la responsabilité). - Contentieux de la déclaration : le juge a peu de pouvoirs ; il ne peut qu’émettre une déclaration sur la légalité ou l’illégalité d’un acte ou d’un comportement, constater la violation du DUE. L’arrêt qu’il rend a une portée purement déclaratoire – il ne peut en tirer conséquence. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’arrêt n’est pas obligatoire (exemple : arrêts en manquement). 6 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 La Cour a développé une approche du contentieux comme formant un système. La Cour parle d’un « système complet des voies de droit et des procédures » (CJCE 22 octobre 1987, Foto-Frost). Cela signifie qu’il existe une systématique du contentieux en DUE, une cohérence des voies de droit : - D’une part, chaque voie de droit (annulation, manquement, carence, renvoi préjudiciel…) obéit à sa propre logique, renvoie à une posture du juge, a son propre corps de règles procédurales. Chaque voie de droit est par nature autonome, et le traité en lui-même n’établit pas de connexions entre les différentes voies de droit. - D’autre part cependant, la Cour s’attache à mettre en cohérence (en lien) les différentes voies de droit de façon de façon à créer un système, afin de garantir la bonne application du DUE dans les États, comme la protection juridictionnelle effective des justiciables. Conséquence : les lacunes procédurales de certaines voies de droit peuvent être compensées par les possibilités offertes par une autre voie de droit. Exemple : la procédure pour un État qui a violé le DUE est la procédure en manquement. Toutefois, le particulier qui souhaite revendiquer le respect de ses droits (application DUE) peut saisir le juge national qui pourra poser une question préjudicielle à la CJ. Si le juge national constate que l’EM n’applique pas le DUE, il écartera la norme nationale contraire. Le renvoi préjudiciel a donc le même effet in fine, il permet la bonne application du droit dans l’UE. Les lacunes des voies de droit peuvent être compensées par les règles qui relèvent d’autres voies de droit. B. La répartition actuelle des voies de droit entre la Cour de justice et le Tribunal La répartition des compétences est la résultante de l’histoire de la création du Tribunal. Coexistent : - Un rapport hiérarchique vertical : le Tribunal est dans certaines affaires le juge de première instance, et les arrêts qu’il rend peuvent faire l’objet de pourvois devant la Cour. - Un rapport horizontal (répartition horizontale des voies de droit entre les deux juridictions) : certains contentieux sont réservés à la CJ, à la fois en dernier et en premier ressort. Cette répartition horizontale a été au cœur de discussions au niveau de la juridiction, aboutissant à une réforme assez limitée. 1. La répartition horizontale des compétences a) Des attributions contentieuses distribuées entre la Cour et le Tribunal Compétence du Tribunal : principe : le Tribunal est le juge de droit commun : - Il connaît de tous les recours, quelle que soit la voie de droit, introduits par les particuliers (toutes les personnes physiques ou morales, à l’exception des États). - Il connaît de certains recours en annulation et en carence contre les décisions ou l’absence de décision du Conseil en matière d’aide d’État, de défense commerciale, et lorsque le Conseil exerce des fonctions d’exécution des actes législatifs. - Il est aussi compétent pour les recours en annulation et en carence contre les actes ou l’inaction de la Commission européenne et de la BCE. - Il est compétent pour statuer sur les contrats et pour tout le contentieux de la fonction publique. Compétences de la Cour : tout le reste lui appartient : - Elle connaît des recours en manquement. - Elle connaît des contentieux de l’annulation et de la carence (= contentieux constitutionnel). - Elle connaît de tous les recours inter-institutionnels. b) Une attribution consultative réservée à la Cour de justice Article 218 TFUE : la procédure d’avis permet à la Cour de statuer sur la compatibilité d’un projet d’accord international que l’Union envisage de conclure, avec les traités. Elle est assez limitée, même si les avis sont importants (car en général liés à d’importants enjeux politiques). c) Des attributions préjudicielles conservées jusqu’à présent par la Cour de justice Pour l’instant, le renvoi préjudiciel est conservé par la Cour, article 267 TFUE. Depuis le traité de Nice (article 256 TFUE), le traité prévoit toutefois qu’il est possible de déférer des questions préjudicielles au Tribunal dans certaines matières, cette possibilité étant subordonnée à une décision du Conseil. 7 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Une telle possibilité a été envisagée lors de la réforme de 2016, mais n’a finalement pas été mise en place, notamment en raison du refus de la Cour, qui a rendu un rapport négatif. 2. La réforme récente limitée Apports de la réforme de 2019 (Règlement 2019/629 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 modifiant le protocole n° 3 sur le statut de la CJUE) : la réforme devait porter sur la répartition des contentieux, mais a finalement essentiellement porté sur les pourvois (d’où réforme limitée). Dans l’idée de désengorger la Cour, la réforme de 2016 prévoyait que la Cour devait faire des propositions pour répartir autrement les compétences : - La Cour avait rendu son rapport en 2018, et avait proposé de transmettre une partie des contentieux en manquement au Tribunal, en particulier ceux en matière de concurrence et aides d’États (affaires techniques que le Tribunal connaît en première instance). - La Commission s’est opposée à cette proposition de la Cour, notamment au regard de la durée de la procédure. La réforme se contente finalement de modifier les conditions du pourvoi – elle limite les conditions de certains pourvois – et repousse à une date ultérieure l’examen des transferts au Tribunal des manquements. III. La procédure devant la Cour La procédure est assez similaire entre le Tribunal et la Cour. Les traités sont assez lacunaires : les éléments de procédure se trouvent davantage dans les statuts de la Cour et dans les règlements de procédure. Chaque juridiction établit son règlement de procédure, étant entendu que celui du Tribunal est établi en accord avec la Cour. La dernière grande révision des règlements des deux institutions date donc de 2019. Le règlement de procédure n’a pas de valeur juridique en lui-même mais est essentiel pour comprendre comment se déroule la procédure devant le juge de l’Union. A. La procédure ordinaire 1. Règles générales de procédure a) L’originalité de la Cour La CJUE est une juridiction hybride : elle est à la fois une juridiction de DI, tout en empruntant la plupart de ses caractéristiques au juge interne. Cette hybridité de nature a des conséquences sur la procédure devant le juge de l’Union. Le juge de l’Union se distingue ainsi des juridictions de DI classique: - C’est une juridiction obligatoire, article 344 TFUE : les parties – les EM – ne peuvent utiliser une procédure autre que celle prévue par les traités. CJUE Grande chambre 30 mai 2006, Commission c/ Irlande, Usine Mox : monopole juridictionnel de la Cour en ce qui concerne le droit communautaire et les accords mixtes signés par l’UE et les EM. - La Cour de Justice ne peut refuser de statuer sous peine de déni de justice, à la différence des juridictions de DI classique (procédure « non liquet »). - La Cour de Justice a un caractère ouvert : à la différence des juridictions de DI, elle peut être saisie par les personnes physiques et morales. - Les arrêts rendus par la Cour ont non seulement force obligatoire, mais ont également de plein droit force exécutoire dans les États (article 280 TFUE). b) Les caractères de la procédure La procédure a 4 caractères : - Mixte : o Elle mêle des éléments de procédure accusatoire et procédure inquisitoire : le juge est tenu par les demandes des parties, il est assez passif par rapport à elles. De fait, les parties circonscrivent le litige : la procédure est accusatoire en amont de la requête. En revanche, une fois la requête introduite, la procédure suit le modèle inquisitoire : la Cour met en cause les parties, ordonne les communications, fixe les modalités et les délais de réponse, ordonne les suppléments d’enquête, et plus généralement décide des mesures d’instruction. Elle peut aussi soulever des moyens d’office. 8 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 o Elle panache écrit et oral : la phase orale est subsidiaire à la phase écrite, elle a un rôle complémentaire car les parties ne peuvent soulever des moyens nouveaux lors de la phase orale. Il est même possible de faire l’économie de la phase orale : si à la lecture des mémoires, les parties s’estiment suffisamment informées et n’ont rien à ajouter, si aucune des parties ne demande l’oral, la CJ peut décider de statuer directement. Au Tribunal, l’oral garde une certaine importance, sans doute car il juge les recours des particuliers. - Contradictoire : CJCE ordonnance 4 février 2000, Emesa Sugar : la Cour rappelle le caractère essentiel du contradictoire et le fait qu’il ne se prononce que sur des arguments présentés intégralement à la connaissance des parties. C’est une exigence du procès équitable (article 6§1 de CEDH + CDFUE). - Publique : le huis-clos est exceptionnel (il n’est là que pour protéger les intérêts et la sécurité des États), en principe il est toujours possible d’assister à une audience de la Cour. - Gratuite : pas de frais de procédure mais il peut y avoir des dépens. Il existe un système d’aide juridictionnelle (mais est peu utilisé). c) La représentation des parties et le régime linguistique Principe : la représentation des parties est obligatoire, et peut représenter une partie tout avocat inscrit au barreau dans un EM. La langue de procédure est une question importante, régie par les règlements. Chaque affaire donne lieu à la désignation d’une langue de procédure (article 37 du règlement de procédure). La langue utilisée pour toute la procédure sera la langue dans laquelle sera rendu l’arrêt et qui fera foi en cas de problèmes d’interprétation. Principe : la langue dépend du recours et du défendeur, le choix de la langue appartenant normalement au requérant sauf accord différent des parties. Atténuation : si le défendeur est un État, ou si le défendeur est un particulier, alors la langue de procédure sera celle du défendeur. Ainsi, un arrêt Commission c/ France sera toujours en français. Pour le renvoi préjudiciel, la langue de procédure est celle de la juridiction de renvoi. La langue choisie en 1ère instance demeure la langue de procédure pour les pourvois. d) Les délais Chaque voie de recours a des règles spécifiques : les délais sont déterminés en fonction du recours. Les règles de computation des délais (= moment où l’on peut déposer la requête), si elles sont uniformes, ne sont pas forcément intuitives. Ces règles dépendent de la nature de l’acte : - Si l’acte est notifié (décision individuelle) : le délai commence à courir à partir du lendemain de la notification de l’acte à l’intéressé, et expire à la fin du jour qui porte la même dénomination que celui de la notification. Exemple : pour un acte notifié le 22 septembre : le délai commence à courir à partir du 23 septembre, et expire le 22 novembre (délai de 2 mois pour un recours en annulation. Les semaines sont entières sauf si le jour de l’expiration est un samedi, un dimanche ou un jour férié (qui sont déterminés par la Cour) auquel cas la date d’expiration est reportée au lendemain. S’ajoute enfin automatiquement un délai de distance forfaitaire de 10 jours. - Si l’acte est publié : le délai commence à courir à partir de la fin du 14ème jour qui suit la date de la publication. La règle des samedi-dimanche et jours fériés s’applique aussi et quel que soit l’acte, dans tous les cas le délai de recours est augmenté d’un délai forfaitaire de 10 jours,. Exemple : CJUE 1er avril 2011. Recours en annulation, notifié le 16 juillet 2010. Le délai court à partir du 17 juillet et dure jusqu’au 16 septembre, sauf que c’était un dimanche donc jusqu’au 17 septembre + 10 jours forfaitaires de distance donc jusqu’au 27 septembre. Or, les requêtes sont parvenues au greffe du tribunal le 28 septembre entre 0:00 et 0:59 et le tribunal a prononcé le rejet du recours. Les requérants ont invoqué que dans le fuseau horaire irlandais on était encore le 27 septembre, le tribunal a confirmé le hors-délai et a confirmé que c’est l’horaire du Luxembourg qui compte. 2. Les différentes phases de la procédure La procédure mêle écrit et oral. a) La phase écrite Le recours direct : 9 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 La requête introductive d’instance doit être adressée à la juridiction (un envoi courriel est possible sous réserve d’un envoi papier sous 10 jours). Cette requête comprend un certain nombre de mentions obligatoires tels que le nom du requérant, le nom institution contre laquelle l’affaire est soulevée, un exposé sommaire des moyens invoqués et des conclusions précises. La requête doit donc être assez précise, d’autant plus qu’il est impossible de présenter des moyens nouveaux en cours d’instance (sauf si des éléments nouveaux apparaissent durant la procédure). La requête est enregistrée par le greffe, publiée sommairement au JO et est signifiée par le greffe à la partie adverse qui doit produire un mémoire en défense, lequel est communiqué au requérant qui a la possibilité de produire une réplique transmise au défendeur qui peut y répondre. Le rythme de la procédure est donné par la Cour. Une fois l’affaire est enregistrée, un juge rapporteur est désigné et gère la procédure écrite. Il présente un rapport préalable avec tous les éléments ce qui permet de décider la chambre de jugement. NB : cette phase écrite de l’échange des mémoires n’est pas publique, et le fait pour une des parties de divulguer le mémoire en défense constitue une violation de la procédure qui entache la régularité : TPI 17 juin 1998, Tidningen Journalisten. Le recours préjudiciel : La question préjudicielle est systématiquement publiée au JO et transmise aux institutions concernées (en général au moins à la Commission, au PE et au Conseil). Il est envoyé à tous les EM qui peuvent transmettre des observations (il n’y a pas d’échange de mémoires, il peut y avoir en revanche des demandes de précisions adressées au juge national). b) La phase orale La phase orale est publique. Finalité : approfondir le contradictoire, c’est-à-dire aller au-delà des échanges écrits entre les parties ; répondre aux questions de la Cour (et de l’avocat général). Déroulement : - Le juge rapporteur présente l’affaire aux membres de la Cour, fait une synthèse objective, présente son rapport. - Les avocats font ensuite leurs plaidoiries (courte, souvent pas plus de 20 minutes), le but étant de compéter le contradictoire et d’informer le juge. - S’ensuit une phase de questions (toutes les parties peuvent s’exprimer), et parfois de convocation des experts et des témoins. - La phase orale se conclut enfin par les conclusions de l’avocat général. Cas particulier : la Cour peut demander la réouverture de la procédure orale, à l’issue des conclusions. CJUE 12 novembre 2015, Elitaliana SpA / Eurlex Kosovo : une ordonnance d’irrecevabilité du tribunal fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour. Au départ, la Cour avait décidé d’avoir une phase orale sans plaidoirie : or, à l’issue de la phase orale, émerge une question relative à la compétence du juge, qui est un moyen d’ordre public. La Cour a donc décidé de rouvrir la procédure et d’entendre les parties sur ce sujet. c) Le délibéré et le prononcé de l’arrêt Le délibéré est secret. N’y prennent part que les juges, il n’y a pas d’interprète donc les débats se font en français. En pratique le juge rapporteur a préparé un projet d’arrêt qui est envoyé aux autres juges de la chambre de jugement et en règle générale la décision est prise par consensus. Il peut y avoir des règles de vote : la majorité simple par exemple (mais le consensus est privilégié, ce sont dans des cas litigieux qu’il y a un vote). Tous les juges signent l’arrêt et ils sont tous tenus au secret ce qui veut dire que la Cour de justice, à la différence d’autres cours, ne connaît pas la technique de l’opinion séparée (que l’on retrouve à la Cour EDH par exemple). L’arrêt est prononcé en audience publique et il acquiert force exécutoire à partir de ce moment-là. Le jour où il est prononcé en audience publique, il y a un exposé (le dispositif) et il est ensuite mis à disposition dans la langue de procédure. À partir de là il sera traduit dans toutes les langues officielles de l’UE. B. Les procédures spéciales et voies de recours extraordinaires Il s’agit de procédures qui permettent soit aux parties, soit aux tiers de faire valoir leurs droits et en général. Elles se greffent sur le recours principal donc elles sont matérialisées par une lettre après le numéro donné à l’affaire. 1. Les procédures possibles avant le prononcé de l’arrêt 10 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 a) L’intervention L’intervention est la demande par un tiers à la procédure de se joindre à celle-ci, afin de soutenir les conclusions d’une des parties (pas de possibilité de soulever des moyens nouveaux). Elle n’est pas possible pour tout le monde tout le temps : le contour des personnes possibles change selon les intervenants : - Les EM et les institutions (requérants institutionnels) peuvent demander à intervenir à tous les litiges quels qu’ils soient sans avoir besoin de justifier d’un intérêt à intervenir. - Les personnes physiques et morales, ainsi que les organes et organismes qui ne sont pas des institutions, peuvent toujours demander à intervenir mais doivent démontrer un intérêt à intervenir. Elles ne sont pas autorisées à intervenir dans les litiges interinstitutionnels, c’est-à-dire entre États, entre institutions, ni dans les litiges entre EM et institutions. Modalités : l’intervention doit être faite dans un délai de 6 semaines après la publication de la requête au JO, elle est adressée au président de la Cour et en général les parties sont sollicitées pour savoir si elles ont des observations à faire sur la demande d’intervention. L’intervention donne lieu à une ordonnance du président de la Cour. L’intervenant a le droit de présenter un mémoire (dans la langue de procédure) et celle-ci ne peut avoir pour objet que le soutien des conclusions d’une des parties. L’intervention est une pratique très fréquente, ce sont surtout les EM et les institutions qui interviennent. b) Le sursis et les mesures provisoires par voie de référé : la protection provisoire Le sursis et les mesures provisoires par voie de référé consistent, en cours d’instance, à adopter des mesures conservatoires dans l’attente de la décision au fond. Justification : les recours devant la Cour n’ont pas d’effet suspensif, ce qui, compte tenu de la longueur de la procédure et des délais de jugement, peut avoir des conséquences dommageables, voire irrémédiables et irréversibles. Fondement : - Article 278 TFUE : sursis à exécution d’un acte qui fait l’objet d’un recours en annulation. - Article 279 TFUE : mesures provisoires pouvant être introduites dans le cadre de n’importe quelle procédure. Exemple : CJCE ordonnance 19 décembre 2006, Commission c/ Italie : dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour a demandé la suspension de la loi italienne. Condition formelle : la demande fait l’objet d’une requête par acte séparé qui se greffe à l’affaire au principal. La procédure est assez rapide, le président de la Cour se prononce par une ordonnance motivée qui accorde ou refuse la mesure. Conditions matérielles cumulatives : - La requête doit paraître fondée, dans la mesure où la norme faisant l’objet du recours est présumée légale (fumus boni juris). - L’urgence (periculum ad mora) : elle est qualifiée si le maintien des mesures qui font l’objet du recours causerait un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant Le juge a une interprétation stricte de ces conditions : - Le juge retient rarement le préjudice financier. - Trib UE ordonnance 13 février 2012, Dansk Automat Brancheforenong c/ Commission : le préjudice doit être individuel. 2. Les procédures envisageables après le prononcé de l’arrêt Les voies de rétractation consistent à ressaisir le juge pour qu’il se prononce de nouveau sur un arrêt déjà rendu. Elles remettent donc en cause le caractère définitif de l’arrêt rendu, ce qui explique qu’elles soient qualifiées de voies extraordinaires et soient très encadrées : - La tierce opposition : un tiers à l’instance s’oppose à une décision qui a déjà été rendue. - La révision : après le prononcé, un fait nouveau est révélé, de nature à avoir une influence décisive sur la décision (uniquement pour les arrêts de moins de 10 ans). - L’interprétation. - La rectification : procédure plus fréquente, qui consiste à saisir le juge en cas d’erreur matérielle (de plume, de calcul, matériel…) sur un point non-fondamental. - L’opposition : c’est une possibilité offerte au défendeur défaillant, qui n’a pas déposé de conclusions écrites, et peut demander la réouverture de la phase écrite. 11 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 C. Le pourvoi contre une décision du Tribunal ou du TFPUE Le pourvoi est une voie de réformation : il s’agit de faire contrôler par une juridiction supérieure, la Cour, la validité d’une décision rendue par le tribunal, articles 256 et 257 TFUE. Caractéristiques : - Le pourvoi ne peut être introduit que pour des questions liées au droit et non aux faits. En principe, la CJ ne se prononce donc que sur les éléments de droit et renvoie au tribunal le soin de juger l’affaire au fond. Si elle estime toutefois qu’elle peut juger l’affaire, la Cour n’est pas obligée de renvoyer au tribunal. - Les motifs sont l’incompétence du juge, l’irrégularité de la procédure, la violation de la règle de droit. - Le pourvoi n’a pas de caractère suspensif, et peut donc faire l’objet de mesures provisoires. - Le pourvoi doit être formulé dans un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision aux parties. - Le pourvoi est ouvert aux parties mais il peut aussi être ouvert aux intervenants. Les EM peuvent introduire un pourvoi contre toute décision du tribunal (rarissime), tandis que les parties et les particuliers intervenants ne peuvent le faire que si elles sont individuellement concernées. La réforme du 17 avril 2019 a conduit à une modification des règles d’admission de certains pourvois. Hypothèse : certains organismes européens indépendants (office européen de propriété intellectuelle, office européen des variétés végétales, agence européenne des produits chimiques, agence pour la sécurité aérienne…) possèdent des chambres indépendantes, qui statuent sur la légalité des actes qu’ils prennent. Le Tribunal peut ensuite statuer, en appel, sur les décisions de ces chambres de recours indépendantes. Ces décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi : la Cour peut désormais les filtrer, et décider ou non de les admettre. PARTIE I : LES RECOURS DIRECTS ET INCIDENTS DEVANT LA COUR ET LE TRIBUNAL Il existe 2 types de contentieux : - Contentieux de la légalité : contrôle des actes / de l’absence d’actes des institutions : recours contre l’activité normative de l’Union. - Contentieux de la responsabilité : mise en cause de la responsabilité de l’Union. TITRE I : Le contentieux de la légalité L’UE est soumise à un principe de légalité : chaque norme doit être adoptée conformément aux normes lui étant directement supérieures, et in fine, à la norme suprême, les traités. Ce principe a été affirmé dans CJCE 23 avril 1986, Parti écologiste les Verts c/ PE : « la Communauté est une communauté de droit en ce que ni les EM, ni les institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité ». Les voies de droit sont ensuite mises en place pour faire respecter cette hiérarchie des normes au sein de l’OJ de l’Union. Plusieurs voies de droit permettent le respect du principe de légalité au sein de l’UE : - Annulation. - Carence. - Exception d’illégalité. - Renvoi préjudiciel en appréciation de validité. Chapitre 1 : Le recours en annulation Régime juridique : articles 263 à 266 TFUE. Évolution : - Il a été initialement conçu comme un recours assez proche du REP. - Il s’est ensuite largement autonomisé et s’en distingue désormais. SECTION I : Les conditions de recevabilité du recours Trois conditions de recevabilité : 12 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 - Condition temporelle : le délai. - Condition matérielle : le type d’acte. - Condition personnelle : le requérant. I. Les délais Principe : article 263§6 TFUE : « le délai pour former un renvoi en annulation est de 2 mois à compter suivant les cas : de la publication de l’acte, de sa notification au requérant, ou à défaut, du jour où le requérant en a eu connaissance ». Ce délai est d’OP donc ne peut être modifié ni par le juge, ni par les parties ; et la forclusion peut être soulevée d’office par le juge. Exégèse : question de la prise de connaissance de l’acte : cette hypothèse concerne surtout les tiers à l’acte, et ne joue qu’à défaut de notification ou de publication : - CJCE 19 février 1998, Commission c/ Conseil : le délai de recours ne court qu’à partir du moment où le tiers concerné a une connaissance exacte du contenu et des motifs de l’acte, suffisante pour lui permettre d’exercer son droit de recours. - CJCE 5 mars 1980, Könecke c/ Commission : la prise de connaissance de l’acte est subsidiaire à la publication ou à la notification, elle ne saurait s’y substituer. Conséquence: la tardiveté du recours entraîne son irrecevabilité, sauf si le requérant peut faire état de circonstances exceptionnelles : - Une erreur excusable : il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le comportement des institutions a induit le requérant en erreur, ce dernier n’ayant de ce fait pas pu exercer son droit de recours dans le délai. CJCE 15 mai 2003, Pitsiorlas c/ Conseil et BCE : un étudiant voulait accéder à des documents mais a été baladé d’institution en institution, entre la BCE, le Conseil, ce qui a entraîné une connaissance réelle de l’acte tardive. La Cour a donc admis l’erreur excusable. - Un cas fortuit : existence d’une situation de fait anormale, étrangère à l’intéressé, contre les effets de laquelle il a essayé de se prémunir. TPI 28 janvier 2009, Centro Studi Manier : dérèglement de la poste luxembourgeoise qui a conservé le colis contenant la requête introductive d’instance bien au-delà du délai de recours. La circonstance est bien anormale et étrangère à la requérante qui avait fait preuve de diligence. II. Les actes susceptibles de recours Article 263§1 TFUE : deux volets quant aux actes susceptibles de recours : - Définition organique. - Définition fonctionnelle. A. L’auteur de l’acte Définition organique de l’acte : article 263§1 TFUE : - Actes du Conseil de l’UE. - Actes de la Commission. - Actes de la BCE, autre que les recommandations et les avis. - Actes du PE et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. - Actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Remarques : la Cour n’est jamais compétente pour contrôler les actes d’un EM. Seul le juge national l’est. Initialement (traité de Rome), seuls la Commission et le Conseil étaient visés par cette disposition ; ne figuraient pas le Conseil européen (qui n’existait pas) et le PE. Justification : le pouvoir de décision était exercé par la Commission et le Conseil, le PE avait très peu de pouvoir décisionnel. Évolution : - PE : cette lacune des traités a été comblée par la Cour : CJCE 23 avril 1986, Parti écologiste les Verts c/ PE : la Cour consacre la légitimation passive du PE, considérant que nonobstant la lettre du traité, la Communauté européenne est une communauté de droit (« principe démocratique fondamental »), dans laquelle le contrôle de la légalité des actes vaut pour toutes les institutions. La Cour accorde par conséquent un droit de recours contre les actes du PE. Cette jurisprudence a ensuite été codifiée et inscrite dans les traités par le traité de Maastricht. 13 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 - Conseil européen (créé en 1974) : non-prévu par les traités, il est né de la pratique et rassemble les chefs d’États et de gouvernement, ainsi que le Président de la Commission. Il est inscrit dans les traités par le traité de Maastricht, mais n’est alors pas une institution. Par conséquent, les actes du Conseil européen n’étaient pas susceptibles de recours en annulation, puisqu’il n’adoptait pas d’actes destinées à procurer des effets juridiques, CJCE ord 13 janvier 1995, Roujanski et Bonnamy. Le traité de Lisbonne institutionnalise le Conseil européen et lui octroie un statut contentieux. Aujourd’hui, il est possible d’introduire des recours contre les « actes du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ». En pratique, les décisions formelles du Conseil sont assez rares donc les recours sont rares aussi. Exemple : Trib UE 28 février 2017, NF c/ Conseil européen, confirmé par CJUE 12 septembre 2018, NF c/ Conseil européen : recours en annulation contre la déclaration UE/Turquie sur la gestion de la crise migratoire. Or, les requérants ont été débouté car cette déclaration n’était pas imputable au Conseil européen, mais aux EM. - Depuis le traité de Lisbonne, peuvent faire l’objet d’un recours en annulation les « actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ». Sont visés tous les organes qui ne sont pas des institutions au sens de l’article 13 TUE, mais qui sont dotés d’un pouvoir décisionnel : agences, offices de réglementation… Le Tribunal avait déjà admis la recevabilité des recours contre les agences/organismes communautaires sur le modèle de l’arrêt Les Verts : TPI 8 octobre 2008, Sogelma c/ Agence européenne pour la reconstruction (AER). Justification : dès lors que l’acte produit des effets juridiques et peut faire grief, il doit pouvoir être contrôlé. Remarque 1 : une institution n’est pas citée par l’article 263 TFUE : la Cour des comptes. La question a pu se poser de savoir si ses actes pouvaient faire l’objet d’un recours en annulation. Elle n’a pas vraiment un pouvoir décisionnel en principe mais plutôt un pouvoir d’avis, de recommandations. Toutefois, elle peut avoir un pouvoir en interne sur ses agents. Par conséquent, CJCE 11 mai 1989, Maurissen c/ Cour des Comptes : la Cour a implicitement admis la recevabilité de recours en annulation contre un acte de la Cour des comptes vis-à-vis d’un de ses agents. Remarque 2 : se pose aussi la question de l’imputabilité à une institution de certains actes : si un acte est adopté par un démembrement d’une institution, est-il est imputable à l’institution elle-même ? Réponse négative de la Cour : une déclaration du président du PE qui informe de l’exclusion d’un député européen de son groupe politique n’est pas considérée comme un acte imputable au PE (Trib UE ordonnance 2 septembre 2014, Borghezio c/ PE) ; de la même manière, une décision politique n’est pas imputable au PE lui-même (CJCE 22 mars 1990, J. M. Le Pen et Front National). Remarque 3 : s’est posée la question du caractère attaquable ou non des actes adoptés par les représentants des gouvernements des États réunis au sein du Conseil. Réponse de la Cour : celle-ci a estimé dans l’arrêt Bengladesh (CJCE 30 juin 1993, PE c/ Conseil et Commission) que l’acte mentionné ne saurait être vu comme un acte du Conseil car pris dans un domaine où les États ont conservé leurs compétences. Justification : l’acte, bien que pris dans le cadre du Conseil, est purement intergouvernemental et ne saurait être imputé à l’UE. Toutefois, cet arrêt est rendu dans un cas d’espèce particulier. La jurisprudence a donc ensuite évolué : la Cour a dégagé la notion d’acte hybride, qui est à la fois un acte du Conseil et en même temps un acte des représentants des Gouvernements réunis au sein du Conseil. CJUE 28 avril 2015, Commission c/ Conseil, actes hybrides : la Cour sanctionne la pratique des actes hybrides et considère que l’acte doit être imputé au Conseil. La pratique des actes intergouvernementaux comporte en effet une limite, le respect des règles du traité et en particulier le respect des procédures. Dès lors, à partir du moment où l’acte est hybride, le Conseil a participé à son adoption, et l’acte adopté est bien un acte du Conseil qui doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation. La question a aussi pu se poser pour l’imputabilité des actes de l’Eurogroupe, c’est-à-dire le groupe des EM dont la monnaie est l’euro, qui prend des décisions dans le cadre de la zone euro. Trib UE ordonnance 16 octobre 2014, Konstantinos Mallis et Elli Konstantinou Mallis c/ Commission et BCE : une déclaration de l’Eurogroupe a fait l’objet d’un recours. Le Tribunal a refusé d’imputer la décision à la Commission ou à la BCE car l’Eurogroupe est une réunion informelle des ministres des EM, et même si les 2 institutions participent aux discussions, elles ne prennent pas elles-mêmes les actes. B. La nature et les caractéristiques de l’acte attaquable Définition fonctionnelle de l’acte : article 263§1 à 3 TFUE : « La CJUE contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la BCE, autres que les recommandations et les avis, et des actes du PE et 14 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ». Les actes susceptibles d’un recours en annulation sont donc les suivants. Les actes législatifs : Il s’agit des actes adoptés selon une procédure législative, quelle qu’elle soit (PLO ou PLS). Les actes autres que les recommandations et avis : L’article fait ici référence, en creux, à la nomenclature de l’article 288 TFUE. En excluant spécifiquement les avis et les recommandations, l’article prévoit donc que les autres actes de cette nomenclature, à savoir les règlements, les directives et les décisions, sont attaquables. Cela se justifie par le fait que ces actes sont à la différence des avis et recommandations, obligatoires et juridiquement contraignants. CJUE 20 février 2018, Belgique c/ Commission : la Cour confirme le caractère non-attaquable d’une recommandation de la Commission européenne. Actes hors-nomenclature de l’article 288 TFUE : La formule large de l’article 263 TFUE (« actes hors recommandations et avis ») englobe également les actes hors- nomenclature. La Cour veut en effet éviter que, par le choix de la forme de l’acte, les institutions échappent au contrôle de la légalité de leurs actes. Elle adopte donc une approche davantage matérielle, et s’attache à examiner le contenu et la portée de l’acte pour déterminer si celui-ci est attaquable ou non : la Cour refuse de se sentir liée par la forme ou l’appellation de l’action. La jurisprudence est constante et la Cour l’applique quel que soit l’acte qui lui est soumis (y compris quand elle est saisie d’une recommandation). La jurisprudence est donc très casuistique : - Arrêt de principe : CJCE 31 mars 1971, Commission c/ Conseil AETR : le Conseil avait adopté une délibération (acte hors-nomenclature) dans un contexte de négociation d’un accord européen sur la réglementation du transport routier. Solution : est attaquable « toute disposition dès lors qu’elle vise à produire des effets de droit, quelle qu’en soit la nature ou la forme ». Indépendamment de la qualification de l’acte hors nomenclature, la Cour examine la substance et la portée de l’acte en cause. - Formule de principe : CJCE 11 novembre 1981, IBM c/ Commission : « sont attaquables les actes qui produisent des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique ». - CJCE 19 mars 1996, Commission c/ Conseil FAO : les codes de conduite entre institutions ont été considérés comme attaquables. - TPI 24 mars 1994, SA à participation ouvrière Air France c/ Commission : une déclaration orale du commissaire en charge de la concurrence a été considérée comme attaquable. Condition : l’acte doit tout de même manifester une volonté définitive de l’institution. Conséquences : - Les actes préparatoires ne sont en principe jamais considérés comme des actes attaquables. - Les actes purement confirmatifs ne sont en principe jamais considérés comme des actes attaquables, Trib UE 24 mars 2017, Estonie c/ Commission. Ces actes ne viennent en effet que confirmer un acte antérieur, sans créer d’effet juridique nouveau. Le but est d’éviter que le requérant sollicite l’institution juste pour avoir une confirmation et refaire courir le délai de recours. Les actes qui produisent des effets juridiques à l’égard des tiers. Les accords internationaux : Les accords internationaux en eux-mêmes ne sont pas susceptibles de recours en annulation. Le traité organise seulement une procédure de contrôle a priori de la compatibilité des accords externes aux traités, lorsqu’ils ne sont qu’envisagés (article 218§11 TFUE). De fait, un accord international n’est pas nature pas la volonté d’une institution mais la volonté de l’Union et d’un tiers. Toutefois, CJCE 9 août 1994, France c/ Commission (arrêt de principe) : dans le cadre d’un accord avec les EU, la Commission a adopté les conclusions de l’accord, à la place du Conseil qui détient normalement la compétence. Solution : la Cour s’est estimée compétente pour contrôler la légalité, non pas de l’accord, mais de la décision de conclusion de l’accord, c’est-à-dire contrôler la décision prise par l’institution qui procède à l’accord, la décision étant un acte unilatéral d’une institution. La Cour contrôle ainsi seulement le support juridique de l’accord, sur des questions purement formelles et non matérielles, de base juridique, de procédure ou de compétence. Enjeu : la décision de conclusion de l’accord a pu être annulée pour des raisons qui touchent l’accord lui-même. Exemple : un accord sur les données des passagers aériens avec les EU avait été contesté en raison du non-respect des droits fondamentaux garantis dans l’Union. Or, dans ce cas, l’annulation de la décision de conclusion de l’accord, dès lors qu’elle se justifiait par une raison de fonds, avait rendu nécessaire une renégociation de l’accord. 15 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 III. Les requérants L’article 263§2 à 4 TFUE distingue 2 grandes catégories de requérants : - Les requérants privilégiés : les requérants institutionnels/constitutionnels. - Les requérants ordinaires/particuliers : les personnes physiques et morales. Enjeu de la distinction : les requérants privilégiés n’ont en principe à démontrer ni qualité, ni intérêt à agir, alors que ces deux conditions sont opposables aux requérants ordinaires. NB : il faut bien distinguer : - L’intérêt à agir renvoie aux fait d’apporter la preuve que l’acte affecte, met le requérant dans une situation telle qu’il a intérêt à le voir annuler. - La qualité pour agir renvoie aux conditions propres au requérant qu’il doit remplir pour que son recours soit jugé recevable. A. Les requérants institutionnels/constitutionnels L’article 263§2 et 3 TFUE distingue en réalité les requérants privilégiés des requérants semi-privilégiés : - Requérants privilégiés : leur qualité pour agir est présumée et leur intérêt pour agir est de droit, donc ils peuvent toujours introduire un recours. Il s’agit de la Commission, du Conseil, du PE et des EM. - Requérants semi-privilégiés : ils ont toujours qualité pour agir mais ne peuvent introduire des recours qu’à la condition qu’ils tendent à la sauvegarde de leurs prérogatives : ils doivent donc démontrer un intérêt à agir. 1. Les requérants dits « privilégiés » : le Conseil, la Commission, les EM et le PE Initialement, seuls les EM, la Commission et le Conseil étaient des requérants privilégiés. Évolution : - CJCE 23 avril 1986, Les Verts : la Cour reconnaît la légitimation passive du PE. - CJCE 27 septembre 1988, PE c/ Conseil Comitologie : la Cour refuse de reconnaître la légitimation active du PE, dans la mesure où cela n’était pas prévu par les traités. - CJCE 22 mai 1990, Parlement c/ Conseil Tchernobyl : la Cour reconnaît la légitimation active du PE, qui peut donc introduire un recours en annulation. Justification : principe d’équilibre institutionnel. Condition : les moyens doivent être tirés de la violation des prérogatives du PE, le recours tendant à la sauvegarde de ces prérogatives. Ce-faisant, la Cour créée la catégorie des requérants semi-privilégiés. - Traité de Nice de 2001 : le PE devient un requérant privilégié, le traité supprimant pour lui la condition de l’intérêt à agir. 2. Les autres requérants dits « semi-privilégiés » devant prouver un intérêt à agir : la BCE, la Cour des Comptes et le Comité des régions Définition : les requérants semi-privilégiés ont toujours qualité pour agir, mais doivent prouver leur intérêt à agir, en ce que leurs recours doivent tendre à la sauvegarde des prérogatives de leur pouvoir. Ces requérants sont : - La BCE : son statut de requérant semi-privilégié a été consacré par le traité de Maastricht - La Cour des Comptes : son statut de requérant semi-privilégié a été consacré par le traité d’Amsterdam. - Le Comité des région : son statut de requérant semi-privilégié a été consacré par le traité de Lisbonne. La jurisprudence sur le sujet de ces requérants est peu fournie. Enjeu : interprétation de « tendre à la sauvegarde des prérogatives de ceux-ci » : se pose notamment la question de savoir s’il s’agit des seules prérogatives procédurales (formalités substantielles de l’acte), ou si cela peut concerner des prérogatives, des points davantage matériels. La question demeure en suspens. B. Les requérants ordinaires ou particuliers Fondement juridique : article 263§4 du TFUE. Définition : un requérant ordinaire est toute personne physique ou personne morale de droit privé ou de droit public à l’exception des EM. 16 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Appréciation : la notion de personne morale est ici une notion autonome du DUE, que la Cour apprécie assez largement. Ainsi, l’absence de personnalité juridique n’empêche pas nécessairement une personne morale de pouvoir ester en justice devant le juge communautaire. NB : sont des requérants ordinaires : - Les États-tiers. - Les collectivités infra-étatiques, CJCE 2 mai 2006, Regione Siciliana c/ Commission. Régime juridique : les requérants ordinaires doivent prouver intérêt à agir et qualité pour agir. Atténuation : il arrive que le juge mêle les deux notions, ou qu’il présume l’intérêt voir ne le qualifie pas. 1. L’intérêt à agir du requérant Enjeu : le traité n’évoque que très peu l’intérêt à agir – il ne traite que de la qualité pour agir – et le juge tend parfois à mêler les deux notions ou à ne se focaliser que sur la qualité pour agir. Principe : les particuliers doivent prouver que l’acte leur fait grief à titre personnel. Définition : cette condition a été définie dans CJCE 11 novembre 1981, IBM c/ Commission : « peuvent être attaqués les actes produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérants, modifiant de manière caractérisée sa situation juridique » : - Le juge doit d’abord examiner la situation juridique du requérant : est-il véritablement concerné par l’acte ? - Le juge doit ensuite regarder si l’annulation de l’acte améliorerait la situation juridique du particulier. Ainsi, le fait d’être destinataire d’une décision défavorable suffit comme intérêt à agir. - Le juge vérifie enfin si l’intérêt est né et actuel : l’affectation hypothétique n’existe pas. Enjeu : s’est posée la question du maintien de l’intérêt à agir lorsque l’acte a cessé de produire ses effets. Solution : la jurisprudence a admis que l’intérêt à agir du requérant puisse subsister dans ce cas, soit parce que l’acte a été exécuté, soit parce qu’il a été retiré. Le juge l’a admis dans 2 hypothèses : - Pour obtenir une annulation afin d’éviter la répétition de l’irrégularité (d’une pratique illégale), CJCE 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK Ltd c/ Commission. - Lorsque l’annulation constituerait le fondement d’une action en responsabilité contre l’UE : CJCE 5 mars 1980, Könecke Fleischwarrenfabrik GmbH & Co KG c/ Commission. Conclusion : le régime de l’intérêt à agir est relativement souple. 2. Les exigences tenant à la qualité pour agir Tendance : les exigences tenant à la qualité pour agir sont beaucoup plus restrictives et constituent un handicap au recours en annulation formé par les requérants ordinaires. Fondement juridique : article 263§4 TFUE. Initialement, le traité prévoyait que les requérants ordinaires ne pouvaient attaquer en annulation que certains actes. Deux hypothèses existaient alors : - Le requérant ordinaire pouvait attaquer l’acte dont il était le destinataire. - Le requérant ordinaire pouvait attaquer les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou adressées à un tiers, le concernaient directement et individuellement (mauvaise qualification de l’acte). Évolution : le juge interprétait strictement cette disposition. Or, cette l’interprétation stricte du juge n’était pas satisfaisante et posait un problème de protection juridictionnelle effective. L’article a donc été révisé par le traité de Lisbonne, et envisage désormais 3 hypothèses : le requérant ordinaire peut former un recours en annulation contre : - Un acte dont il est destinataire. - Un acte qui le concerne directement et individuellement. - Les actes règlementaires qui le concernent directement et qui ne comporte pas de mesure d’exécution (seule hypothèse vraiment nouvelle). a) L’acte en cause Les actes adressés au requérant : L’acte individuel n’est pas un problème, le requérant est destinataire de l’acte et peut en demander l’annulation, tant qu’il y a intérêt, TPI 11 décembre 2003, Conserve Italia c/ Commission. Exemple : le recours contre les décisions adressées au requérant et adoptées par la Commission est recevable dans les délais, sous réserve de qualité à agir. La qualité de requérant qui a un intérêt est donc présumée pour le destinataire de l’acte. 17 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Les actes dont le requérant n’est pas le destinataire : L’ex article 230§4 TFUE visait les décisions qui « bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, le concerne directement et individuellement ». Évolution : - Le juge possédait ainsi un pouvoir de requalification des règlements, caractérisés par leur portée générale, dans le seul cas où il s’agissait en fait d’une décision (restrictif). - Désormais, le juge tend à assouplir sa position en considérant, à certaines conditions, que même un règlement peut faire l’objet d’un recours. L’article 263 TFUE vise aujourd’hui les « actes qui la concernent directement et individuellement », et fait référence, non plus à la nature de l’acte, mais à l’acte lui-même. Les seules conditions décisives sont donc l’intérêt à agir et le lien direct et individuel entre le requérant et l’acte. Deux situations doivent être distingués : - La décision adressée à un tiers (hypothèse d’une décision adressée aux États). CJCE 15 juillet 1963, Plaumann: la Cour requalifie une décision d’acte individuel, car elle n’avait en fait qu’un nombre limité de destinataires et ne concernait pas des personnes désignées de manière abstraite. L’arrêt confirme ainsi que le tiers peut être une personne physique ou morale de droit privé comme un État. En ce sens, même si une décision est adressée à l’État, celle-ci peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge de l’Union en raison du lien direct et individuel avec un tiers. - L’acte à portée générale : le règlement : o L’hypothèse ne recouvrait auparavant que les situations dans lesquelles l’acte, pris sous l’apparence d’un règlement, était en réalité une décision, devant être requalifié comme telle (le règlement en lui- même n’était pas directement attaquable par une personne privée). À l’origine le requérant ne pouvait ainsi, en principe, pas demander l’annulation d’un acte à portée générale. Le traité exigeait que le juge requalifie l’acte, cette exigence ayant été posée dans CJCE 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes, étant entendu que l’on pouvait dissocier certains éléments du règlement pour ne requalifier que certaines dispositions. o À partir des années 1980, la Cour a cessé d’exiger la requalification pour envisager qu’un règlement puisse être en lui-même un acte attaquable par un requérant individuel. Cette jurisprudence a été inaugurée initialement de manière restreinte dans le secteur du contentieux anti-dumping : CJCE 21 février 1984, Allied Corporation c/ Commission. La Cour envisage ainsi pour la première fois que, bien que l’acte attaqué soit un acte à portée abstraite, il n’est pas totalement exclu que ses dispositions puissent concerner directement ou individuellement les entreprises concernées par le règlement anti- dumping. o La solution a été étendue hors du contentieux strictement économique : CJCE 18 mai 1994, Codorniu SA c/ Conseil. - L’acte à portée générale : la directive. o Par nature, une directive est un acte adressé à un État. Cela explique qu’au départ elle ne soit pas visée par l’ex article 230 TFUE, qui la classe parmi les dispositions individuelles, et non les actes de portée générale. o Principe : CJCE ord 23 novembre 1995, Asocarne et Trib UE ordonnance 20 mai 2020, Nordstream : « si l’article 263§4 TFUE ne traite pas expressément de la recevabilité des recours en annulation introduits par des personnes physiques ou morales à l’encontre d’une directive, il ressort néanmoins de la jurisprudence que cette seule circonstance ne suffit pas pour déclarer irrecevables de tels recours. En effet, les institutions de l’UE ne sauraient, par le seul choix de la forme de l’acte en cause, exclure la protection juridictionnelle qu’offre aux personnes physiques ou morales cette disposition du traité ». La directive peut donc toujours faire l’objet de recours, sous condition de lien direct et individuel (hypothèse n°2 de l’article 263 TFUE), le risque étant que les mesures de transposition fassent écran. L’ouverture opérée par le traité de Lisbonne : les « actes réglementaires qui concernent directement le requérant et qui ne comportent pas de mesure d’exécution » : Cette nouvelle catégorie a été introduite par le traité de Lisbonne et permet d’ouvrir le recours en annulation puisqu’elle fait tomber la condition du lien individuel. Définition : la notion d’acte règlementaire a été définie par le juge dans un arrêt : Trib UE ord 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami c/ PE et Conseil : « acte à portée générale de caractère non-législatif ». b) L’examen du lien « direct et individuel » entre le requérant et l’acte attaqué 18 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Le traité envisage les 2 conditions de manière cumulative : il faut un lien direct et individuel, l’individualisation étant plus compliquée à retenir. L’exigence du lien direct : Définition : la situation juridique du requérant doit être immédiatement affectée par l’acte. Appréciation : l’acte doit se suffire à lui-même et doit par lui-même produire des effets juridiques, sans aucune disposition intermédiaire d’application. Cela vaut pour les actes à portée générale comme pour les décisions adressées à un tiers. Enjeu : la présence d’actes d’application, lorsqu’ils se contentent de simplement reprendre l’acte, exclut-elle nécessairement le lien direct ? Solution : si la mesure d’application n’est que la reprise de l’acte, sans aucune marge de manœuvre, alors le lien direct peut être reconnu. L’autorité qui prend la mesure d’application doit se trouver dans une situation de compétence liée. Solution : CJCE 26 juin 1990, Sofrimport c/ Commission : « la requérante est directement concernée par les actes contestés puisque le règlement n°962/88 prescrit aux autorités nationales de rejeter les demandes de certificat d’importation en instance et ne leur laisse donc aucune marge d’appréciation ». Justification : l’existence d’une mesure nationale d’exécution, rend possible un recours devant le juge national, ce qui permet d’assurer le respect du droit à une protection juridictionnelle effective. Le juge national peut toujours, en effet, effectuer un RPAV. Appréciation : la Cour apprécie assez souplement l’existence du lien direct : CJCE 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki c/ Commission : malgré l’existence d’une marge de manœuvre pour mettre en œuvre la décision en question, la Cour a reconnu l’existence du lien direct, « II est vrai que, sans mesures d’exécution adoptées au niveau national, la décision de la Commission n’aurait pu affecter les requérantes. Dans le cas d’espèce, toutefois, cette considération ne suffit pas pour exclure que les requérantes soient directement concernées par ladite décision, dès lors que d’autres facteurs permettent de conclure à l’existence, dans leur chef, d’un intérêt direct au recours ». L’individualisation : Définition : l’individualisation est définie par la Cour, par une approche très stricte, CJCE 15 juillet 1963, Plaumann : elle considère que « les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire ». Ainsi, le requérant doit démontrer que, même si l’acte a une portée générale, il individualise : sa situation subjective ou factuelle est différente de celle des autres, de telle sorte que l’acte aurait dû individualiser la situation. Appréciation : la Cour a dégagé trois hypothèses, très fréquentes, dans lesquelles il considère que le requérant est individualisé : - L’appartenance du requérant à un cercle fermé d’opérateurs : l’acte concerne en fait certains opérateurs relativement limités. Le cercle est identifiable ou identifié au moment de l’adoption de l’acte, qui affecte leurs intérêts. De plus, l’institution qui a pris l’acte ne pouvait pas ignorer le caractère identifiable des opérateurs directement affectés par le règlement litigieux. Fondement : CJCE 26 juin 1990, Sofrimport c/ Commission et CJUE 24 novembre 2016, P. Ackerman Staatzucht e. a. c/ PE et Conseil. La Cour apprécie assez strictement cette hypothèse. - L’affectation de droits spécifiques : CJCE 18 mai 1994, Codorniu : une société espagnole qui produisait le grand crémant de Cordoniu se voit priver de l’appellation par règlement. La Cour prend en compte divers faits concrets (situation particulière de la société, qui produisait le crément et utilisait la marque depuis longtemps, ce qui correspondait à une partie très importante de son CA). Pour en déduire que la société avait un droit spécifique à utiliser cette appellation : les institutions auraient dû prendre en compte sa situation. La société a ainsi une sorte de droit acquis au maintien de l’utilisation de l’appellation, qui doit être protégé. Cette solution transparaissait déjà dans CJCE 16 mai 1991, Extramet. Cette hypothèse est toutefois peu retenue par la Cour. - L’existence de droits procéduraux : cette dernière hypothèse est matériellement limitée en ce qu’elle ne concerne que le contentieux en matière de concurrence et anti-dumping. Dans ces domaines en effet, des procédures règlementées prévoient parfois, avant l’adoption de l’acte, l’association des entreprises du secteur intéressées à la décision. CJCE 4 octobre 1983, FEDIOL c/ Commission : le juge a considéré que l’existence de ces droits procéduraux ouvrait un droit de recours, ce qui permettait à ces entreprises d’attaquer ces actes en annulation. La Cour a toujours refusé d’étendre ce critère d’individualisation à d’autres domaines, CJCE 24 novembre 1992, Buckl. Situation particulière des associations : la démonstration du lien individuel est peu aisée, puisque l’association est autonome vis-à-vis de ses membres. 19 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Évolution de la solution : - CJCE 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes : la Cour avait refusé par principe le recours des associations. - TPI ord 30 septembre 1997, Federolio : le tribunal systématise trois situations dans lesquelles une association peut être individualisée et attaquer en un acte : o L’association jouit de droits procéduraux. o L’acte attaqué affecte les intérêts propres de l’association. o L’association représente les intérêts d’entreprises qui auraient été recevables à agir en annulation sans nul doute, Trib 10 mars 2020, IFSUA c/ Conseil. Le régime des requérants ordinaires est donc restrictif compte tenu de l’interprétation que le juge a donné des conditions de recevabilité et en particulier du lien individuel. C’est la raison pour laquelle cette jurisprudence a été assez critiquée au nom du droit à l’accès au juge. La tentative avortée d’évolution de la jurisprudence fondée sur le droit au juge : Les tentatives d’évolution de la jurisprudence ont été menées concomitamment par la Cour et par le Tribunal : - Trib 3 mai 2002, Jégo Quéré : en l’espèce, une société de pêche conteste un règlement sur la pèche qui réduit les possibilités de capture des pêcheurs européens. Or, le règlement ne prévoit pas de mesure de mise en œuvre et l’entreprise n’a pas de chance d’être individualisée. Le tribunal a considéré qu’au nom du droit au juge, il fallait assouplir les conditions de recevabilité et notamment l’individualisation dans l’hypothèse où le règlement n’a pas de mesure d’exécution. En effet, le requérant n’a sinon pas de moyen de contester l’acte, ni devant le juge de l’Union, ni devant le juge national. Sa seule solution est alors de violer le règlement pour qu’une mesure nationale le sanctionne, afin de contester ensuite cette mesure pour soulever par voie d’exception l’invalidité dudit règlement. - Le Tribunal avait repris les arguments des conclusions de l’avocat général Jacobs de l’affaire CJCE 25 juillet 2002, UPA c/ Conseil. L’avocat général avait proposé l’assouplissement des conditions de recevabilité du recours en annulation notamment en l’absence de mesures d’exécution. Mais CJCE 1er avril 2004, Jégo-Quéré : « pétrification de la jurisprudence », la Cour annule l’arrêt du tribunal. Elle justifie cela par le fait qu’elle est contrainte par la lettre des traités, qu’elle ne veut pas excéder ses compétences et qu’il y a un système des voies de droit qui fait qu’on ne peut pas attaquer devant le juge européen un acte de portée générale. En réaction, le traité de Lisbonne définit une nouvelle hypothèse, la clause Jégo-Quéré, relative à l’exigence du lien direct avec un « acte règlementaire ne comportant pas de mesures d’exécution ». Le lien individuel n’est ainsi pas exigé dans cette hypothèse : cet abandon du critère de l’individualisation constitue la réponse directe du constituant aux affaires Jégo-Quéré. Appréciation : - Notion d’acte réglementaire : enjeu : cette notion ne figure pas dans le traité en dehors de l’article 263§4 TFUE : o Soit cela désigne, de façon littérale, ce qui n’est pas législatif. o Soit cela désigne, par adoption d’une approche plus large, téléologique, les actes à portée générale, dépourvus de mesures d’exécution – y compris les actes législatifs. Trib UE 6 septembre 2011, Inuit Tapiriit Kanatami e. a. c/ PE et Conseil puis CJUE ord 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e. a. c/ PE et Conseil : le juge a adopté l’approche littérale : un acte réglementaire est « un acte à portée générale non-législatif ». Cette solution a été très critiquée en doctrine comme par les avocats généraux (conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire CJUE 27 février 2014, Stichting Woonpunt e. a. c/ Commission). - Notion d’acte ne comportant pas de mesures d’exécution : en principe, l’exigence du lien direct suppose déjà l’absence de mesure d’exécution : il peut donc apparaître un peu redondant de requérir, en sus du lien direct, l’absence de mesure d’exécution. Cette condition d’absence de mesure d’exécution doit en réalité s’entendre plus strictement : l’acte ne doit pas comprendre de mesure d’exécution, et ce même si la mesure est le reflet d’une compétence liée des autorités, CJUE 19 décembre 2013, Telefonica SA c/ Commission. Ainsi, la simple existence d’une mesure d’exécution, fait tomber la condition. La jurisprudence est confirmée par la suite : Trib UE 14 janvier 2016, Doux c/ Commission et CJUE 27 février 2014, Stichting Woonppunt e. a. c/ Commission. SECTION II : Les moyens d’annulation de l’acte Définition : il s’agit de l’examen au fond du recours. 20 Aliénor de Tappie de Vinssac – ENS DEM 2A 2022/2023 Fondement : les moyens d’annulation sont listés à l’article 263 alinéa 2 TFUE : « À cet effet, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir, formés par un EM, le PE, le Conseil ou la Commission ». I. L’incompétence Définition : l’incompétence renvoie à l’hypothèse où un acte aurait été adopté en dehors des

Use Quizgecko on...
Browser
Browser