Âges de la vie, générations, trajectoires PDF

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Ce document présente une introduction à la sociologie des âges de la vie, des générations et des trajectoires sociales. L'auteur explore des perspectives temporelle, démographique et sociologique. Le document est organisé autour de quatre points clés.

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Âges de la vie, générations, trajectoires Séance 1 : Présentation et introduction générale Introduction Ce cours, comme son intitulé l’indique, s’intéresse aux âges de la vie, aux générations et aux trajectoire...

Âges de la vie, générations, trajectoires Séance 1 : Présentation et introduction générale Introduction Ce cours, comme son intitulé l’indique, s’intéresse aux âges de la vie, aux générations et aux trajectoires sociales d’un point de vue sociologique. Cette intention ouvre d’emblée sur trois idées fondamentales qu’il faut énoncer comme une sorte de préambule à la réflexion. 1/ S’intéresser sociologiquement au sujet des âges de la vie, des générations, des trajectoires, c’est introduire dans le raisonnement sociologique la flèche du temps, soit encore la perspective temporelle. 2/ S’intéresser sociologiquement au sujet des âges de la vie, des générations, c’est se questionner sur de grandes évidences sociales. 3/ S’intéresser sociologiquement au sujet des âges de la vie, des générations, c’est découvrir que nous avons affaire à un des grands opérateurs de classement social et ainsi se rappeler que la vie en société fait toujours l’objet d’une certaine organisation sociale (elle produit un ordre social) qui repose sur un principe : celui d’une différenciation et d’une hiérarchisation. Pour ce premier cours introductif, nous allons principalement développer ces trois idées pour, à la suite, « nettoyer » les termes employés des différentes scories sociales. Plan Ce cours introductif s’organise donc autour de quatre points. 1. La perspective temporelle 2. Les grandes évidences sociales 3. Opérateur de classement social 4. Des catégories de classement du sens commun, étatiques et savantes 1. La perspective temporelle 1. 1. Dans le raisonnement sociologique Deux perspectives possibles pour rendre compte d’un phénomène auxquelles correspondent deux types d’enquêtes : La perspective synchronique : étude transversale (métaphore de la photographie). La perspective diachronique : étude longitudinale (métaphore du film). Exemple d’enquête longitudinale : Robert S. Lynd, Helen M. Lynd Middletown : A Study in Modern American Culture, (1929 - 1937) Le temps est donc un élément de connaissance à la fois empirique et théorique incontournable selon Pitirim A. Sorokin et Robert K. Merton (1937). 1. 2. Dans le raisonnement démographique Rappel de la définition de la démographie : étude quantitative des populations et de leurs dynamiques, à partir de caractéristiques telles que la natalité, la fécondité, la mortalité, la nuptialité, la migration. Préoccupations des démographes : analyser les variations de ces phénomènes dans le temps et dans l'espace, en fonction des milieux socio-économiques et culturels. En démographie, le raisonnement par l’âge ou la génération semble assez « naturelle », « évidente ». Ils en font une variable mathématique et se questionnent sur la dépendance ou l’indépendance d’un phénomène à l’égard de la variable « âge » (tels comportements observables sont-ils dépendants de l’âge des acteurs sociaux concernés ?) 1. 3. La sociologie du temps Maurice HALBWACHS (1877-1945), sociologue français, introduit aux études sur le temps. Maurice HALBWACHS, 1950, La mémoire collective, Paris, PUF. Cet ouvrage traite de la conscience sociale en tant qu’elle se manifeste par la mémoire collective, laquelle présente ses règles propres. La mémoire individuelle existe, mais enracinée dans des cadres sociaux. William GROSSIN (1914-2005) publie en 1996, un ouvrage fondateur d’une sociologie du temps : Pour une science du temps. Introduction à l’écologie temporelle, Toulouse, Ed. Octares. On trouve chez d’autres sociologues des préoccupation relatives au temps, mais sans l’intention de fonder une sociologie du(es) temps sociaux : Pierre Bourdieu (1930-2002) Norbert Elias (1897-1990) 2. Les grandes évidences sociales 2. 1. Une conversion du regard S’intéresser sociologiquement au sujet des âges de la vie, des générations, c’est se questionner sur une des grandes évidences sociales. Faire de la sociologie, c’est voir, avec un autre regard, ce qui est en pleine lumière. Les lettres persannes (1721) de Montesquieu comme modèle de conversion du regard. Découvrir ce qui est caché parce que trop évident : le « paradigme de la lettre volée » d’après la nouvelle d’Edgar Poe publiée en 1844. Le sens commun : ensemble de prénotions, de préjugés, de connaissances, scientifiques ou non, de croyances liées à l’expérience personnelle, etc., qui est partagé par le plus grand nombre. Il joue un rôle essentiel dans les activités sociales puisque c’est lui qui permet aux personnes d’orienter leurs conduites les unes vis à vis des autres. 3. Opérateur de classement social 3. 1. Différenciation et hiérarchisation Toute société présente un ordre social plus ou moins inégalitaire. Cet ordre social, quelqu’il soit, résulte d’une opération de différenciation et de hiérarchisation : Il s’agit de phénomènes dynamiques. L’ordre social désigne un ordre de classements sociaux dont les principes sont sociaux. Par conséquent, tout ordre social, tout ordre des classements sociaux n’est pas immuable. Ces classements sociaux réalisent des équilibres, toujours menacés d’instabilité, de rupture. 3. 2. Quatre grands modes de classement social Il semble que l’on puisse assez facilement distinguer quatre grands modes de classement, quatre modes principaux selon lesquels s’opèrent les processus de la différenciation et de la hiérarchisation sociales : Selon l’âge. Selon le sexe. Selon l’origine et l’appartenance ethnique. Selon la place occupée dans le processus de production des richesses. Concernant l’âge : des classements sociaux (des classes d’âges) entre les ensembles d’individus à l’intérieur d’une société selon les grandes phases successives de la vie, soit de la petite enfance à la grande vieillesse. Vigilance : les classes d’âges ne sont pas des données naturelles. Caractéristique des sociétés modernes : démultiplication les classes d’âges. 4. Des catégories de classement du sens commun, étatiques, savantes 4. 1. Des catégories du sens commun L’âge est un critère de classement habituel dans le travail de repérage que chacun opère dans la vie ordinaire. Pour le lambda, la vie se décompose en quelques phases qui permettent de regrouper tous ceux que leur date de naissance situe entre des limites inférieures et supérieures, et qui les distinguent de tous les autres. Mais, se loge ici une représentation naturaliste (physiologique) du cours de la vie. Les notices des dictionnaires classiques fournissent les significations ordinaires attachées aux notions d'âge et de génération : Concernant l’âge, ces notices mettent en évidence trois types de significations. De même, concernant la génération, ce sont trois types de significations qui sont relevées. 4. 2. Des catégories étatiques L’âge est aussi une catégorie du travail étatique de classement des sujets ou des citoyens, justifiant l’expression « police des âges » en référence à l’ouvrage de Annick Percheron et René Rémond, 1991, Âge et politique, Paris, Economica. Par « police des âges », il faut entendre ceci : l’invention des âges de la vie est le produit de multiples tentatives pour gérer la société en distinguant des groupes recensables et classables sur la base d’un critère apparemment simple, objectif et neutre : l’âge biologique. Pour que cette « police des âges » se mette en place, il a fallu inventer une mesure du temps : par le calendrier et l'horloge. 4. 3. Des catégories médiatiques Les notions d'âge et de génération sont également des catégories de classement usuelles dans les champs médiatique et politique. Parce que les jeunes générations d'aujourd'hui sont les générations adultes de demain, les instituts de sondage, croient, en se penchant sur elles, pouvoir y observer le changement à l'état naissant, y déceler les prémices de l'avenir. Ainsi les groupes d'âge et les générations et, en particulier, les jeunes sont-ils particulièrement investis. À leur sujet, notons que l’histoire contemporaine des discours politiques et médiatiques sur la jeunesse semble animée par un mouvement pendulaire (entre intérêt et indifférence). 4. 4. Des catégories savantes Les catégories d'âge figurent enfin dans la « boîte à outils conceptuels » de différentes disciplines : des sciences de la vie aux sciences sociales en passant par les sciences de l'homme (même si les frontières se brouillent dans ce classement tripartite). On en citera ici quelques unes et insisteront sur la psychologie, la démographie, l’histoire et l’anthropologie. 4. 4. 1. En psychologie Si la biologie s'intéresse aux étapes du développement et du vieillissement physiologique, la psychologie étudie le développement humain à partir du développement de la personnalité. Charlotte Bühler (1893-1974 - psychologue allemande) : pionnière d’une analyse du cycle de vie du point de vue psychodynamique, laquelle reste commune à toutes les théories psychologiques sur le sujet. Exemple des travaux de Erik Erikson (1902-1994, germano- américain, psychologue du développement, psychanalyste) : Il formalise 8 étapes de la vie dans une perspective d’auto-réalisation de la personne, laquelle résout chaque crise traversée comme un nouveau défi. Critique : le modèle a l’intérêt de théoriser la notion de crise qui se résout, mais reste normatif et ne rend pas compte de la diversité des expériences. 4. 4. 2. En démographie Les démographes ont formalisé les définitions étatiques des notions d'âge et de génération pour en faire des variables quantifiables. Ils donnent ainsi des définitions précises à plusieurs termes dont : l’âge : la notion d'âge donne lieu à une distinction entre « âge exact » et « âge en années révolues » le groupe d’âges : ensemble d'âges compris entre certaines limites, ou groupe de personnes ayant ces âges. la pyramide des âges : double histogramme donnant une représentation de la population par sexe et par âge. la cohorte : ensemble de personnes ayant vécu un même événement démographique durant une période donnée (généralement une année civile). la génération : cohorte particulière formée de l'ensemble des personnes nées durant une période donnée, généralement l'année civile. Indépendamment de ces définitions, l’âge pour les démographes est considéré comme multidimensionnel (il recouvre diverses réalités) et relatif (sa signification varie dans le temps et selon la structure par âge de la population). 4. 4. 3. En histoire Philippe Ariès, 1960, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, Ed. Du Seuil. Deux idées principales : les sociétés du Moyen Âge n'avaient qu'un sentiment superficiel de l’enfance ; à partir du 17ème siècle, s’observe le passage d'un modèle de famille ouverte sur la société des adultes à un modèle de famille nucléaire fermé, où l'enfant devient l'objet de toutes les attentions. Tout un courant de pensée, dirigé contre les institutions et, en particulier contre l'école, a puisé dans cet ouvrage des arguments pour montrer qu'une partie des problèmes de la jeunesse du 20ème siècle viendrait de son confinement, voire de son « enfermement » dans la famille et dans l'école, alimentant ainsi de nombreuses frustrations et révoltes chez les jeunes. S’opére alors un rapprochement entre L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime et les analyses du philosophe français Michel Foucault (1926-1984) autour de l'idée d'une modernité qui serait le lieu d'une « mise à part », d'une mise en quarantaine des enfants. 4. 4. 4. En anthropologie/ethnologie Deux raisons expliquent l’importance de ces travaux dans l’étude des âges : elles mettent en évidence l’extrême diversité des définitions sociales de l’âge et de ses périodisations ; elles fournissent des outils conceptuels qui servent de base aux développements ultérieurs de ces questions dans d’autres domaines. L’ethnologie rappelle ainsi que l’élaboration des rapports homme/femme, parent/enfant, aîné/cadet, sont à la base de tout système social et, plus justement, de tout système de parenté (Françoise Héritier, 1981, L’exercice de la parenté, Paris, ed. Du Seuil). Ces classements permettent par exemple, de définir la position d’âge. La position d’âge indique le rapport entre aîné et cadet ; la position dans l’ordre des générations indique le rapport de filiation. A. R. Radcliffe-Brown (1881-1955 - anthropologue anglais) distingue la classe d’âge (age set) et l’échelon d’âge (age grade) : La classe d’âge : représente un ensemble de personnes ayant a peu près le même âge ou reconnues comme telles. Une fois intégré dans une classe d’âge, elles y appartiennent toute leur vie ; le terme groupe d’âge est aussi utilisé de façon équivalente. L’échelon d’âge : représente une subdivision des périodes de la vie de l’enfance à la vieillesse. Les échelons sont clairement démarqués entre eux et les transitions entre ces échelons peuvent donner lieu à des rites de passage (ex : de l’enfance à l’âge adulte, une période de transition, de passage qui appelle un rite). L’ethnologie et l’anthropologie s’intéressent aussi aux rites de passages d’un âge à un autre, d’une classe à une autre. Le pionnier dans le domaine est Arnold Van Gennep (1873-1957 ; ethnologue allemand-français). Il publie, en 1909, un ouvrage intitulé les rites de passage, qui fera date. Les rites de passages, symbole de mort et de renaissance, introduisent une discontinuité entre les échelons d’âge. L’identification de l’individu au groupe de pairs fait qu’il change d’identité en passant d’un âge à un autre. La tentation de transposer ces rites de passages et le changement d’identité qu’occasionnent ces rites aux sociétés modernes ont été grandes, mais elles sont abusives. Dans tous les cas, les échelons d’âges ne coïncident pas avec un âge physiologique précis qui d’ailleurs reste mal connu dans les sociétés tribales d’Afrique de l’Est. Dans les sociétés où domine la tradition orale, il n’existe pas d’état civil enregistrant les naissances. Ainsi, le recrutement dans une classe d’âge est moins basé sur une évaluation de l’âge que sur une classification de l’individu en fonction des critères de parenté et d’organisation sociale. Références bibliographiques ARIÈS Philippe, 1960, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, Ed. Du Seuil. BOURDIEU Pierre, 1972, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Ed. Du Seuil. ELIAS Norbert, 1997, Du temps, Paris, Fayard. GROSSIN William, 1996, Pour une science du temps. Introduction à l’écologie temporelle, Toulouse, Ed. Octares. HALBWACHS Maurice, 1950, La mémoire collective, Paris, PUF. HÉRITIER Françoise, 1981, L’exercice de la parenté, Paris, ed. Du Seuil LYND Robert S., LYND Helen M., 1956, Middletown : A study in Modern American Culture, New-York, Harcourt Brace and company. MAUGER Gérad, 2015, Âges et générations, Paris, La découverte. PERCHERON Annick et RÉMOND René, 1991, Âge et politique, Paris, Economica. SIMON Pierre-Jean, 2006, Pour une sociologie des relations inter ethniques et des minorités, Rennes, PUR (chapitre 3). SOROKIN Pitirim A., MERTON Robert K., 1937, « Social time : a methodological and functional analysis », The American Journal of Sociology, Vol 42. N° 5, pp. 615-629. VAN DE VELDE Cécile, 2015, Sociologie des âges de la vie, Paris, Armand Colin. VAN GENNEP Arnold, 1909, les rites de passage, Paris, Emile Nourry.

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